L’incursion de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) dans les cryptomonnaies s’effectue aux côtés d’une entreprise sous la loupe des autorités réglementaires américaines. Si l’institution a décidé d’investir des millions dans Celsius Network, c’est qu’elle se dit convaincue d’aider la jeune pousse à se conformer plus rapidement.

Sans dévoiler la taille de sa mise, le bas de laine des Québécois participe à la ronde de financement de 400 millions US menée par WestCap, la société d’investissement fondée par l’ex-chef des finances d’Airbnb Laurence Tosi, afin de soutenir la croissance de l’entreprise établie à Londres. Il s’agit du premier investissement du genre pour la Caisse de dépôt.

Cela valoriserait Celsius à quelque 3 milliards US. Essentiellement, cette plateforme d’intérêts et de prêts sur monnaie virtuelle offre à ses clients des rendements pouvant atteindre jusqu’à 17 % sur les dépôts de cryptomonnaies comme le bitcoin.

« Les investisseurs institutionnels sont de plus en plus présents dans le monde des actifs numériques, affirme Alexandre Synnett, premier vice-président et chef des technologies à la Caisse. Les 100 plus grandes banques dans le monde ont investi dans 67 sociétés qui touchent de près et de loin les actifs numériques. »

La CDPQ semble adoucir le ton à l’endroit des monnaies virtuelles, même si elle n’en négocie pas directement.

En février 2018, le président de l’époque, Michael Sabia, qui répondait à une question sur le bitcoin, avait demandé si, pour un gestionnaire de régimes de retraite, « c’est une bonne idée d’acheter des billets de loterie ». Il avait ajouté que la Caisse était attentive à la technologie de la chaîne de blocs, pour son impact autant sur les services financiers que sur le processus d’intermédiation.

L’intérêt de la CDPQ à l’égard de Celsius concerne cette dernière partie, a souligné M. Synnett.

En vogue, avec des bémols

Dans un contexte où les taux d’intérêt se situent à des creux historiques pour de multiples produits financiers, les comptes offrant des intérêts sur les dépôts de monnaie virtuelle ont gagné en popularité.

Celsius dit pouvoir offrir des rendements élevés à ses clients en prêtant leurs dépôts à des taux encore plus élevés à des investisseurs institutionnels qui doivent emprunter afin d’effectuer des transactions. Elle dit compter plus d’un million de clients et que son actif total est de 25 milliards US.

Le paiement des intérêts s’effectue en cryptomonnaie, y compris par le propre jeton de l’entreprise.

« Celsius joue un peu le rôle d’un courtier numérique », note Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille chez Rivemont, une firme qui offre un fonds commun de placement basé sur le bitcoin. « C’est une plateforme qui est l’intermédiaire entre quelqu’un qui a besoin de cryptomonnaies et les gens qui en détiennent. »

Mais le modèle d’affaires de Celsius et d’autres sociétés offrant ces produits sont dans la ligne de mire des autorités réglementaires au sud de la frontière, qui estiment que les paiements effectués par Celsius avec sa propre monnaie virtuelle sont l’équivalent d’une offre de titres non enregistrés. Cette affirmation est contestée par l’entreprise.

Le mois dernier, le Texas a demandé la tenue d’une audience, qui doit avoir lieu le 14 février 2022, dans laquelle Celsius aura à expliquer pourquoi elle devrait pouvoir continuer à offrir ses produits. Le New Jersey a diffusé un avis visant à interdire certains produits décrits comme des titres non enregistrés à compter du 1er novembre. L’Alabama a aussi exprimé des inquiétudes.

Interrogé, M. Synnett a reconnu qu’il y avait des « enjeux réglementaires », ajoutant que la présence d’acteurs comme la CDPQ auprès de sociétés comme Celsius devrait permettre des avancées plus rapides au chapitre de la conformité.

« Les services financiers, cela fait 100, 150, 200 ans que ça existe, a ajouté le haut dirigeant de la Caisse. Ils ont vécu à travers une série d’évolutions et d’améliorations. Leur intention (à Celsius) est de travailler avec les autorités réglementaires. »

D’autres encadrements

Celsius est assujettie au dispositif anti-blanchiment américain ainsi qu’au processus de connaissance des clients visant à prévenir l’usurpation d’identité, la fraude et le financement d’activités illicites, a dit M. Synnett.

« La Securities and Exchange Commission est en grosse réflexion sur comment encadrer des firmes comme ça, a dit Martin Lalonde. Il n’y a pas vraiment de règles qui encadrent ces firmes. L’économie numérique va plus vite que les régulateurs. Les deux vont devoir se rejoindre quelque part. »

Selon M. Lalonde, le président du gendarme boursier américain, Gary Gensler, souhaite se pencher sur le secteur des cryptomonnaies afin d’adapter le cadre réglementaire. De l’avis du gestionnaire de portefeuille, cela est de bon augure.

Il n’avait pas été possible, mardi, d’obtenir des commentaires du chef de la direction de Celsius, Alex Mashinsky. Au Financial Times de Londres, celui-ci a toutefois déclaré que la participation de la CDPQ et de WestCap devrait contribuer à rassurer les autorités boursières américaines.

M. Lalonde a estimé que malgré quelques enjeux de réglementation avec les autorités réglementaires américaines, la Caisse avait investi dans une entreprise « solide » et qu’il n’était pas « inquiet ».

1000 : Celsius Network aimerait doubler son effectif pour qu’il atteigne 1000 employés d’ici quelques années. Les 400 millions US récoltés auprès de la CDPQ et de WestCap devraient financer des acquisitions.