Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Chaque semaine, j’essaie de transmettre des moyens d’augmenter son niveau de bonheur et d’accroître son autonomie financière. Cette semaine, je change de formule : voici plutôt la recette d’une vie de misère.

L’idée n’est pas de moi, mais a été popularisée par l’investisseur milliardaire américain Charlie Munger, qui fêtera son 100anniversaire en janvier.

« Inversez, inversez toujours ! a-t-il lancé dans un discours il y a quelques années. Cela a permis à un homme non prodigieux comme moi d’obtenir des résultats prodigieux ! »

Partenaire d’affaires de Warren Buffett, Munger dit qu’au lieu d’être obsédé par l’idée de faire des bons coups dans la vie, on devrait plutôt se concentrer à éviter les erreurs.

L’idée lui est venue à l’âge de 19 ans, lorsqu’il travaillait comme météorologue pour l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Son rôle consistait à communiquer ses prévisions météorologiques aux pilotes pour qu’ils puissent ajuster leur plan de vol.

« La question que je me posais était : “Comment je peux tuer ces pilotes ?”, a expliqué Munger. Je voulais savoir quelle serait la façon la plus facile de les tuer, comme ça je pourrais l’éviter. »

Il a conclu qu’il y avait deux façons de tuer un pilote : l’envoyer voler avec son appareil dans une zone de pluie verglaçante, ou alors l’envoyer dans une zone où il manquerait de carburant et ne pourrait pas revenir à temps.

« Alors je suis devenu un vrai fanatique dans ma façon d’éviter ces deux dangers », a dit Munger, ajoutant qu’il avait ensuite souvent employé cette façon de réfléchir en affaires et dans sa vie personnelle.

Voici donc, pour que l’on puisse tous les éviter, quelques façons assurées de vivre une vie misérable.

Dépenser plus que ses revenus

Pour s’assurer une vie remplie de stress, commençons par le plus simple : dépenser plus que ses revenus. Peu importe que l’on soit plongeur dans un restaurant ou président de la Banque Nationale, vivre au-dessus de ses moyens nous mènera dans un cul-de-sac certain de nous empoisonner l’existence, en plus de diminuer notre train de vie à long terme et d’ajouter des années de travail obligatoire à notre carrière. Une excellente façon d’être misérable.

Ne pas être fiable

On connaît tous des gens qui disent « oui, oui, oui », mais qui, dans les faits, finissent par faire « non, non, non ». S’engager à faire quelque chose et finalement ne pas le faire lève un drapeau qu’il est difficile de baisser par la suite. Cet attribut est facile à voir chez les autres, mais difficile à détecter chez soi. Pourquoi ? Parce que nous observons le comportement des autres de l’extérieur, alors que chez soi-même, les justifications sont disponibles. Par exemple, les autres conducteurs grillent un arrêt obligatoire et ne laissent pas traverser les piétons parce qu’ils sont insouciants et ne savent pas conduire. Mais je grille un arrêt obligatoire et je ne laisse pas traverser les piétons parce que je suis en retard. Voguer d’excuse en excuse ne peut que nous nuire à long terme.

Stresser au moindre problème

L’autre jour, au café, un client devant moi s’impatientait et poussait d’immenses soupirs parce que la caissière avait mal préparé sa commande. Le visage de l’homme est même devenu rouge de colère pendant qu’elle tentait d’arranger les choses. Je n’en revenais pas : cet homme a remis à une simple commande de café le pouvoir de contrôler son humeur et ses réactions physiques. Dans ce cas, c’était un café, mais ça aurait pu être n’importe quoi. Par exemple, la météo ou l’actualité. Autoriser son niveau de stress et de colère à grimper rapidement et fréquemment pour toutes sortes de choses indépendantes de sa volonté est une façon parfaite de vivre une vie de misère.

En vouloir plus à tout prix

Régulièrement, les nouvelles nous donnent des exemples de personnes qui réussissaient bien dans la vie, qui étaient admirées, respectées, et qui ont commis un geste illégal et ont tout perdu.

L’ambition est une bonne chose. Mais toujours en vouloir plus à tout prix peut tout défaire. « Il faut 20 ans pour bâtir une réputation et 5 minutes pour la détruire, dit Warren Buffett. Si vous y pensez, vous ferez les choses différemment. »

Être extrêmement idéologique

Encore une fois, c’est plus facile à repérer chez les autres que chez soi. Être extrêmement idéologique nous pousse à croire que les solutions aux problèmes sont simples, et que seul notre camp les détient. « L’idéologie extrême rend le cerveau en bouillie, dit Munger. Il est facile de se perdre dans la loyauté. Lorsqu’on commence à répéter les slogans de l’idéologie à laquelle on adhère, ce que l’on fait réellement, c’est les enfoncer davantage dans son propre cerveau, ce qui va le ruiner peu à peu. Il faut faire très attention aux idéologies. »

Privilégier l’isolement social

Une étude américaine réalisée auprès de près de 30 000 participants a démontré que, bien avant les revenus ou le train de vie, ce qui avait la plus grande influence sur la satisfaction exprimée à propos de la vie est le nombre d’amis proches.

Consultez l’étude américaine (en anglais)

Pour vivre une vie décevante, coupons les ponts, cessons les échanges et l’activité physique pour nous consacrer entièrement à notre travail. Lorsqu’on combine cette posture avec l’aptitude à dépenser plus que ses revenus, cela forme une tempête parfaite dans laquelle on est certain de s’attirer des difficultés et de maximiser les risques de vivre des regrets.

Investir en fonction des actualités

Le Proche-Orient s’embrase ? Les taux d’intérêt sont imprévisibles ? La Bourse vous paraît chancelante ? Aucun risque à prendre : vendons tout pour retrouver la tranquillité d’esprit. On retournera dans les marchés quand l’actualité sera calme et sereine, et que les grands titres des journaux seront zen et plus rassurants qu’un bon bain chaud parfumé à l’eucalyptus... Je sens que ça s’en vient. Ça devrait bien arriver, non ? C’est sans doute une question de temps…

Vous l’aurez compris, rechercher le confort et la sécurité à tout prix avec ses placements est une façon souvent vérifiée d’obtenir des rendements décevants. Une belle occasion de s’assurer une vie de misère.

Ou, dit dans les mots plus imagés de Charlie Munger : « Pour obtenir ce que vous voulez, vous devez mériter ce que vous voulez. Le monde n’est pas encore un endroit assez fou pour récompenser tout un tas de gens qui ne le méritent pas. »

Votre boule de neige

Je vous demandais la semaine dernière si vous bénéficiiez du pouvoir des intérêts composés sur vos placements.

Francis écrit : « La séquence boursière des années 2019 à 2022 a été tellement exceptionnelle que mon portefeuille de fonds indiciels a triplé de valeur, en incluant mes contributions. Je devrais faire 70 000 $ par année en rendement en moyenne, ce qui fait que ma contribution a désormais de moins en moins d’importance dans la boule de neige. »

Alain écrit : « De 0 à 100 000 $ en 15 ans, on ne voit rien, des frémissements. De 100 000 $ à 500 000 $ en 20 ans, l’amorce est là, on entrevoit que ça bougera un peu plus, mais on n’en est pas encore sûr. De 500 000 $ à plus du million en cinq à sept ans, je n’ai rien vu, c’est arrivé très, très rapidement. Ensuite, il faut vivre en ne regardant plus trop, être détaché, un repos de l’esprit. »

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