Les exigences de vaccination qui s’appliqueront aux camionneurs vont fragiliser une chaîne d’approvisionnement déjà mise à rude épreuve depuis le début de la pandémie, en plus d’exacerber les enjeux de main-d’œuvre qui donnent déjà des maux de tête aux entreprises, prévient l’industrie, qui réclame des assouplissements.

Autrement, la situation sera « ingérable », s’alarme l’Alliance canadienne du camionnage (ACC), qui vient d’interpeller six ministres fédéraux, dont le premier ministre Justin Trudeau, dans une lettre que La Presse a pu consulter.

« Cela pourrait entraîner [le départ] de nombreux travailleurs qui ont contribué à garantir la livraison de produits essentiels tout au long de la pandémie », écrit Stephen Laskowski, président de cette fédération d’associations provinciales de camionnage.

Celui-ci prend soin de préciser que l’Alliance est en faveur de la vaccination.

Avec environ 20 000 postes à pourvoir à l’échelle nationale, l’ACC, qui craint un éventuel exode des camionneurs, demande que les conducteurs conservent leur exemption actuelle ou que l’industrie bénéficie d’une période d’au moins un an pour se préparer. Mais avec le variant Omicron qui gagne du terrain au pays, rien n’indique qu’Ottawa fera preuve de souplesse.

Les [intentions actuelles] élimineraient entre 15 000 et 30 000 chauffeurs canadiens des chaînes d’approvisionnement.

Stephen Laskowski, président de l’Alliance canadienne du camionnage

Dès le 15 janvier, les camionneurs qui désirent entrer au Canada devront être complètement vaccinés. Les États-Unis devraient emboîter le pas, mais on ignore quand. L’industrie souhaite sensibiliser Ottawa et Washington. Elle appréhende aussi le règlement qui rendrait la vaccination obligatoire dans les secteurs sous réglementation fédérale.

Les entreprises de transport routier qui traversent les frontières provinciales sont assujetties au Code canadien du travail.

« On parle d’un enjeu interprovincial », souligne Marc Cadieux, président de l’Association du camionnage du Québec (ACQ), lorsqu’interrogé à propos de la sortie de l’Alliance, en soulignant que son organisation recommandait la vaccination. « Il pourrait y avoir une réaction assez forte. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Cadieux est président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec.

La crise sanitaire a accéléré les défis d’approvisionnement, ouvrant la voie à des pénuries. Les problèmes ont été aggravés par les inondations en Colombie-Britannique, qui ont forcé des fermetures ferroviaires et routières clés entre le port de Vancouver et le reste du pays.

Un effet domino

Selon M. Cadieux, des camionneurs qui ne veulent pas relever la manche pourraient refuser d’aller aux États-Unis ou de sortir des frontières du Québec. D’autres pourraient tout simplement quitter l’industrie.

Le président de l’ACQ craint également la création de différentes catégories au sein d’une même entreprise établie au Québec, puisque certaines de ses divisions sont assujetties à différentes chartes.

M. Cadieux dit ne pas avoir le portrait de la vaccination dans l’industrie du camionnage. À son avis, le taux doit être similaire à celui de la moyenne québécoise – 81 % de la population a reçu deux doses.

Conscient qu’il sera difficile de convaincre les personnes qui refusent catégoriquement les vaccins, celui-ci croit qu’un sursis permettrait néanmoins de réaliser des gains.

« On espère que cela permettrait de convaincre les indécis, explique M. Cadieux. Le but, ce n’est pas de se soustraire à la vaccination ad vitam æternam. »

De la patience

Un exemple des défis : Fuel Transport, établie à Montréal, offre une prime de 10 000 $ échelonnée sur 12 mois pour remercier ses travailleurs vaccinés et en attirer d’autres.

Ses 90 chauffeurs sont presque tous vaccinés, souligne son fondateur et chef de la direction, Robert Piccioni. L’industrie a besoin de temps pour se préparer, croit l’homme d’affaires.

« La règle, je suis d’accord avec, mais pas avec le moment, affirme M. Piccioni. On peut avoir une meilleure approche. Le 15 janvier, c’est dangereux. C’est un manque de sensibilité. »

Dans l’industrie du transport, la capacité peut avoir un effet sur les prix, souligne le président de Fuel Transport. Si moins de chauffeurs traversent la frontière, cela risque d’alimenter l’augmentation des coûts, croit-il, en ajoutant que c’est le consommateur qui écopera.

Le syndicat des Teamsters affirme représenter 5500 travailleurs du secteur au Québec. Il se retrouve dans une position délicate en recommandant la vaccination tout en défendant les intérêts de ses membres, y compris les récalcitrants.

Selon son directeur des communications au Québec, Stéphane Lacroix, la « vaste majorité » des membres ont reçu leurs doses de vaccin. À son avis, le « test du réel » risque d’en inciter certains à changer leur fusil d’épaule.

« Certains conducteurs qui vont aux États-Unis avec des salaires intéressants vont prendre le risque d’être écartés, dit-il. Est-ce qu’ils vont changer d’idée lorsque ce scénario sera sur le point de se concrétiser ? »

M. Lacroix a également souligné que le syndicat souligne à ses membres que lorsqu’un arbitre doit se prononcer, il tranche en faveur de la vaccination et des preuves d’immunisation.

120 000

Nombre de camionneurs canadiens qui effectuent des trajets transfrontaliers. Environ 40 000 titulaires d’un permis américain le font aussi.

(Source : Alliance canadienne du camionnage)