La commission Charbonneau est plongée depuis ce matin dans un cours d'immersion sur le fonctionnement, les structures et le code d'honneur de la mafia sicilienne (Cosa Nostra), comme cela a été exposé par la criminologue et spécialiste du crime organisé en Italie, Valentina Tenti.

> Étude sur l'infiltration de la construction en Italie par la mafia (PDF)

> Le CV de Valentina Tenti (PDF)

Régie par un code d'honneur très strict, au parfum un peu archaïque (voir encadré), férocement territoriale, plus assoiffée par le pouvoir que par l'argent, Cosa Nostra n'hésite pas à asseoir son autorité par l'intimidation et la violence. Elle s'est imposée depuis le XIXe siècle dans la vie sociale italienne en se rendant essentielle à ses concitoyens, en suppléant notamment aux carences de l'État, et ce, au point où la population trouve normal, dans une culture mafieuse, de payer son «pizzo» pour s'assurer de sa bienveillance.

Le portrait riche et nuancé dépeint par la criminologue, depuis ce matin, montre les racines profondes de cette organisation criminelle, la mythologie particulière des hommes d'honneur, et l'importance accordée à maintenir sa réputation ou son «halo», comme le dit Mme Tenti, pour maintenir son influence.

Le clan des Nick et Vito Rizzuto, qui a longtemps dominé la mafia montréalaise, est d'origine sicilienne. Il avait supplanté le clan calabrais des Cotroni et Paolo Violo, dans les années 70.

Mafia et construction

Dans un rapport déposé hier à la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans la construction, Mme Tenti décrit trois grandes familles mafieuses de l'Italie (Cosa Nostra, en Sicile, 'Ndrangheta, en Calabre, et la Camorra, à Naples).

Dans la seconde partie de son rapport qu'elle présentera plus tard à la commission, Mme Tenti exposera en détail trois «cas types», documentés par des enquêtes policières,  où ces organisations sont parvenues à s'infiltrer dans les processus d'attribution de divers contrats d'infrastructures publiques, au cours des dernières années, en Italie.

Le témoignage de Mme Tenti à la commission Charbonneau a pour objectif de mieux connaître les us et coutumes de ces organisations criminelles qui sont présentes au Québec, au Canada et aux États-Unis, et qui possèdent toutes leurs propres ramifications, au travers de multiples entreprises, dans l'économie «légale». Et en particulier dans les entreprises de construction.

Les hommes d'honneur

L'origine du mot «mafia» se prête à de multiples origines et interprétations dont les premières apparitions sont documentées vers 1860, dans le sud de l'Italie, aux environs de Palerme. Elle désigne des clans familiaux qui dans l'Italie rurale du Sud, s'imposent comme des intermédiaires entre les grands propriétaires terriens et les paysans qui cultivent leurs terres.

Déjà à cette époque, dit Mme Tenti, les structures très hiérarchisées et les liens très forts, que la criminologue qualifie de «fraternels», entre ses membres, caractérisent déjà la mafia sicilienne naissante. Ces groupes s'arrangent pour se rendre essentiels aux paysans autant qu'à leurs maîtres «en servant les deux. Ils protègent la terre pour les propriétaires, et ils aident les paysans à accomplir leurs tâches.»

Ce n'est que dans les années 50, dans l'Italie d'après la Deuxième Guerre mondiale, que Cosa Nostra commence à faire sentir sa présence dans les villes. Elle s'impose dans le milieu de la construction pour tirer profit des grands chantiers de reconstruction du pays après des années de guerre.

En 1957, à Palerme, est créée la première «commission», un organisme qui établit des liens «d'affaires» entre les différentes familles mafieuses, «essentiellement pour des questions de coordination» dans de nouveaux «marchés», comme le trafic de drogue, qui requiert des moyens considérables.

Cette capacité d'adaptation aux différentes époques qu'elle traverse distingue aussi la mafia sicilienne d'autres organisations criminelles, dit Mme Tenti. Le système de valeur qui la caractérise, et qui contribue à l'unité de ces membres, permet aux organisations une transformation «moderne», sans perdre leur identité particulière. Comme un ciment.

En 2007, lors d'une opération policière contre Cosa Nostra et son chef, Salvatore Lo Piccolo, explique Mme Tenti, les autorités policières ont d'ailleurs été étonnées de trouver une version écrite des «10 commandements» du mafieux, accompagné d'une description du rituel d'admission des «hommes d'honneur» au sein de la famille, identique à celle mise en scène dans le film Cosa Nostra: The Valachi Papers, qui mettait en vedette Charles Bronson, dans le rôle du gangster Joe Valachi, devenu informateur de police dans les années 60.

Mme Tenti a complété son exposé sur l'histoire de Cosa Nostra vers midi, et débute sa description de la mafia calabraise, ou 'Ndrangheta, identifiée, en 2008, par des autorités policières, comme la plus puissante famille mafieuse au monde.

LES 10 COMMANDEMENTS

En novembre 2007, la police sicilienne déclare avoir trouvé cette liste de 10 commandements dans les affaires de Salvatore Lo Piccolo, capo de tutti capi (le «chef de tous les chefs») de la Cosa nostra. Cette liste explique comment être un bon membre respectable et honorable.

- Personne ne doit se présenter directement à un autre de nos amis.

- Une tierce personne doit être présente.

- Ne convoite pas les femmes d'un autre homme d'honneur.

- Ne collabore jamais avec la police.

- Les bars et discothèques te sont interdits.

- Toujours être disponible pour la Cosa nostra, même si ta femme est en train d'accoucher.

- Les rendez-vous doivent toujours être respectés.

- Les femmes doivent être traitées avec respect.

- Quand on te demande une information, la réponse doit être la vérité.

- L'argent ne peut pas t'être attribué s'il appartient à un autre ami ou à une autre famille.

- Ne peuvent faire partie de la Cosa nostra les personnes qui ont un proche dans la police ou dans une autre famille mafieuse; quelqu'un qui se comporte mal et qui n'a pas de valeurs morales; les homosexuels.

Source: Framing Mafia Infiltration in the Public Construction Industry in Italy, Final Report 

Traduction française: Wikipedia