Une quarantaine de cols bleus issus de minorités visibles déplorent l’inaction des dirigeants de l’arrondissement de Montréal-Nord et de la Ville ainsi que l’absence de compensation face au racisme dévoilé le printemps dernier dans deux rapports.

« Il y a des gens présents ici qui n’ont jamais eu de possibilité d’avancement. Pas d’augmentation de salaire. Pas de stabilité. Pourquoi admettre qu’il y a un problème, si tu ne veux pas offrir de compensations ? Les bottines doivent suivre les babines. »

La voix de Franklin Bismar s’élève soudainement lors du point de presse organisé par le Centre de recherche-action sur les relations raciales.

Il exige des compensations et un changement de culture profond pour éviter toutes pratiques discriminatoires.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Franklin Bismar

Je ne pense pas qu’un chèque puisse nous redonner ce qu’on a perdu en termes de dignité. On veut que la Ville se rende compte qu’elle a fait du tort à des gens qui subviennent aux besoins de leur famille.

Franklin Bismar

Jean-Edvard Joseph s’occupe de l’entretien ménager d’une piscine municipale. Compte tenu de son ancienneté, il aurait dû obtenir le poste affiché en 2013 qui lui permettait d’avancer dans sa fonction et d’obtenir une sécurité d’emploi.

« Selon la convention collective, le plus ancien par section peut obtenir la permanence », renchérit l’homme, amer.

Pourtant, un employé d’une autre section transféré à la va-vite a eu le poste convoité. Du favoritisme, plaide M. Joseph. Après une plainte pour mauvaise représentation syndicale, on lui a donné raison. « Ils n’ont pas eu le choix de me donner la permanence », conclut le concierge.

« Aussitôt qu’il y a une ouverture de poste permanent, il y a un prétexte pour écarter notre candidature », affirme M. Joseph.

Des rapports, peu d'action

Deux rapports parus en mai dernier faisaient état de discrimination envers les cols bleus issus de minorités visibles dans l’arrondissement de Montréal-Nord. On y signalait du favoritisme envers les candidats blancs, des pressions sur les contremaîtres pour former des équipes homogènes sur le plan racial, un « climat toxique » et des répercussions chez certains cols bleus ayant osé dénoncer la situation.

Lisez « Privilèges blancs chez les cols bleus de Montréal-Nord »

Les victimes de discrimination ont vu très peu d’action depuis la parution des rapports, malgré les recommandations, déplore Jean-Newton Jeantine, qui travaille à la voirie de Montréal-Nord.

« Quand il y a des blessures, il faut des réparations. Le syndicat nous a laissé tomber. Ils ont négligé notre cause, à savoir le racisme », dénonce l’employé à la voirie de Montréal-Nord.

Une discussion entre les parties patronale et syndicale sur le règlement de tous les griefs à l’arrondissement s’est entamée, certes.

Mais les cols bleus issus d’une minorité visible, majoritairement d’origine haïtienne, reprochent au syndicat de ne pas avoir tenu de séance d’information et de consultation.

Malgré le dépôt des rapports commandés par le syndicat et l’employeur, des pratiques néfastes subsistent, estime Patrick Roy, délégué syndical à Montréal-Nord depuis 13 ans.

On n’est pas capable d’avoir de listes d’ancienneté ou d’admissibilité à un poste. Ils ne veulent pas les donner au syndicat local.

Patrick Roy, délégué syndical à Montréal-Nord

Un grief collectif pour dommages moraux a été déposé, mais le syndicat n’a pas rencontré les personnes concernées ni fait enquête, affirme Patrick Roy. Les griefs datant d’avant la parution du rapport seront liés à une clause de confidentialité. « On ne peut donc pas plaider de grief collectif pour ceux-là. Ça affaiblit le grief de dommages moraux, et on ne pourra avoir de compensations. »

Campagne de sensibilisation

« Nous travaillons d’arrache-pied avec des spécialistes externes afin de mettre sur pied une vaste campagne de sensibilisation et de formation sur les effets négatifs du racisme et des discriminations dans tous nos milieux de travail. Toutes les personnes déléguées syndicales et membres de comités seront formées à bien [reconnaître] et combattre les actes racistes ou discriminatoires », a affirmé Luc Bisson, président du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, dans un communiqué.

« Avec la participation des représentants locaux concernés, toutes propositions de règlement seront soumises aux personnes touchées pour approbation », ajoute Frantz Élie, conseiller syndical au Syndicat canadien de la fonction publique, au sujet des griefs liés au racisme.

L’arrondissement de Montréal-Nord estime pouvoir arriver à une solution par la négociation, en dehors des tribunaux, selon un communiqué publié quelques heures après la sortie des cols bleus. « Des rencontres productives [avec le syndicat] ont déjà eu lieu et se poursuivront dans les prochains jours afin de parvenir à une entente satisfaisante pour l’ensemble des parties. »

Plusieurs actions ont été mises en œuvre depuis, assure-t-on. On parle notamment d’un « chantier commun avec le syndicat », qui « revoit l’ensemble des pratiques reliées aux mouvements de personnel et qui se déploie depuis plus de six mois ».

Plante et Coderre se font rassurants

Il faut combattre toutes les formes de discrimination quand elles ont lieu et s’assurer qu’il y a une ligne confidentielle pour la dénoncer, a expliqué Denis Coderre, appelé à réagir en marge d’un point de presse. « Quand j’aurai le dossier entre les mains, on va le regarder. Quand on parle de racisme systémique et de profilage racial […], on se doit d’être exemplaire », ajoute le candidat à la mairie de Montréal.

La mairesse sortante de Montréal, Valérie Plante, se fait rassurante, rappelant que son administration a reconnu l’existence du racisme et de discriminations systémiques, et s’est engagée à enrayer la problématique sous toutes ses formes.

L’équipe de Will Prosper, candidat à la mairie de l’arrondissement de Montréal-Nord, va « s’assurer que le climat de travail dans l’arrondissement soit sain et exemplaire pour l’ensemble des employés », ajoute l’attaché de presse de Mme Plante, Youssef Amane. « M. Prosper et son équipe sont les mieux placés pour faire avancer ce dossier à Montréal-Nord. »