Accusée de faire une interprétation erronée de la Loi sur le notariat, de susciter « une grande confusion » et de limiter les options s’offrant aux consommateurs, la Chambre des notaires devra se défendre devant les tribunaux.

Les entreprises First Canadian Title (FCT) et Fidelity National Financial (FNF), connues pour leurs services liés aux refinancements hypothécaires et à la vente d’assurance titres, demandent à la Cour de déclarer que leurs services ne sont pas du ressort exclusif des notaires et ne constituent pas un exercice illégal de la profession.

Elles veulent aussi qu’un juge force la Chambre à cesser toute communication laissant entendre que leurs services contreviennent à la Loi sur le notariat.

La hache de guerre était enterrée entre la Chambre des notaires et les compagnies d’assurance titres depuis que la Cour suprême avait refusé d’entendre la cause, en 2019. Les tribunaux avaient jugé que FCT et FNF n’exerçaient pas d’actes réservés.

Mais voilà que la hache reparaît dans la foulée de la modernisation de la Loi sur le notariat par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, en octobre dernier.

Désormais, seuls les notaires sont autorisés à rédiger les dossiers hypothécaires et ils doivent réaliser eux-mêmes toutes les étapes du processus, selon l’interprétation de la Chambre. Les compagnies d’assurance titres sont plutôt d’avis que le nouveau cadre juridique ne change rien et que les jugements antérieurs demeurent valides.

Cette interprétation de la Chambre inquiète aussi les courtiers hypothécaires, et ce, depuis le premier jour, comme je l’avais rapporté⁠1.

D’ailleurs, l’association Professionnels hypothécaires du Canada (PHC) a « soulevé les éléments problématiques auprès du ministre de la Justice », selon un bulletin d’information destiné aux membres que j’ai pu consulter. Simon Jolin-Barrette « nous a donné une bonne écoute », y est-il précisé.

Le bureau du ministre des Finances, Eric Girard, a aussi été interpellé par PHC. Celui-ci s’intéresserait « à l’impact de l’interprétation de la Chambre des notaires sur les transactions et sur l’ensemble des institutions financières ». Les communications doivent se poursuivre « incessamment ».

Notaires « intimidés », prêteurs perplexes

De leur côté, les entreprises FCT et FNF sont plus qu’inquiètes. Elles dénoncent avec vigueur les conséquences néfastes des communications et des formations récentes de la Chambre des notaires du Québec (CNQ) sur leurs activités dans la province, évoquant même un risque de fermeture.

« La CNQ dissuade et même intimide les notaires afin qu’ils n’acceptent plus les dossiers dans lesquels FCT est impliquée, en ce qu’elle suggère, à tort, que le modus operandi des centres de traitement serait devenu illégal, suite à l’entrée en vigueur de la Loi 23 », indique la demande introductive d’instance pour jugement déclaratoire et injonction permanente déposée par FCT en fin de journée jeudi.

La Chambre m’a écrit pour me préciser qu’elle réagirait à la nouvelle ce vendredi.

Selon les documents déposés en cour, des notaires ont communiqué avec FCT pour annoncer à l’entreprise que, n’étant plus à l’aise, ils ne désiraient plus collaborer avec elle et coupaient les ponts. Et « de nombreuses communications » ont été reçues de la part de prêteurs hypothécaires qui se questionnent sur la légalité de ses services au Québec.

Le 25 janvier, le Bureau du syndic de la Chambre a par exemple écrit à ses membres qu’il était proscrit d’accepter des mandats ou des directives de tiers limitant les gestes liés à leur fonction d’officier public. Et qu’au besoin, il n’hésiterait pas à prendre les mesures qui s’imposent. On peut y voir de l’intimidation, ou se réjouir qu’un syndic prenne son rôle au sérieux…

La position de FCT est sans équivoque : la Chambre des notaires adopte une interprétation de la loi 23 « qui a pour effet de dénaturer et de grossièrement exagérer la portée des actes réservés aux notaires » dans le but de l’écarter du marché québécois.

FNF, qui poursuit avec Chicago Title Insurance, croit que cette « controverse » est susceptible de paralyser ses opérations et pourrait entraîner sa fermeture au Québec.

Il y a sept ans, la Cour d’appel avait déterminé qu’elle ne voyait pas en quoi la protection du public serait mise en péril par les compagnies d’assurance titres⁠2. « L’objectif de protection du public est ainsi accru par cette double vérification », avaient même écrit les trois juges. Aujourd’hui, FCT met en doute les véritables motivations de la Chambre.

« En tant qu’ordre professionnel, la CNQ a pourtant pour principale fonction d’assurer la protection du public. Les gestes posés par la CNQ auprès de FCT n’ont aucunement pour effet de protéger le public, mais démontrent plutôt une volonté préoccupante de reconstitution d’un monopole que la CNQ a déjà cherché à obtenir sans succès. »

Dès l’adoption des changements dans la Loi sur le notariat, il était clair qu’un affrontement allait survenir. FCT et FNF n’allaient quand même pas se retirer du Québec sans broncher à cause de l’interprétation d’une organisation qui les a combattues jusqu’en Cour suprême et qui a perdu sur toute la ligne.

1. Lisez la chronique « La fin des signatures à distance provoque la colère des notaires » 2. Consultez le jugement de la Cour d’appel

Comment cela fonctionne-t-il ?

Pour profiter d’un meilleur taux hypothécaire, de plus en plus de Québécois se tournent vers les prêteurs non bancaires, aussi appelés prêteurs virtuels ou alternatifs. Ces entreprises (First National, Manuvie, MCAP, MERIX) absorbent les frais associés à la rédaction des documents légaux requis lors des renouvellements hypothécaires.

Ce travail est normalement confié aux parajuristes des firmes First Canadian Title (FCT) et Fidelity National Financial (FNF), qui incluent dans leur forfait une assurance couvrant la validité des titres de propriété sur l’immeuble hypothéqué. Les dossiers sont ensuite transmis à des notaires du Québec qui remplissent les formalités requises, vérifient l’identité, la qualité, la capacité, le consentement ainsi que l’état matrimonial de l’emprunteur avant d’instrumenter l’acte.

Des banques traditionnelles peuvent aussi avoir recours aux services de FCT et FNF.

L’assurance titres fait partie du marché québécois depuis le début des années 1990. FCT affirme avoir collaboré au traitement d’environ 600 000 transactions de prêts hypothécaires dans la province.