Les millionnaires ont toujours suscité des réactions mitigées. Certains jugent que le fait d’être millionnaire est un signe de réussite, d’autres voient les millionnaires comme des profiteurs, des suppôts du capitalisme ou pire, des escrocs. Le terme est lourd de sens.

Il n’empêche que les Québécois sont très nombreux à vouloir le devenir, à voir la popularité des loteries, entre autres. Les millionnaires éveillent la convoitise.

Mais que signifie être millionnaire aujourd’hui, à l’ère où le prix moyen d’une maison unifamiliale dépasse 600 000 $ dans la région de Montréal ? Et au fait, dans quelle classe d’actif les Canadiens ont-ils investi leur patrimoine, celui dont il est question dans le Global Wealth Report 2023 de la firme UBS, dont parle mon collègue Nicolas Bérubé ?

En fouillant, j’ai découvert des choses surprenantes. Entre autres, que la génération X, qu’on disait sacrifiée, vient de voir son patrimoine dépasser celui des baby-boomers. J’y reviens.

Quand j’étais jeune, l’idée d’être millionnaire était pratiquement impensable. Elle était réservée à quelques cas exceptionnels, surtout au Québec, cette terre de fidèles nés pour un petit pain. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, avec l’inflation qui a grugé la valeur de l’argent, notamment.

De fait, pour se comparer à un millionnaire de 1980, il faudrait avoir un patrimoine d’environ 3,3 millions aujourd’hui, si l’on s’en remet à l’indice des prix à la consommation (IPC). Ou encore, le millionnaire d’aujourd’hui pourrait se comparer à une personne ayant un patrimoine de « seulement » 302 000 $ en 19801.

Bref, on n’a plus les millionnaires qu’on avait…

Selon le rapport d’UBS, le Canada comptait plus de 2 millions de millionnaires en 2022, soit 1 Canadien sur 19. Et encore, il s’agit de millionnaires en dollars américains, pour les fins de la comparaison internationale. C’est quand même beaucoup, plus que dans la plupart des pays.

Sauf que le patrimoine qui est pris en compte ne comprend pas seulement les actifs financiers et placements plutôt liquides des citoyens, mais aussi leurs maisons et la valeur de leur régime de retraite. Il n’est donc pas étonnant, à ce compte, que le patrimoine moyen des adultes canadiens s’élève à 369 580 $ US (près de 500 000 $ CAN), selon UBS.

Au Canada, Statistique Canada tient un registre du patrimoine des ménages canadiens pour chaque trimestre. Un ménage compte un peu moins de 2,5 personnes au Canada, en incluant les enfants. À la fin de 2022, leur patrimoine moyen était de 927 680 $ CAN, après avoir atteint 1 million au début de 2022, avant la chute des marchés boursiers et immobiliers.

Dit autrement, le ménage moyen canadien est millionnaire aujourd’hui.

Où sont leurs actifs ? En moyenne, 38 % se trouvent dans l’immobilier (une fois l’hypothèque retranchée) et 19 % dans leur régime de retraite, selon les données de Statistique Canada. La valeur réelle de ces régimes n’est pas nécessairement connue des ménages, puisqu’il s’agit souvent de promesses de rente éventuelle, pas de valeur actuelle.

Au Québec, une plus grande part du patrimoine se trouve dans le régime de retraite. La différence s’explique probablement par les nombreux employés des secteurs public et parapublic qui bénéficient de tels régimes et de la valeur moindre des maisons ici.

D’ailleurs, pour l’avoir démontré dans une chronique en 2021, un fonctionnaire du gouvernement du Québec, dont le salaire moyen avoisine les 70 000 $ aujourd’hui, a un régime de retraite qui vaut plus de 750 000 $ après 35 ans de service. Et pour les cadres qui gagnent 100 000 $, la valeur du régime après 35 ans avoisine 1,4 million2

Les boomers et les X

Par ailleurs, en fouillant, j’ai découvert que pour la première fois, le patrimoine de la génération X a excédé celui des baby-boomers en 2022.

Ce dépassement est marquant, dans le contexte où la génération X a longtemps critiqué les baby-boomers qui l’ont précédée, jalouse de leurs emplois payants et nombreux, en plus d’avantages sociaux plus généreux.

En 2022, donc, les ménages canadiens de la génération X ont vu leur patrimoine atteindre 1,35 million de dollars, en moyenne, soit 100 000 $ de plus que le 1,25 million des boomers, selon les données de Statistique Canada.

Il faut dire que les boomers n’engraissent plus leurs avoirs autant qu’avant, étant nombreux à la retraite. Selon la définition retenue par Statistique Canada, en effet, les boomers ont aujourd’hui entre 58 ans et 77 ans.

Par ailleurs, les ménages de la génération X comme les milléniaux ont vu leur patrimoine exploser de 255 % depuis 10 ans ! À l’opposé, les personnes âgées de plus de 77 ans ont vu leur valeur nette décroître de 28 % en 10 ans, tandis que les boomers ont bénéficié d’une hausse de 48 %.

Le portrait canadien est enviable à l’international, le Canada terminant au 9rang pour le patrimoine moyen comme médian, selon UBS. La richesse des Canadiens varie cependant considérablement d’est en ouest.

Les Québécois, en particulier, sont nettement moins riches que la moyenne. La valeur nette moyenne des ménages québécois à la fin de 2022 était de 684 800 $ contre 927 860 $ pour les Canadiens.

De plus, la richesse relative des Québécois, mise en proportion de la moyenne canadienne, a considérablement reculé depuis 2010. À l’époque, le ménage québécois moyen avait un patrimoine de 426 000 $, soit 83,8 % du patrimoine canadien moyen (507 800 $).

Cette proportion a reculé rapidement jusqu’en 2017, probablement en raison de l’immobilier, avant d’atteindre un creux de 73 % en 2021, puis de se redresser pour une première fois en 2022, à 73,8 %.

Prix de consolation, si l’on peut dire : le patrimoine a grimpé nettement plus vite que l’inflation dans toutes les régions depuis 10 ans. La hausse canadienne moyenne est de 66 %, le double de l’inflation (31 %), alors que celle du Québec a été de 47 %.

Les Québécois ont donc encore un rattrapage à faire, encore faut-il qu’ils le veuillent…

1. L’IPC est imparfait, puisqu’il ne tient pas pleinement compte de la croissance économique et du niveau de vie, ni de l’augmentation de la valeur de certains actifs, comme les propriétés. Le logement figure tout de même dans le panier de consommation de l’IPC et demeure un indicateur intéressant pour la comparaison.

2. Pour les fins de l’exemple, j’ai redressé le salaire moyen à 70 000 $, bien qu’il ait été de 63 617 $ dans la chronique de 2021 (le salaire le plus récent disponible pour les calculs datait de 2017). Pour la chronique de 2021, voir ici :

Lisez la chronique « Les fonctionnaires, des millionnaires qui s’ignorent ? »