La génération Y a été la première considérée comme réellement à l’aise avec la technologie. C’est maintenant au tour des membres de la génération Z, qu’on décrit comme littéralement tombée dedans à la naissance, de débarquer en milieu de travail. Les Z vont-ils remplacer les Y comme geeks attitrés dans les entreprises ?

Pas tout à fait… mais un peu, explique Stefan Tams, dont les recherches portent sur l’impact de l’âge sur la maîtrise des technologies en milieu de travail. Le professeur agrégé au département de technologies de l’information de HEC Montréal prévient d’emblée : il n’a pas apposé d’étiquettes générationnelles, dont il se méfie, dans les conclusions de ses travaux.

« Je n’ai pas utilisé le mot “génération” […] Ce que j’ai essayé de faire, c’est comprendre comment les travailleurs plus âgés interagissent différemment avec la technologie. Quand nous vieillissons, des changements cognitifs se produisent. »

Compenser les pertes

Il convient toutefois que ses travaux, les rares qui ont creusé à ce point la question, apportent un éclairage à la relève de la garde qu’on peut observer en milieu de travail.

On peut de toute évidence observer que les Y, qui étaient les jeunes qui pouvaient s’adapter aux changements, sont maintenant défiés par des plus jeunes. Ils ont vieilli et font face à de nouveaux venus qui ont des connaissances qu’ils n’ont pas nécessairement, des habiletés qui ne sont pas les leurs.

Stefan Tams, professeur agrégé à HEC Montréal

En 2021, le professeur Tams avait résumé dans le Wall Street Journal certaines découvertes empiriques qu’il avait faites en étudiant le comportement de centaines de travailleurs. Les plus âgés, a-t-il noté, avaient besoin de plus de temps pour assimiler les informations, ignoraient plus difficilement les distractions et utilisaient moins les nouvelles fonctions d’Excel qu’on leur apprenait, entre autres exemples. Alors qu’ils avaient intégré en moyenne 0,5 nouvelle fonction sur les six présentées, les plus jeunes avaient une moyenne de 2.

« Ce n’est pas vrai, bien sûr, pour tous les employés, précisait-il. Mais c’est vrai pour un assez grand nombre d’entre eux pour que cela puisse poser problème dans une organisation. »

Ces travailleurs plus âgés pouvaient cependant compenser une partie de ces changements cognitifs par l’expérience et une meilleure compréhension du vocabulaire. Des changements dans les façons de faire en entreprise, notamment plus de rétroactions et une plus grande autonomie, peuvent également les aider.

Les membres de la génération Z, si on extrapole ces constats, seraient donc aptes à gérer plus de nouvelles fonctions dans les logiciels d’entreprise que leurs aînés. Ils seraient également nettement plus « multitâches ».

« Ils ont des avantages généraux, peuvent gérer plus de changements, avance prudemment le professeur Tams. Leurs habiletés sont plus fluides, ce qui les aide à s’adapter à de nouvelles situations. »

L’autre élément qu’il souligne, c’est que les membres de la génération Z ne sont pas que les utilisateurs des logiciels : ils sont de plus en plus nombreux à être également ceux qui les conçoivent. « La plupart des technologies sont montées par des gens de 20 ou 30 ans, qui ont en tête des utilisateurs du même âge. »

De TikTok à Excel

Mais il y a un os, note-t-il. Les fameuses habiletés technologiques qu’on attribue généralement à la génération Z ne sont pas nécessairement celles qui seront utiles en milieu de travail. Le fait a été largement documenté, comme le rapportait en juin dernier un reportage dans La Presse. Encore une fois, il s’agit de constats généraux pour lesquels existent de nombreuses exceptions.

Lisez le dossier « Champions avec un téléphone, démunis devant un ordinateur »

« Les technologies en entreprise sont très différentes de Facebook ou TikTok, dit M. Tams. Leurs habiletés sur un téléphone ne vont pas nécessairement se transférer au travail. »

Les membres de la génération Y qui, en leur temps, ont pu bousculer un peu leurs aînés, pourraient voir avec méfiance l’arrivée de ces jeunes. M. Tams exprime l’espoir que le relais soit passé en douceur. « Personne n’aime être remplacé. Mais j’espère que les Y apprécieront le fait que la génération plus jeune apporte des bénéfices aujourd’hui qu’ils pourraient avoir de la difficulté à apporter eux-mêmes. […] Nous avons besoin d’une force de travail multigénérationnelle qui combine toutes les compétences. »