CDPQ Infra a conclu au moins 40 ententes de confidentialité avec des villes, des organismes publics et même des ministres fédéraux depuis 2015 dans le dossier du REM, a appris La Presse. Une pratique qui ne vise aucunement à museler les critiques du projet, assure le groupe, ce dont doutent certains experts.

La filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec nous a transmis une liste détaillée des signataires de ces ententes, à la suite d’une demande d’accès à l’information. CDPQ Infra a toutefois refusé de nous fournir le contenu des lettres.

Les ministres fédéraux des Finances et des Transports, une douzaine de villes, dont Montréal, Laval et Longueuil, ainsi que plusieurs sociétés de transport de la région métropolitaine ont signé des ententes de confidentialité dans le dossier du Réseau express métropolitain (REM). Des centres de santé, dont le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), se sont aussi prêtés à l’exercice.

CDPQ Infra fera « zéro compromis » pour protéger « l’information privilégiée » touchant certains aspects de son projet de train automatisé, a indiqué Harout Chitilian, vice-président, affaires corporatives, développement et stratégie.

Le secret exigé par CDPQ Infra vise deux objectifs précis, explique-t-il. D’abord, éviter la spéculation foncière le long du tracé, pendant la phase de planification du projet, et ensuite protéger les informations sur les devis techniques, qui serviront à faire des appels d’offres publics.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Harout Chitilian, vice-président, affaires corporatives, développement et stratégie à CDPQ Infra

Je n’ai aucun inconfort à affirmer publiquement qu’on fera tout en notre pouvoir pour assurer l’intégrité de ces processus.

Harout Chitilian, vice-président, affaires corporatives, développement et stratégie CDPQ Infra

Harout Chitilian souligne que plusieurs signataires des ententes, comme le maire de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, ont pu exprimer sans aucun problème leurs doléances sur le REM au cours des derniers mois.

« On reçoit avec beaucoup d’aisance les critiques et les opinions qui sont émises », a-t-il dit, ajoutant « qu’en aucun moment, CDPQ Infra n’est intervenue pour mettre fin à ça ».

« Manque de transparence »

Le REM, un projet de plus de 7 milliards de dollars, comptera 67 kilomètres de rails et 26 stations réparties entre la Rive-Sud de Montréal, le centre-ville, l’ouest de l’île, l’aéroport et la banlieue nord. Le REM de l’Est – la phase 2 du réseau – prévoit quant à lui un tracé de 32 kilomètres et 23 stations vers la pointe est et le nord-est de l’île.

Québec a mandaté CDPQ Infra pour concevoir, financer et ensuite exploiter ces deux réseaux, qui devront générer des rendements au profit des épargnants québécois.

Si le groupe estime faire preuve d’une transparence exemplaire, Danielle Pilette, professeure associée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) spécialisée dans la gouvernance des organisations territoriales et la gestion municipale, analyse les choses différemment.

« Moi, j’ai eu connaissance du début du projet en 2016, et déjà en 2016, la Caisse n’était pas du tout transparente, entre autres avec la Ville de Montréal, avance-t-elle. Les informations coulaient déjà au compte-gouttes. »

Mme Pilette estime que CDPQ Infra a « jeté en quelque sorte un filet » en concluant des dizaines d’ententes de confidentialité avec ses partenaires. « Ça permet de tenir dans une certaine opacité le modèle d’affaires du REM », croit-elle.

Gérard Beaudet, professeur titulaire d’urbanisme à l’Université de Montréal, trouve pour sa part « tout à fait inusité » de voir une telle quantité d’ententes de confidentialité. Il dénonce « l’opacité » de CDPQ Infra.

MAQUETTE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

Maquette d’une station du futur REM de l’Est

Les maires comprennent

À la Ville de Montréal, on confirme avoir signé deux ententes, en 2016 et en 2020. « Ces ententes contiennent des clauses de non-divulgation qui concernent tous les aspects des projets, a indiqué le porte-parole Hugo Bourgoin. Tous les employés affectés aux projets mentionnés sont visés par ces ententes. »

La Presse s’est entretenue avec les maires de trois villes de l’ouest de l’île – Kirkland, Pointe-Claire et Sainte-Anne-de-Bellevue – qui ont tous signé les ententes de confidentialité.

Bien qu’ils émettent certaines réserves sur le REM, dont la construction bat son plein ces jours-ci, ces élus sont en général satisfaits de l’arrivée du train léger dans l’ouest. Ils disent tous comprendre et respecter les raisons qui ont poussé CDPQ Infra à exiger le secret sur certains aspects du projet.

Évidemment, le premier réflexe, c’est : pourquoi ? Est-ce éthique de le faire ? Il y a une ligne qu’on ne peut pas traverser, mais un niveau minimum de confidentialité peut être exigé.

Paola Hawa, mairesse de Sainte-Anne-de-Bellevue

À l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), le porte-parole Simon Charbonneau souligne que la signature d’une entente n’a « aucunement » empêché son organisme de se prononcer publiquement sur le REM. « Il s’agit d’une pratique usuelle entre organismes publics. Son recours et sa portée doivent s’inscrire dans un objectif commun d’une gestion saine et équitable tout en priorisant l’intérêt public. »

Philippe Déry, de la Société de transport de Montréal (STM), indique lui aussi que les ententes signées avec CDPQ Infra ne relèvent pas « d’une situation inhabituelle ». Il n’a toutefois pas été en mesure de les commenter, « puisqu’elles appartiennent à un tiers [CDPQ Infra] qui doit préalablement autoriser leur divulgation ».

La filiale de la Caisse a par ailleurs signé une série d’ententes de confidentialité avec des entreprises privées. Elle n’a pas fourni la liste des documents, « puisqu’ils comportent des informations confidentielles et stratégiques », a indiqué une porte-parole, Emmanuelle Rouillard-Moreau.