Ottawa a choisi le train à grande fréquence (TGF) pour améliorer le service de VIA Rail. Néanmoins, des documents internes de la société de la Couronne obtenus par La Presse indiquent que le couloir entre Montréal et Toronto est l’un des plus propices en Amérique du Nord à l'exploitation d'un train à grande vitesse (TGV).

Sur 21 trajets évalués par la Regional Plan Association, un organisme à but non lucratif établi à New York, celui qui relierait les deux métropoles canadiennes se classerait au sixième rang sur le continent. Les quatre premiers couloirs du palmarès, tous situés entre Boston et Washington en passant par New York, existent déjà. Le cinquième – entre Los Angeles et San Francisco – est en construction.

L’information émane d’un document d’environ 300 pages daté du mois d’avril et préparé par le Bureau de projet conjoint (BPC), sous la responsabilité de VIA Rail et de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC). Il concerne le projet du TGF entre Québec et Windsor, annoncé par le gouvernement Trudeau en juillet dernier.

Lourdement caviardé, ce rapport, qui contient de l’information « privilégiée et confidentielle », a été obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

« Nous avons des marchés qui sont très intéressants, souligne l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau. C’est encore plus intéressant avec la disparition [des services interurbains en autocar] de Greyhound. »

Pierre Barrieau estime qu’en dépit des défis techniques qu’il présente, un TGV qui relierait Québec à Toronto se classerait « dans le top 3 » au chapitre de l’achalandage, derrière l’Acela (le couloir entre Boston et Washington) ainsi que le projet en construction du côté de la Californie.

Le système de pointage de la Regional Plan Association est « crédible », affirme M. Barrieau. Le classement tient compte d’éléments comme l’accessibilité à des réseaux de transport en commun dans les villes, la densité de population, le produit intérieur brut et la diversité des économies.

Impossible de savoir si le document du BPC s’avance sur la facture et les contraintes techniques d’un TGV en raison des nombreuses pages caviardées. Transports Canada affirme que la facture pourrait atteindre 65 milliards pour un TGV Québec-Toronto et 40 milliards pour le couloir entre Montréal et la Ville Reine.

Le TGF, doté de voies ferrées réservées aux passagers et de trains pouvant circuler jusqu’à 200 km/h, pourrait coûter jusqu’à 12 milliards pour relier des villes comme Québec, Montréal et Toronto.

De nombreux détails du rapport concernant le TGF, comme les différents scénarios d’achalandage, qui auraient pu donner une idée de la demande pour ce type de service, ont été caviardés.

Sur cette question, Transports Canada affirme que les projections d’achalandage sont « influencées par plusieurs facteurs qui relèvent de la conception du projet », ce qui n’est pas terminé.

« Nous diffuserons plus d’information en temps opportun », a-t-on écrit, sans préciser si les prévisions d’achalandage seront diffusées.

Situation unique

Le Canada est l’unique pays du G7 à ne pas disposer de TGV qui peut atteindre 300 km/h. Sans se prononcer sur ce qu’Ottawa aurait dû faire, M. Barrieau concède que l’option du TGV est beaucoup plus dispendieuse. Il ne faut toutefois pas la mettre de côté pour autant, affirme l’expert.

« Il y a une solution bien simple à cela, c’est de remettre en question le modèle de financement, dit-il. Le programme actuel part d’une prémisse erronée. L’objectif n’est pas que les transports collectifs soient rentables, mais qu’ils améliorent le plus possible la qualité de vie. »

Transports Canada a répété avoir choisi le TGF parce qu’il apporterait des avantages « plus rapidement » aux voyageurs par rapport au train à grande vitesse. Ottawa réitère également des économies de temps et d’argent.

PHOTO MARC GLUCKSMAN, TIRÉE DU SITE WEB D’AMTRAK

L’Acela est considéré comme le TGV le plus achalandé en Amérique du Nord.

« La construction du TGV prendrait également plus de temps […] étant donné que sa mise en œuvre est beaucoup plus complexe, fait-on valoir. Le faible coût du TGF est plus avantageux. Le développement d’un segment à grande vitesse entre Toronto et Montréal multiplierait environ par trois le coût du projet. »

En Amérique du Nord, c’est l’Acela, un train Amtrak qui circule dans le couloir ferroviaire du Nord-Est américain, qui occupe les quatre premières places du palmarès grâce à des couloirs très achalandés comme New York-Washington et Boston-New York. Un bémol : il circule à une vitesse lui permettant d’être considéré comme un TGV sur une infime partie du trajet de 725 km. Dans plusieurs, sa vitesse est toutefois supérieure à celle d’un TGF.

Du côté de la Californie, le projet de train à grande vitesse, même s’il progresse, est aux prises avec d’importants dépassements de coûts et des retards. La facture a pratiquement triplé (98 milliards US), tandis que la mise en service, initialement prévue en 2020, a été repoussée à au moins 2029. Les trains peuvent atteindre une vitesse de 320 km/h.

Au Texas, le couloir Dallas-Houston, estimé à 16 milliards US, en est à ses balbutiements. Selon le rapport obtenu par La Presse, ce projet se classe derrière le tronçon Montréal-Toronto.

— Avec la collaboration de William Leclerc et Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse