La directrice à la planification du futur méga-hôpital du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a raconté devant la commission Charbonneau, cet après-midi, comment elle a été menacée pour hausser le pointage du consortium SNC-Lavalin, puis carrément écarté du processus de sélection.

Immacalata Franco, qui représentait le point de vue des travailleurs de la santé au CUSM, a siégé sur deux des sept sous-comités de sélection du projet du nouveau CUSM: ceux de l'architecture et de la fonctionnalité. Franco relevait de Yanaï Elbaz le bras droit du DG du CUSM, le Dr Arthur Porter.

Même si Elbaz n'a pas participé au processus de 44 semaines qui visait à répondre aux questions des deux consortiums soumissionnaires SNC-Lavalin et le géant espagnol OHL, il a ouvertement fait connaître sa préférence auprès des membres des sous-comités, a témoigné Mme Franco.

Lorsqu'est venu le moment de donner des notes aux deux consortiums, en novembre 2009, Elbaz a même tenté d'influencer Franco pour qu'elle favorise SNC-Lavalin. « Il est venu dans mon bureau. Il a pris le soin de me rappeler de faire ce que le patron voulait et d'où venait ma paye », se rappelle-t-elle, en soulignant que le « patron » en question était le Dr Porter.

Franco a refusé de se plier à cette menace. «Je n'ai pas influencé mes collègues. Au contraire, je leur ai même rappelé de faire leur travail rigoureusement. »

Le 30 novembre, le comité de sélection qui entendait les évaluations de tous les sous-comités sur les propositions des deux soumissionnaires interrompt ses travaux pour des motifs nébuleux.

À ce moment, Porter insistait pour disqualifier OHL. Une rencontre est organisée le 2 décembre 2009 avec Yves Bolduc, alors ministre de la Santé et Monique Gagnon-Tremblay, alors présidente du Conseil du trésor. Porter assure les ministres qu'il obtiendra un désistement volontaire de OHL, ce qui n'est jamais survenu, malgré une tentative de corruption.

Surprise

Le 3 décembre 2009, le Dr Arthur Porter recommande tout de même au conseil d'administration de l'hôpital de choisir le consortium dirigé par SNC-Lavalin pour construire le nouvel hôpital. Sa proposition est entérinée. Les membres du conseil répandent la nouvelle à la sortie de la réunion.

« J'étais très surprise parce que le processus d'évaluation n'était pas complété », a dit Mme Franco. C'était une surprise aussi, dit-elle, parce que les résultats des évaluations qualitatives penchaient pour le projet de OHL.

Le lendemain de la rencontre du CA, OHL envoie une mise en demeure à l'Agence des partenariats publics-privés (PPP), chargée de superviser le processus au nom du gouvernement du Québec. OHL disait avoir été disqualifié injustement et menaçait de déposer une poursuite en justice.

Pour dénouer l'impasse, le gouvernement du Québec décide, en janvier 2010, de relancer un nouvel appel de propositions: personne n'était disqualifié, mais les deux consortiums étaient invités à faire une meilleure offre. Comme les deux avaient été incapables de respecter un plafond de 1,1 milliard lors de l'appel initial, celui-ci a été haussé à 1,3 milliard pour le deuxième appel.

Franco a été écartée de la deuxième ronde des sous-comités de sélections, dont Elbaz avait saisi le contrôle. «Sans aucun mot d'eux, c'était clair qu'ils ne voulaient pas que je participe à la deuxième phase. »

« Vous n'êtes rien»

Après Franco, la commission a entendu Miguel Fraile Delgado , le directeur-général de OHL construction Canada. Ce dernier a indiqué avoir été convoqué à une rencontre par St. Clair Armitage, un expert britannique des PPP recruté par le CUSM. Il lui aurait alors offert 2,5 millions $ provenant des coffres de la fondation du CUSM pour qu'il accepte de signer une quittance pour se désister du projet. «J'ai dit non et j'ai dit que je voulais parler au Dr Porter. Je lui a dit qu'on ne va pas se retirer qu'on va continuer à se battre jusqu'à la fin », dit Fraile.

Plus tard, alors que la préparation des nouvelles propositions battait son plein, Riadh ben Aissa, un dirigeants de SNC-Lavalin, a convoqué Fraile Québec à une rencontre. « Il m'a dit : vous n'êtes rien, que Montréal c'est sa ville, qu'on doit se retirer », a-t-il relaté. « Il a dit que si on gagnait le contrat, il rendrait notre vie impossible. »

Arthur Porter est quelqu'un d'« extraordinaire »

La commission Charbonneau a aussi entendu plus tôt dans la journée le responsable du dossier de la construction du nouveau Centre universitaire de santé McGill (CUSM) à l'Agence des partenariats publics-privés (PPP) au moment où le Dr Arthur Porter aurait magouillé pour orchestrer la fraude de corruption la « plus importante de l'histoire du Canada ».

Selon Gabriel Soudry, Arthur Porter jouissait d'une certaine « aura ». « Je n'ai pas pensé que c'était un complot! M. Porter c'est quelqu'un qui était extraordinaire », a-t-il déclaré ce matin.

L'Agence des PPP était le représentant du gouvernement du Québec dans le processus de préparation des propositions de SNC-Lavalin et de OHL dans le projet de construction du méga-hôpital. L'évaluation des deux propositions était effectuée dans ses moindres détails par des sous-comités rassemblant des représentants du CUSM, du gouvernement et de la fondation du CUSM. « Je n'avais jamais vu autant de compétences dans des sous-comités. C'était un processus exemplaire », a dit Soudry.