(Québec) Québec planche sur une nouvelle cartographie des zones inondables qui risque d’éclabousser des « milliers de propriétaires », désormais « pris en otages » de leur résidence en raison d’un carcan réglementaire et d’une perte de valeur foncière, craint un expert.

« À l’échelle du Québec, on parle de milliers de propriétaires. C’est majeur », estime Michel Leclerc, professeur associé honoraire à l’INRS et hydrologue-cadre des MRC Vaudreuil-Soulanges, Deux-Montagnes et Argenteuil.

L’ingénieur, également président du conseil d’administration de l’organisme de zone des bassins versants Charlevoix-Montmorency, connaît bien le Québec, qu’il a étudié au cours de sa carrière de plus de 50 ans. Le scientifique n’est pas opposé à l’exercice mis en branle après les inondations historiques de 2017 et de 2019 – « il faut se mettre les yeux en face des trous » –, mais il croit que le gouvernement doit absolument mettre en place des mesures pour compenser « les effets potentiellement délétères » de la nouvelle cartographie.

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L’hydrologue Michel Leclerc

Dans un document qu’il a rédigé pour le compte de la MRC de Vaudreuil-Soulanges, il souligne que « de vastes portions du territoire auparavant considérées [comme] non ou peu inondables verront ce statut révisé à la hausse ».

Il craint des conséquences pour les riverains, que ce soit en raison des mesures qui se trouveront dans le nouveau règlement sur les zones inondables ou de phénomènes externes, comme une perte de valeur foncière ou une restriction de l’accès au crédit hypothécaire et de l’assurabilité.

Des zones 100-350 ans

Actuellement, la cartographie des zones inondables présente des cotes de récurrence de « 0-20 ans » et de « 20-100 ans ». Le nouveau règlement ajoutera une troisième zone, celle de « 100-350 ans », selon un document obtenu par La Presse. Il y aura également un « relèvement généralisé des cotes de crues » pour prendre en compte la fréquence des crues des dernières années et les impacts des changements climatiques, notamment les risques de défaillance des efforts de retenue d’eau par Hydro-Québec dans le Nord. Des discussions sont « toujours en cours » pour connaître l’ampleur de cette hausse. Le ministère de l’Environnement va également ajouter un nouveau facteur de gravité de l’inondation, en hauteur d’eau en centimètres. En jumelant les deux, il pourra accoler à une résidence un indice de risque, de faible à très élevé. On ne connaît pas encore les contraintes réglementaires associées à ces degrés de risque.

Risque élevé 

M. Leclerc s’inquiète pour les propriétaires de résidences à risque élevé, qui s’y sont installés en toute légalité, peut-être même sans le savoir, et qui n’ont pas à être « ostracisés ».

Pour éviter cette situation, M. Leclerc propose que l’État québécois puisse offrir un « certificat de résilience » aux propriétaires des maisons immunisées contre les crues. Ce serait le cas par exemple de maisons sur pilotis, ou qui ont un vide sanitaire qui permet l’écoulement de l’eau. Et pour les autres, de l’aide sous forme d’un programme de mesures d’adaptation, lorsque la situation le permet, ou carrément de rachat des maisons lorsque l’on doit prendre la décision de fermer une rue en raison d’un risque extrême.

Erkan Yönder est professeur associé en finances à l’Université Concordia et spécialiste de l’impact des changements climatiques sur le marché immobilier. Il croit lui aussi que l’État devra aider les propriétaires de maisons situées en zone inondable. « Sinon, ils porteront seuls le poids des changements climatiques », affirme-t-il.

Le seul fait d’être situé en zone inondable ralentira les ardeurs des acheteurs, et réduira la valeur de la maison, croit-il. Dans ce cas, la perception du risque devient aussi importante que le risque lui-même.

C’est un problème difficile. On ne peut pas forcer les prêteurs à prêter de l’argent, et on ne peut pas les blâmer de prendre cette décision.

Erkan Yönder, professeur associé en finances à l’Université Concordia

Le Ministère plaide que « ces changements sont essentiels pour […] réduire les impacts futurs liés aux inondations » et qu’il prévoit « soutenir les municipalités et déployer des outils de communication destinés au grand public » pour « expliquer les impacts que [ce projet de règlement] pourrait avoir pour les personnes touchées directement ».

En février, le ministre Benoit Charette reconnaissait que sa réforme provoquerait « des changements majeurs, qui ont des impacts dans la vie de bien des citoyens et citoyennes ». « Il y a des gens dont le niveau de risque va augmenter par rapport à la situation qui est connue aujourd’hui. Mais c’est une conséquence des changements climatiques », avait-il dit.

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Inondations dans l’île Mercier, dans l’ouest de Montréal, en 2017

« Une prise de conscience »

Actuellement, le gouvernement du Québec n’a budgété que 75 millions de dollars pour aider le milieu municipal à réaliser des projets de relocalisation et d’immunisation de bâtiments situés dans les zones à risque élevé d’inondation.

Ce montant est largement insuffisant, plaide Nicolas Milot, directeur de la transition écologique et de l’innovation de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). « Ça ne permet de travailler que sur une seule ville. Ce n’est pas un budget suffisant pour tenir compte de tous les bâtiments à risque très élevé. Je sais que ce n’est pas l’objet du règlement, mais la question va rester entière : que fait-on avec ces propriétés ? », laisse-t-il tomber.

Le signal de Desjardins ce printemps, c’est un gros wake-up call. C’est quand même le fondement même de notre façon de gérer nos propriétés : le rôle du prêteur hypothécaire est central.

Nicolas Milot, directeur de la transition écologique et de l’innovation de la CMM

Lisez l’article « Les propriétaires le bec à l’eau »

« Pour les gens qui sont dans les zones les plus à risque, le projet de règlement n’est pas en train de les sortir de la zone inondable. […] Ultimement, ce sont d’autres forces qui vont venir gérer les zones les plus à risque, dont les prêteurs hypothécaires », dit M. Milot.

Sur le territoire de la CMM, le règlement du ministre Charette ne provoquera pas de « tsunami », croit-il, puisque les zones les plus à risque sont bien connues depuis les inondations de 2017. Mais il croit qu’il y aura une « une prise de conscience très réelle » de la part des citoyens. Par exemple, des propriétaires qui se croyaient à l’abri derrière une digue seront identifiés comme étant en zone inondable, mais protégée. « Ça va être un changement de paradigme. On va arrêter de considérer que derrière la digue, il n’y a pas de risque. Il y en a un risque […], c’est la rupture de l’ouvrage », dit-il.