Il y aura une commission d'enquête sur l'industrie de la construction, mais à la tête du gouvernement de Jean Charest, hier, on travaillait toujours à trouver le commissaire «au-dessus de tout soupçon» et les adjoints susceptibles de satisfaire l'opinion publique.

Le premier ministre Charest rencontre ses députés ce matin, dès 8h - il a fait devancer la réunion du caucus qui se tient habituellement à midi le mardi, une opération manifestement destinée à souligner l'importance de la décision qu'il compte annoncer, explique-t-on.

L'objectif de M. Charest est de rallier tous les élus libéraux à son plan de match à la veille du congrès libéral de la fin de semaine prochaine. «Le caucus s'attend à ce qu'il montre une certaine ouverture à une commission d'enquête. Est-ce que c'est ça qui sera annoncé? Je n'en sais rien», a expliqué Henri-François Gautrin, vétéran de Verdun. Chez les dirigeants du Parti libéral, on se dit convaincu qu'une annonce tombera aujourd'hui ou demain au plus tard pour s'assurer que le congrès se passe sans problèmes, explique-t-on.

Toute la latitude

Selon les informations que La Presse a obtenues, M. Charest compterait confier «un mandat très large» au commissaire. Un scénario où ce commissaire aurait, dans un premier temps, à délimiter lui-même son mandat a aussi été sérieusement examiné, semble-t-il. «Les gens qui seront choisis auront toute la latitude pour définir leur champ d'intervention», confie-t-on. Dans les milieux libéraux, on indique aussi que la partie à huis clos des audiences sera importante, Jean Charest étant préoccupé par les risques que comportent ces opérations médiatisées pour la réputation de firmes et de dirigeants d'entreprise.

Pas question, par ailleurs, de nommer un «superprocureur» dont le mandat chevaucherait celui du directeur des poursuites - une structure incompatible avec la justice criminelle au pays.

On cherchait encore hier soir la perle rare, une personnalité de l'envergure d'une Sheila Fraser - ex-vérificatrice générale à Ottawa - qui ferait l'unanimité. Pas question, toutefois, de déléguer ce choix délicat au vérificateur général, comme le propose le Parti québécois.

Plusieurs sources soulignent que le mandat de la commission porterait sur une longue période - le commissaire aurait à se pencher sur les mécanismes d'attribution de contrats sur une quinzaine d'années, au moins, ce qui permettrait de couvrir aussi les régimes péquistes. De la même manière, on voudrait inclure le financement des partis politiques, «une façon d'amener le PQ dans le même bateau», résume-t-on.

Du muscle à la Régie

L'annonce qui tombera au moins en partie aujourd'hui pourrait être complétée après la réunion du Conseil des ministres de demain. Cette initiative ne sera pas isolée; la titulaire du Travail, Lise Thériault, déposera rapidement un projet de loi pour donner plus de muscle à la Régie du bâtiment, qui s'est retrouvée dans l'embarras la semaine dernière. La Presse a révélé que, malgré une nouvelle loi contre la criminalité dans la construction, la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) avait accordé à un présumé trafiquant de drogue une licence d'entrepreneur.

En décembre 2009, le gouvernement a adopté le projet de loi 73 afin d'aider la Régie à assainir le milieu de la construction. En juin 2010, la Gendarmerie royale du Canada a arrêté l'homme d'affaires montréalais Michel Safar, après avoir saisi 343 kg de cocaïne dans des tuiles de céramique importées du Venezuela. Safar, 47 ans, a été libéré sous caution en attendant son procès. Or, six mois plus tard, la Régie du bâtiment a remis une licence d'entrepreneur à sa firme, la société à numéro 7 199 236 Canada inc., officiellement située dans sa résidence, à Pierrefonds.

Le nouveau projet de loi étendrait aussi les pouvoirs de la RBQ pour lui permettre de retirer des licences à des contrevenants, même si les délits ne touchent pas exactement l'activité de construction.

La semaine dernière, à Montréal, Constructions Louisbourg ltée, propriété de la famille de l'homme d'affaires Tony Accurso, s'est présentée devant la RBQ. L'entreprise s'est reconnue coupable, en décembre dernier, d'une fraude fiscale de 4 millions envers Revenu Canada. En outre, la firme, contrairement aux déclarations de M. Accurso, avait été condamnée une trentaine de fois pour des infractions à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, entre janvier 2006 et juin 2010.

Pour révoquer le permis de la firme, la RBQ doit démontrer que la fraude fiscale pour laquelle la société a plaidé coupable touchait ses activités de construction. Or, en s'avouant coupable d'une fraude contre Revenu Canada, Constructions Louisbourg a fermé le dossier, sans possibilité que la preuve accumulée puisse être transmise à l'Agence québécoise du revenu.

Accusations imminentes

On s'attend à ce que l'Unité permanente anticorruption (UPAC) dépose rapidement d'autres accusations touchant cette fois des contrats alloués par la Ville de Montréal, a appris La Presse. Le controversé contrat des compteurs d'eau, annulé par l'administration Tremblay durant la campagne électorale de 2009, n'est toutefois pas encore sur le bureau du directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Louis Dionne.