La semaine où l’on célèbre l’entrepreneuriat autochtone, les Cris frappent un grand coup en lançant la construction d’une tour résidentielle de 25 étages avantageusement située à l’entrée du centre-ville.

Par un de ces paradoxes dont l’histoire a le secret, la propriété sera érigée sur le boulevard Robert-Bourassa, du nom du premier ministre du Québec qui a signé en 1975 la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, le traité qui a bouleversé à jamais la vie de ce peuple nordique.

Les Cris détiennent le lot depuis 1995. À l’époque, l’adresse était le 277, rue Duke. Elle a changé après la démolition du tracé aérien de l’autoroute Bonaventure.

« Je peux vous assurer que nous n’avons pas eu un mot à dire sur le choix du nom de la rue », dit en souriant Derrick Neeposh, président de la Cree Regional Economic Enterprises Company (Creeco), fonds souverain de la Nation crie en quelque sorte.

La Convention de la Baie-James a néanmoins eu son bon côté. Elle prévoyait le versement d’indemnités financières par Québec à la Nation crie en contrepartie des inconvénients causés par la construction du complexe hydroélectrique La Grande. À partir de 1982, les Cris ont choisi d’en investir une portion dans un fonds de développement économique : Creeco.

Cette société mère a depuis fait des petits, avec des filiales en construction, en aviation, en immobilier, en hôtellerie, en exploitation minière et même des partenariats dans des projets d’énergie éolienne.

Aujourd’hui, la division immobilière de Creeco, Eeyou Eenou Realty Properties (EERP), réinvestit le fruit des compensations financières à Montréal sur le boulevard Robert-Bourassa. Le regretté grand chef Billy Diamond, qui a combattu les travaux de la Baie-James devant les tribunaux avant de signer le traité, relèverait sans doute l’ironie du moment.

Pour Creeco, construire dans le Vieux-Montréal est d’abord et avant tout une façon de créer de la richesse dans le Nord.

« Lorsqu’on regarde la façon dont nous avons fait des affaires avec le Sud, avec de nombreuses entreprises, qu’il s’agisse de consultants, d’avocats, d’ingénieurs, pour fournir des services à nos communautés du Nord, on constate qu’il y a d’importantes fuites commerciales dans le Sud, alors que le Nord n’en retire pratiquement rien, explique M. Neeposh. Il est temps pour nous de générer de la richesse dans le Sud au profit du Nord. Les profits qui seront générés par ce projet serviront à créer de la richesse pour notre peuple », poursuit-il.

Une œuvre de l’architecte autochtone Cardinal

Le projet immobilier Odea Montréal, d’une valeur supérieure à 100 millions, illustre surtout les progrès spectaculaires de la Nation crie sur le chemin de l’émancipation économique.

Creeco, en soi, est rendu une énorme machine. De nombreuses Premières Nations nous ont contactés au fil des ans pour connaître notre histoire. Nous sommes très fiers de ce que nous avons réussi à faire en si peu de temps.

Derrick Neeposh, président de la Cree Regional Economic Enterprises Company

Le contraste est en effet saisissant. Les Cris font de la promotion immobilière au cœur de la deuxième ville du pays, alors que certaines nations autochtones, les malheureuses, manquent toujours d’eau potable.

Conçue par Lemay en collaboration avec l’architecte autochtone de renommée mondiale Douglas Cardinal – il a conçu le spectaculaire village cri d’Oujé-Bougoumou, près de Chapais –, Odea Montréal sera reconnaissable entre tous par la représentation d’un canot à la verticale dans sa façade. En effet, son arête fine comme une étrave est creusée comme si un canot y avait été incrusté. Les varangues de l’embarcation forment les balcons. Le nom du projet est dérivé du mot « canot » en cri : « odeyak ».

« La mairesse de Montréal nous a motivés à présenter un projet sortant de l’ordinaire, dit M. Neeposh. Selon ses propres dires, le projet que nous avions soumis au départ était banal étant donné sa localisation exceptionnelle. Elle nous a convaincus de construire quelque chose d’unique, quelque chose qui ne ressemblera ni à une boîte à beurre ni à une copie d’un bâtiment existant. Odea deviendra un point de repère dans la ville et il sera la fierté de beaucoup de futurs entrepreneurs de la Nation crie. »

  • Odea s’élèvera à l’entrée sud du centre-ville

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE PROMOTEUR

    Odea s’élèvera à l’entrée sud du centre-ville

  • Le projet Odea, de 80 m de haut. Son arête fine comme une étrave est creusée comme si un canot y avait été incrusté. Les varangues de l’embarcation forment les balcons.

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE PROMOTEUR

    Le projet Odea, de 80 m de haut. Son arête fine comme une étrave est creusée comme si un canot y avait été incrusté. Les varangues de l’embarcation forment les balcons.

  • Terrasse extérieure

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE PROMOTEUR

    Terrasse extérieure

  • Aperçu du hall d’entrée

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE PROMOTEUR

    Aperçu du hall d’entrée

  • Vue sur un espace commun prévu au projet

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE PROMOTEUR

    Vue sur un espace commun prévu au projet

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La tour comprendra 435 logements, 264 appartements locatifs et 171 copropriétés divises. Il y aura aussi 1000 m2 de bureaux et des commerces de proximité. Une partie du terrain de 3440 m2 servira d’espace vert. Le projet vise une certification écoénergétique LEED argent.

Le promoteur ayant obtenu son permis avant le 1er avril 2021, le projet Odea n’est pas assujetti au règlement sur la mixité, lequel impose 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux. La taille des logements va de 35 m2 à 120 m2.

Le partenaire des Cris dans le projet est la société immobilière bien connue Cogir, promoteur du complexe Humaniti dans le Quartier international et gestionnaire d’un parc de 27 500 logements. « Nous sommes fiers et honorés de travailler avec la Nation crie d’Eeyou Istchee dans un projet qui deviendra l’un des monuments culturels et architecturaux de Montréal », dit Mathieu Duguay, son président et chef de la direction, dans un communiqué remis à La Presse.

Cogir a été choisi parmi 40 partenaires qui se sont manifestés auprès des propriétaires du terrain convoité dans le cadre d’un processus qui s’est étiré sur plus de deux ans. « Nous voulions un partenaire prêt à nous guider et capable de comprendre le caractère très particulier de notre organisation », indique le président de Creeco.

La mise en vente des copropriétés commencera en mars prochain. La construction suivra sous peu pour une livraison de la tour de 80 m au printemps 2024.

Si Odea connaît le succès escompté, les Cris souhaiteront lancer un second projet. Ils détiennent d’ailleurs un terrain à Laval prêt à être mis en valeur.