Ne dites pas à Jagmeet Singh qu’il appuie le gouvernement, il vous répondra qu’il le force plutôt à concrétiser des programmes que les libéraux n’auraient pas mis sur pied autrement. L’automne a été fructueux pour le chef néo-démocrate et son équipe, mais leur pacte survivra-t-il jusqu’en 2025 ?

(Ottawa) « On a suivi la tradition du Nouveau Parti démocratique où chaque fois, dans le passé, quand on a eu une occasion d’avoir du pouvoir, on l’a utilisé pour faire des gains pour les gens », explique Jagmeet Singh en entrevue, une semaine après la naissance de sa deuxième fille.

« C’est ce que Tommy Douglas a fait avec les soins de santé », ajoute-t-il.

Alors qu’il était premier ministre de la Saskatchewan, Tommy Douglas a mis sur pied le régime universel d’assurance maladie qui allait par la suite être adopté à l’échelle nationale. Il a ensuite fait son entrée sur la scène fédérale comme chef du Nouveau Parti démocratique après sa fondation en 1961.

M. Singh, qui est devenu en 2017 le huitième leader de la formation politique, cite quelques gains en exemple. Le projet de loi anti-briseurs de grève déposé en novembre, qui vise à interdire le recours aux travailleurs de remplacement dans les industries réglementées par le gouvernement fédéral, et le programme d’assurance dentaire qui touchera 9 millions de Canadiens.

L’annonce de ce programme a eu lieu au début de la dernière semaine de travaux parlementaires avant la relâche des Fêtes. Deux jours plus tard, les ministres Patty Hajdu et Sean Fraser annonçaient en compagnie d’une poignée de députés néo-démocrates la création d’un centre national pour et par les Autochtones, chargé de distribuer 4 milliards pour des projets de logement hors réserve. Il s’agissait de l’une des 24 priorités de l’entente entre les libéraux et les néo-démocrates.

L’accord tient, pour l’instant

Six mois après les dernières élections fédérales, les deux partis ont annoncé qu’ils avaient conclu un accord de confiance et de soutien pour permettre au gouvernement minoritaire de Justin Trudeau de gouverner comme s’il détenait une majorité de sièges à la Chambre des communes.

On les a vus main dans la main lors d’annonces communes au cours de l’automne. Jagmeet Singh ne craint-il pas que son parti orange ne devienne teinté de rouge ?

On ne soutient pas les libéraux, on les force à faire des choses pour aider les gens, pour donner un coup de main aux familles et aux travailleurs.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Même s’ils ont pu réaliser plusieurs points majeurs de leur entente avec les libéraux, les néo-démocrates n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente avec le gouvernement sur la mise en œuvre d’un régime universel d’assurance médicaments. Leur accord précise qu’un projet de loi devait être adopté « d’ici la fin de 2023 ». Il n’a jamais été déposé.

C’est pourtant le deuxième point de leur liste après le programme de soins dentaires et les militants néo-démocrates y tiennent. Lors du dernier congrès du NPD en octobre, ils ont envoyé un message fort à leur chef. Soit le gouvernement accepte de créer une assurance médicaments universelle, complète et entièrement publique, soit ils déchirent l’accord avec les libéraux.

L’échéance pour déposer un projet de loi a récemment été repoussée au 1er mars, ce qui laisse planer un doute sur la pérennité de l’entente. Si les néo-démocrates sont insatisfaits de ce qui est proposé par les libéraux, ils pourront toujours retirer leur confiance dans le gouvernement en votant contre le prochain budget.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Jagmeet Singh

Ce que les libéraux ont montré, on l’a rejeté. Puis, ils ont compris et on reste optimistes qu’on peut réaliser quelque chose d’acceptable d’ici mars

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Le programme pourrait être mis sur pied par étapes comme celui pour les soins dentaires.

Le ministre de la Santé, Mark Holland, a affirmé à plusieurs reprises que le gouvernement devait respecter sa situation fiscale. Le coût annuel d’un tel programme s’élèverait à 13,4 milliards après cinq ans, et les économies qu’il engendrerait atteindraient 2,2 milliards, selon le directeur parlementaire du budget. Le programme permettrait d’obtenir un meilleur prix pour les médicaments.

Le conseil consultatif présidé par l’ex-ministre de la Santé de l’Ontario, Eric Hoskins – libéral – avait noté dans son rapport en 2019 que les prix au Canada sont parmi « les plus élevés du monde ». Il recommandait alors la création d’un régime public d’assurance médicaments universel à payeur unique.

Des subventions à arrêter et des appuis à récolter

« Il y a aussi d’autres dépenses qu’on doit arrêter, fait valoir M. Singh. Je l’ai dit par le passé qu’on doit arrêter de dépenser des milliards de dollars pour les entreprises pétrolières qui gagnent des profits records et continuent d’avoir des subventions du gouvernement fédéral. »

« Les centaines de millions de dollars pour des consultants, c’est un autre élément qu’on peut arrêter. »

Malgré ses victoires, le NPD obtient le même niveau d’appui dans les sondages à l’échelle du pays alors qu’ils fluctuent pour les conservateurs et les libéraux.

« Les résultats sont là et on va les présenter aux gens et aussi présenter leurs options », affirme le chef néo-démocrate. « Ils peuvent continuer d’appuyer les libéraux qui sont déconnectés ou les conservateurs qui veulent couper tous les programmes dont les gens ont besoin. »

Jagmeet Singh a conscience qu’il a « choisi un chemin plus difficile » en devenant chef du NPD, un parti qui n’a jamais formé de gouvernement sur la scène fédérale, mais c’est aussi quelqu’un qui a plutôt tendance à voir le verre à moitié plein.