Québec affronte une « tempête parfaite » avec l’explosion de l’itinérance et la crise du logement, affirme le premier ministre François Legault, alors que se tient ce vendredi, à Québec, un grand sommet municipal sur la question, qui sera l’occasion pour les maires de faire valoir les énormes investissements nécessaires pour aider les personnes sans abri à sortir de la rue.

15,5 millions en fonds d’urgence

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Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux

Jeudi matin, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a annoncé 15,5 millions pour le financement de refuges d’urgence, partout au Québec. Lui et sa collègue à l’Habitation, France-Élaine Duranceau, réagissaient à la publication des données du plus récent dénombrement sur l’itinérance visible, qui font état de plus de 10 000 personnes en situation d’itinérance dans la province, un bond de 44 % en cinq ans. La cause principale de la perte de logement : les expulsions. « Nous avons vu les chiffres, ils sont inquiétants. […] Il faut qu’on brise la tendance », a affirmé M. Carmant en mêlée de presse. « J’ai demandé au Ministère d’approuver tous les projets qui vont être mis en place d’ici cet hiver », a-t-il ajouté. Aux sommes annoncées jeudi s’ajoute un montant de 7 millions déjà prévu au dernier budget Girard, dont 2,5 millions pour un refuge pour Autochtones à Montréal.

Tension entre les maires et le gouvernement

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Lotissement d’habitations à loyer modique au centre-ville de Montréal

Les deux ministres sont attendus de pied ferme au sommet sur l’itinérance, alors que la tension est forte entre les maires et le gouvernement Legault. La semaine dernière, après une charge frontale de la mairesse de Gatineau à son endroit, le ministre Lionel Carmant a appelé les élus municipaux « à baisser le ton ». De son côté, la ministre de l’Habitation soutient que le gouvernement Legault n’a pas reconnu la crise du logement trop tard. « Depuis que je suis en poste, tout ce que je fais, c’est débloquer des projets », a-t-elle assuré. « Il n’y a jamais eu autant de projets d’habitation financés. Il y en a 12 000 en ce moment. Là, il faut qu’ils sortent de terre, puis on est pris avec les délais que ça prend pour construire », a plaidé la ministre France-Élaine Duranceau, qui appelle les municipalités à accélérer la construction de logements sociaux sur leur territoire, au moment même où s’ouvrent les consultations particulières sur le projet de loi 31 qui vient modifier diverses dispositions législatives en matière d’habitation.

Lisez l’article « Itinérance : le ministre Carmant exhorte les maires “à baisser le ton” »

Recul possible sur la cession de bail

Plus tard en journée, le premier ministre François Legault a lui aussi reconnu l’ampleur du problème. « C’est un peu comme une tempête parfaite. D’abord, il y a un problème de consommation de drogues. […] Ça amène toutes sortes de problèmes de santé mentale. Évidemment, aussi, il y a une crise du logement qui vient s’ajouter à ça. […] On a quand même investi beaucoup dans le premier mandat, mais il y a une mise à jour qui s’en vient, en novembre, [et] il va falloir en faire plus », a déclaré le premier ministre. De plus, il pourrait reculer sur les dispositions controversées touchant la cession de bail du projet de loi de la ministre de l’Habitation. « On n’exclut rien à ce moment-ci », a-t-il dit. L’une des dispositions du texte législatif permettrait aux propriétaires de refuser une demande de cession de bail « pour un motif autre qu’un motif sérieux », ce qui sème la controverse puisque la cession de bail est considérée comme un levier contre les hausses de loyer abusives pour les locataires.

« Insuffisant », selon la mairesse de Montréal

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Valérie Plante, mairesse de Montréal

Les 15,5 millions en financement d’urgence annoncés par le ministre Carmant sont largement insuffisants pour combattre la crise de l’itinérance, a dénoncé la mairesse de Montréal, Valérie Plante. En fait, cette somme ne permettrait même pas de répondre aux besoins pour la métropole, a-t-elle souligné, jeudi en conférence de presse. « Le montant annoncé par le ministre ne représente qu’un plaster, alors que l’itinérance est une plaie ouverte qui saigne », a-t-elle lancé. « On a besoin de 2000 logements sociaux par année, on parle de centaines de millions de dollars, en rattrapage. » La solution à l’itinérance passe par des logements sociaux permanents avec accompagnement de la part d’intervenants, a plaidé la mairesse. Au cours des trois dernières années, Québec n’a financé aucun logement destiné à sortir des personnes sans abri de la rue, a déploré Mme Plante, ajoutant que les montants accordés par le gouvernement aux organismes communautaires pour construire des logements sociaux sont déconnectés de la réalité du marché.

Améliorer les données

Le maire de Québec, Bruno Marchand, s’est montré moins tranchant envers le gouvernement en conférence de presse dans la capitale. « J’ai entendu qu’il y avait une volonté à court terme de répondre à l’urgence. Je salue ça. Est-ce que [15 millions], c’est suffisant ? On verra en fonction de ce qui est annoncé. Il faut répondre à l’urgence, il faut ouvrir des places pour les gens qui n’ont pas de toit au-dessus de leur tête », a-t-il indiqué. Le maire a toutefois fait une demande claire au gouvernement à la veille du sommet sur l’itinérance : de meilleures statistiques. « On a besoin de statistiques annuelles, tranche le maire de Québec. Il faut s’engager à définir des objectifs, des cibles et un calendrier de travail. Les gens en situation d’itinérance s’attendent à ça de nous. »

Vers une aide spéciale

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Itinérants dans les rues de Montréal

La ministre France-Élaine Duranceau a révélé que son ministère planche sur « des aides financières à la personne » touchée par la crise du logement. « [Ces mesures] présupposent certains changements législatifs, donc je ne peux pas vous en parler maintenant, mais c’est dans les cartons », a-t-elle précisé. La semaine dernière, le premier ministre François Legault avait révélé qu’il envisageait de verser une « aide spéciale » aux personnes les plus vulnérables qui « souffrent » de la crise du coût de la vie. Cette aide pourrait être annoncée lors de la mise à jour économique du gouvernement en novembre.

Économiser en logeant les itinérants

En prévision du sommet sur l’itinérance, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) a dévoilé les résultats d’une étude qui démontre que la société économiserait en trouvant un toit aux personnes sans domicile fixe. Le rapport de la firme AppEco estime que les coûts totaux annuels d’une personne en situation d’itinérance au Québec s’élèvent à 72 521 $. En offrant à cette personne un hébergement temporaire, le coût pour la société tombe à 69 717 $. Selon l’étude, des initiatives en prévention et en lutte pourraient réduire l’itinérance de 35 %. Le statu quo entraînerait des dépenses de 450 millions pour les municipalités québécoises d’ici 2027.

Avec la collaboration de Gabriel Béland, La Presse