Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a tranché : les écoles du Québec ne peuvent pas donner accès à des salles de « recueillement » où prier. Il enlève donc une patate chaude avec laquelle jonglaient plusieurs écoles de la région de Montréal.

C’est Valérie Lebeuf de Cogeco Nouvelles qui, la première, a rapporté lundi les contours d’un curieux phénomène, à Laval, à l’école secondaire Mont-de-La Salle : des élèves de confession musulmane ont réclamé un lieu pour prier.

J’utilise le mot « curieux » à dessein : ces élèves n’avaient auparavant jamais demandé un lieu pour prier dans leur école. Leurs revendications datent d’il y a quelques semaines, parfois quelques mois.

Devant des élèves qui priaient dans des cages d’escalier et dans le stationnement, l’école secondaire a trouvé cette solution, ces derniers jours : ouvrir un local de « recueillement » pour qu’une soixantaine d’élèves puissent prier. Pour des raisons de sécurité, essentiellement.

Le directeur général du centre de services scolaire de Laval, Yves Michel Volcy, a confirmé qu’une autre école secondaire de son territoire étudiait la possibilité d’ouvrir un local de recueillement, encore une fois à cause d’élèves musulmans qui souhaitent prier : l’École internationale de Laval, dans Chomedey.

J’utilise le mot « curieux », aussi, parce que la médiatisation de cette saga au 98,5 FM a délié des langues.

Ce n’est pas qu’à Laval et à Montréal que ces demandes inusitées fusent. Selon la journaliste Valérie Lebeuf, le centre de services scolaire des Grandes-Seigneuries (Rive-Sud) offre des locaux de recueillement dans 7 de ses 12 écoles secondaires.

Au centre de services scolaire des Mille-Îles (couronne nord), l’école secondaire Rive-Nord de Bois-des-Filion a mis un local à la disposition des élèves musulmans depuis le début du ramadan, avec cette particularité : 15 minutes pour les gars, 15 minutes pour les filles.

L’enjeu de la prière dans les murs des écoles rebondit souvent, ces derniers temps, dans les instances de consultation que sont les CPE – conseils de participation enseignants – des écoles.

Deux choses rendent perplexes les profs à qui j’ai parlé.

D’abord, il s’agit d’un nouveau phénomène, de demandes faites en cette année scolaire.

Exemple : « C’est depuis la relâche, dit Vicky Blumenthal, enseignante à l’école secondaire Sophie-Barat, de Montréal, que des élèves prient dans un corridor. Ce corridor donne sur la salle de bains des profs. Le midi, ils prient. Je dois parfois enjamber des élèves pour aller à la toilette. Ils sont rendus une quinzaine. »

Mme Blumenthal, déléguée syndicale de l’Alliance des profs de Montréal, dit n’avoir jamais vu une telle situation en 34 ans d’enseignement.

Deuxième facteur de perplexité : il s’agit presque toujours d’élèves qui en sont à la fin de leur parcours au secondaire et qui n’avaient jamais fait de telles demandes.

À l’école secondaire Saint-Maxime, de Laval, on me signale que les demandes d’élèves pour un local de prière qui ont commencé à parvenir à la direction l’automne dernier ont reçu une fin de non-recevoir. On me signale aussi que seule une petite minorité des élèves musulmans sentent le besoin de prier durant les heures d’école.

Toujours à Laval, à l’école secondaire Horizon-Jeunesse, à Auteuil, des élèves musulmans ont commencé à prier l’an dernier dans une cage d’escalier. Mais les demandes pour un local de prière « sont plus intenses cette année », me dit une source qui enseigne à cette école.

Pourquoi des élèves de quartiers différents à Laval ont-ils soudainement de telles revendications ?

Le DG du CSSDL, Yves Michel Volcy, n’en a aucune idée : « On n’a pas la réponse à cette question. »

Question connexe : pourquoi des élèves de territoires différents et disparates, à Montréal, sur la Rive-Sud, dans la couronne nord, d’est en ouest, ont-ils commencé cette année à prier dans les aires communes de leurs écoles, suivant le même modus operandi ?

Il n’y a pas de réponse claire. Mais l’enseignante et déléguée syndicale Vicky Blumenthal a eu ces mots : « Je ne suis pas conspirationniste, mais c’est clair qu’il se passe quelque chose. Comme si un mot d’ordre avait été lancé depuis la relâche : soyez plus visibles, prenez plus de place, testez le système. »

Aux écoles Saint-Maxime et Sophie-Barat, on note par ailleurs un phénomène tout aussi nouveau que la prière : des musulmanes très croyantes se sont mises à porter, cette année, des vêtements traditionnels qui couvrent à peu près tout le corps.

« Il y a toujours eu des filles qui portaient le hijab, me dit une source à l’école Saint-Maxime. Mais cette année, on en voit avec une robe qui recouvre tout, sauf les mains et le visage. Ça ressemble à un tchador. Elles sont rendues une trentaine, ce mois-ci. »

Même son de cloche à Sophie-Barat, où une élève porte le même vêtement, et pas seulement pour la période de prière dans le couloir : elle se promène dans l’école avec ce semblant de tchador pendant toute l’heure du midi.

Sauf que l’école Sophie-Barat impose un chandail en guise d’uniforme : « Des hijabs, il y en a, mais un tel vêtement, c’est la première fois que je vois ça, cette année, dit Vicky Blumenthal. L’uniforme est dans le Code de vie. On fait quoi ? »

Vicky Blumenthal souligne que ce sont surtout des filles qui prient, le midi, dans ce couloir : « Les garçons musulmans sont plus intéressés à jouer au soccer. »

Quand j’ai parlé avec Yves Michel Volcy, lors de deux entrevues mardi et mercredi, j’ai senti qu’il était à la fois en contrôle des variables multiples de cet enjeu nouveau et un peu surpris par les défis logistiques posés par ces demandes inusitées de locaux de « recueillement »…

Après nos entrevues, donc, M. Volcy m’a écrit un texto :

« Vous comprendrez qu’avec la récente déclaration du ministre de l’Éducation, je tiens à vous préciser que nous nous conformerons aux directives et que nous attendons les précisions du ministère de l’Éducation à cet égard. »

J’ai demandé :

« Donc, fin des locaux de recueillement ?

— Oui. »

J’ai l’impression que la décision de Bernard Drainville va soulager beaucoup de dirigeants du milieu scolaire, en leur simplifiant la vie.

J’ai aussi le sentiment qu’un mouvement militant a décidé de tester le politique avec le religieux et que cette saga n’est pas terminée.

Écoutez un extrait du 98,5 FM à ce sujet