La ministre des Transports Julie Boulet est particulièrement active. Après avoir déposé une série de mesures visant à faire de nous de meilleurs conducteurs (et conductrices), voilà maintenant qu'elle cherche à bousculer les réflexes des publicitaires.

Madame la ministre souhaite en effet encadrer la publicité automobile pour éviter, dit-elle, «qu'on parle toujours de performance et de grande vitesse». Le débat n'est pas nouveau, mais est-ce bien le rôle de l'État de légiférer? La question se pose.

Après le tabac, les jouets et l'alcool, le gouvernement du Québec songe à encadrer la publicité sur l'automobile. Pour la ministre, il importe de juguler les pubs pour les voitures qui flattent «la domination, l'agressivité ou la puissance». Il en va de l'intégrité corporelle des consommateurs de biens industriels. Est-ce vraiment son mandat? On se le demande. S'il est vrai que la ministre des Transports souhaite - et cela est tout à son honneur - plaider contre la diffusion de messages portant aussi bien sur les performances, la puissance du moteur que sur la vitesse et les accélérations, elle n'est sans doute pas sans savoir que l'industrie automobile et les publicitaires savent plus que jamais comment s'auto-discipliner. Des publicités genre «Tasse-toi mon oncle!» ont fait leur temps.

En voulant réglementer la publicité automobile, la ministre des Transports du Québec sait-elle que ceux qui la conseillent ne s'arrêteront pas là? Après les publicitaires, il faudra vous attaquer aux chroniqueurs automobiles et leur interdire de rapporter les temps d'accélération et des reprises (pourtant de sérieux indicateurs de la sécurité active d'une automobile) dans leur compte rendu. Aux journalistes sportifs aussi, en leur interdisant de rappeler que c'est au volant d'une Toyota ou d'une Dodge que Jacques Villeneuve et Patrick Carpentier signent des performances étincelantes (croisons les doigts) sur les circuits NASCAR ou de rendre compte des transferts technologiques entre la McLaren-Mercedes de Lewis Hamilton et la Classe C vendue chez le concessionnaire Mercedes.

Dans le même esprit, il vous sera également nécessaire de bannir les jeux électroniques comme Project Gotham, Gran Turismo et autres, car ils incitent à des comportements préjudiciables à la santé, à la sécurité des personnes. Le risque de confusion entre réel et virtuel dans certains de ces jeux vidéo n'est-il pas aussi dangereux? Et poussons plus loin encore (je sais, cela frise la caricature), interdisons un coup parti les publicités où l'on aperçoit un 4x4 au sommet d'une montagne ou dans une clairière pour atteinte à la protection de l'environnement. Vous finirez bien par déraper, madame la ministre.

Pourquoi alors brandir le spectre d'une directive gouvernementale contraignante? Y a-t-il aujourd'hui un lien de causalité clair et sans équivoque entre les messages publicitaires portant sur l'automobile et la sécurité routière? Pas si sûr. La preuve, une étude réalisée par Guy Paquette, professeur au Département d'information et de communication de la Faculté des lettres (L'impact de la publicité à risque sur le comportement des jeunes conducteurs) conclut que «contrairement à ce que peut prétendre une croyance fort répandue, la publicité sur l'automobile aurait peu d'impact sur le comportement des jeunes conducteurs au Québec». La ministre et sa garde rapprochée auraient-ils de nouveaux arguments à faire valoir? Le maillon faible dans cette histoire publicité/vitesse est le conducteur (la conductrice aussi) et son comportement sur la route. Et non la voiture elle-même. N'a-t-on pas affaire ici à une infime minorité de conducteurs qui ont des problèmes personnels et qui devraient se voir retirer le privilège de circuler sur nos voies publiques? À ce sujet, le nouveau (?) contenu de cours de conduite permettra-t-il de mieux les identifier; de les corriger?

Les époques changent madame la ministre. Les constructeurs automobiles concentrent de plus en plus la promotion de leurs modèles sur la sécurité, l'environnement, la liberté ou la famille. La tendance, amorcée au début des années 2000, s'affirme toujours plus. Reste que dans le même temps, comme par contrecoup, quelques publicités machistes, en porte-à-faux avec les actuelles conditions routières, font toujours l'éloge de la vitesse ou de la puissance. Pour combien de temps? Soyons optimistes, les pubs qui carburent aux stéroïdes disparaîtront d'elles-mêmes. Dans l'esprit de la majorité, elles sont déjà dépassées comme celles qui font appel à la fibre patriotique genre «achetez des produits américains pour soutenir l'emploi».

L'industrie automobile et les publicitaires misent désormais volontiers sur l'humour comme moteur de la connivence recherchée. C'est notamment le cas des campagnes de publicité de Honda mettant en vedette le très moqueur Martin Matte ou encore la toute récente publicité de Volkswagen pour les City: «Commettez un acte délibéré de joie au volant».

Conséquemment, il n'y a pas lieu madame la ministre d'intervenir, cela n'ajoutera rien à votre mérite. Les automobilistes québécois ne savent peut être pas tous conduire, mais il n'y a pas lieu de les infantiliser pour autant.