L’Université McGill accueille cette année 100 résidents ou fellows en médecine qui sont financés par le gouvernement de l’Arabie saoudite ou les hôpitaux de ce pays. C’est un sommet annuel pour l’établissement montréalais.

Ces données sont notamment tirées d’une demande d’accès à l’information de La Presse formulée aux 13 universités canadiennes avec lesquelles les autorités saoudiennes ont une entente de formation de médecins au Canada.

En 2022-2023, ces 13 facultés de médecine du pays ont reçu 798 Saoudiens qui viennent ici avec un visa, le temps de leurs études, puis repartent pratiquer dans leur pays d’origine. Les Saoudiens représentent le quart de tous les étrangers accueillis au Canada avec un tel visa à des fins d’études en médecine.

« Au cours des 10 dernières années, 187 femmes et 410 hommes de l’Arabie saoudite ont terminé leur formation (résidence ou fellowship) à McGill », indique sa secrétaire générale, Edyta Rogowska.

Une « dépendance à des investissements étrangers »

Le Dr Matthew Stanbrook, rédacteur adjoint du Journal de l’Association médicale canadienne, explique que chaque partie trouve son compte dans cette entente avec l’Arabie saoudite. Ces médecins en fin de formation apportent une grande contribution à notre système de santé, dit-il, tout en rapportant ensuite dans leur pays natal l’expertise acquise ici – d’où l’intérêt de leur gouvernement à financer leurs études.

Le problème, selon le Dr Stanbrook, c’est ce que cela dit de notre système de santé. Pour soigner la population, on en est réduit, dit-il, à « compter sur ces stagiaires de l’étranger pour la prestation de soins ».

« C’est bien de les avoir, insiste-t-il, mais il faudrait en être moins dépendants. Il devrait revenir aux gouvernements provinciaux de financier les soins de santé à la hauteur des besoins. »

Les gouvernements provinciaux « s’en remettent à des investissements étrangers » au lieu de s’acquitter « de leurs propres responsabilités » en formant un nombre adéquat de médecins.

Pour sa part, le Collège des médecins a simplement indiqué « qu’il désire que ces candidats puissent s’exprimer en français pour traiter les patientes et patients du Québec ».

Les risques de cette dépendance

En 2018, la présence de ces médecins saoudiens – qui passe habituellement sous silence – s’est retrouvée à l’avant-plan de l’actualité quand l’Arabie saoudite, furieuse, a annoncé qu’ils devaient tous rentrer. La cause de cette colère : un tweet du gouvernement Trudeau qui disait s’inquiéter pour des dissidents faisant face à des châtiments aussi graves que la décapitation.

Dans le Journal de l’Association médicale canadienne, les médecins Hashim Khan, Nadine Abdullah et Matthew B. Stanbrook avaient pris la défense de leurs collègues saoudiens forcés par leur gouvernement à boucler leurs valises. Ils précisaient au passage dans leur texte qu’alors que « les Saoudiens représentent de 5 à 15 % de tous les stagiaires de cycles supérieurs en médecine [au Canada], la proportion est bien plus élevée au sein de certaines spécialités ».

Tout en étant précieux dans la prestation de soins, ces stagiaires « ont probablement été un facteur permettant à nos gouvernements d’éroder le nombre de postes de résidence qui sont financés. Ce qui a commencé comme une relation symbiotique a peut-être conduit à une dépendance dangereuse ».

Quels sont les droits de scolarité pour chacun des Saoudiens ? En réponse à cette question, l’Université McGill dit obtenir 33 797 $ par étudiant. L’Université Laval, qui a reçu un stagiaire saoudien en médecine pour la dernière fois en 2020, a exigé des droits de scolarité de 6360,33 $, mais ajoute que 118 000 $ ont été transmis à l’Université pour chacun de ces médecins, ce qui « a permis majoritairement d’octroyer une bourse » au stagiaire (aussi appelé « moniteur clinique »).

Deux mois après notre demande d’accès à l’information, l’Université de Montréal ne nous a toujours pas transmis le montant de ces droits de scolarité – elle a accueilli 8 médecins saoudiens en 2023 et 81 depuis 2014.

Des soins contre une expertise

Par écrit, le service des relations avec les médias de l’Université McGill a fait savoir qu’« il importe aussi de noter que ces résidents et fellows supplémentaires ne prennent pas des postes en résidence qui iraient autrement à des diplômés en médecine du Québec », ces places étant l’objet de règles strictes du gouvernement du Québec.

Ces médecins en formation ici ont néanmoins besoin d’encadrement. Et de façon générale, de l’avis du premier ministre François Legault, le nombre de formateurs n’est pas élastique, comme il l’exprimait en promettant des places supplémentaires en médecine lors de la dernière campagne électorale.

« On aurait voulu en annoncer plus, disait-il, mais il faut être réaliste. Parce que tout le monde comprend que, pour enseigner à des médecins, ça prend des médecins. On ne veut pas enlever trop de médecins dans le réseau de la santé. »

L’Université McGill souligne que ces médecins étrangers – qui viennent de l’Arabie saoudite ou d’ailleurs –, qui complètent leur formation dans cet établissement « fournissent des soins dont la population québécoise a grand besoin ».

Précisant qu’il s’agit pour ces étudiants saoudiens d’études postdoctorales qui durent d’un à trois ans, Geneviève O’Meara, porte-parole de l’Université de Montréal, fait valoir que ces résidents « sont des médecins qui assurent des soins dans notre réseau le temps qu’ils sont avec nous ».

Les 13 facultés de médecine canadiennes que nous avons interpellées pour avoir des informations et des entrevues nous ont renvoyées à l’Association des facultés de médecine du Canada. En leur nom, en anglais, Angélique Simpson, responsable des communications, a répondu par écrit, mais en ne donnant aucun des chiffres demandés (d’où la demande d’accès à l’information qui a suivi).

« Ces stages sont entièrement financés par des sources étrangères » et « les résidents internationaux jouent un rôle important dans la prestation de soins dans notre système de santé surchargé et dans l’amélioration de la diversité culturelle », a indiqué Mme Simpson.

Le DMatthew Stanbrook explique que si les Saoudiens viennent compléter leur parcours au pays, c’est à son avis parce que les pays du Moyen-Orient n’ont pas encore le même niveau d’expertise médicale que le Canada et « pour le prestige » que représente une formation en Amérique du Nord.

Le bureau culturel de l’Arabie saoudite au Canada – qui consacre une page de son site internet à son entente avec les 13 facultés de médecine du Canada – n’a pas donné suite à nos appels.

Avec William Leclerc, La Presse

Une même demande d’accès à l’information, des réponses très différentes

Les universités interpellées, de même que l’Association des facultés de médecine du Canada et le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, ne nous ont pas accordé d’entrevue. La Fédération des médecins résidents du Québec n’a pas offert de commentaire.

Après notre demande d’accès à l’information – processus régi par une loi –, les universités québécoises ont finalement transmis des données (quoique partiellement dans les cas de l’Université de Montréal).

Mais l’Université de Toronto a d’abord exigé 480 $, l’Université d’Ottawa a réclamé 370 $ (puis 40 $, dans une autre réponse), l’Université McMaster, 262,50 $, les universités Queen’s et Western, chacune 90 $.

Comme nous avons obtenu d’autres sources les chiffres globaux pour le reste du Canada et vu ces disparités, La Presse n’a pas accepté de payer ces sommes.