La récente ouverture d'un centre d'accueil pour les demandeurs d'asile haïtiens dans une résidence pour personnes âgées située en plein coeur d'un quartier résidentiel de Boucherville dérange plusieurs résidants. La Ville de Boucherville a dû retirer une poignée de messages haineux et racistes laissés par des internautes sur sa page Facebook, hier, en plus de devoir faire une mise au point sur son implication dans le projet.

LA MISE AU POINT DE BOUCHERVILLE

« Tel qu'indiqué le 11 août dernier, le CISSS a informé la Ville de Boucherville que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec procédait à la réquisition de la résidence Havre Providence pour l'accueil de demandeurs d'asile haïtiens. Ainsi, le choix du site et sa coordination sont sous l'entière responsabilité du CISSS. La Ville n'a pas été consultée quant au choix du site.

« Les dépenses afférentes à la prise en charge des demandeurs d'asile haïtiens sont entièrement assumées par les autorités provinciale et fédérale. Rappelons que la résidence Havre Providence est un bâtiment privé. »

DES AVIS PARTAGÉS

Depuis l'annonce de l'ouverture, vendredi, de la résidence Havre Providence, qui a une capacité d'accueil de 300 places, la Ville de Boucherville dit avoir reçu une centaine de messages sur sa page Facebook, dont environ la moitié témoignaient d'un malaise ou étaient carrément opposés à l'accueil des demandeurs d'asile dans leur ville de la Rive-Sud de Montréal. « Les avis sont assez partagés, a indiqué la directrice des communications de la Ville de Boucherville, Julie Lavigne. Certains se préoccupent de l'utilisation de leurs taxes, d'autres ont émis des commentaires racistes qu'on ne peut pas tolérer et qui ont donc été retirés. » La Ville n'a pas à prendre de « position politique » dans le dossier, affirme Mme Lavigne. « Notre préoccupation première, c'est de s'assurer que l'accueil des demandeurs d'asile se déroule en toute sécurité pour ceux-ci et pour la population », a ajouté la directrice des communications.

Photo Martin Tremblay, La Presse

La résidence Havre Providence, à Boucherville

Capture d'écran du compte Facebook de la Ville de Boucherville

La mise au point de la Ville de Boucherville

« ON EST ENVAHIS »

Des voisins de la résidence Havre Providence rencontrés hier par La Presse exprimaient le même malaise - voire de la crainte - par rapport à l'arrivée massive des demandeurs d'asile haïtiens en provenance des États-Unis. « C'est trop. C'est juste trop d'un seul coup. On est envahis », a lancé Isabelle, qui prenait l'air sur son balcon avec son perroquet Amazou lorsque La Presse l'a interrogée, hier. Cette locataire d'une maison centenaire du boulevard Marie-Victorin a peur « de ne plus reconnaître » son pays dans 20 ans. Même si elle décrit ses nouveaux voisins comme des gens « très discrets » et « respectueux », elle martèle que « ses impôts » devraient plutôt servir à mieux financer des résidences pour personnes âgées ou à offrir de meilleurs services aux familles d'enfants handicapés.

UN QUARTIER SANS PROBLÈMES

« Dans le Vieux-Boucherville, tout le monde se connaît, a dit Yves Meunier, qui vit aussi sur le boulevard Marie-Victorin. Ici, il n'y a pas de problèmes et on n'en veut pas. » Le retraité, qui est né dans le quartier, affirme que « tout le monde a droit à sa chance à condition de ne pas venir ici pour profiter du système ».

UN « PARADIS »

Les demandeurs d'asile haïtiens rencontrés hier sont unanimes : Havre Providence est un véritable « paradis ». Tous, sans exception, vantaient la gentillesse et la générosité des employés et des bénévoles sur place. Ils sont très bien logés et bien nourris, disent-ils. « Dieu a tracé sa route jusqu'ici », a lancé Kenx, croisé hier alors qu'il faisait une promenade avec sa femme et leur bébé de 9 mois. Parti d'Haïti, l'homme de 30 ans a traversé 11 pays avec sa femme enceinte pour arriver au Canada. Le couple a notamment marché huit jours dans la forêt pour passer de la Colombie au Panamá. « On a manqué d'eau et de nourriture à mi-chemin. Le voyage a été horrible, raconte le père de famille. Depuis notre départ d'Haïti, c'est la première fois qu'on est traités comme des humains. »

Photo Martin Tremblay, La Presse

Kenx, Djinie et le petit Lensky marchent sur la rue.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Isabelle et le perroquet Amazou.

« ILS SERONT DÉÇUS »

Originaire d'Haïti, Antoine Dorsaint vit à Boucherville depuis près de 40 ans. Dès qu'il a appris la nouvelle de l'ouverture du centre, cet enseignant au secondaire à la retraite est venu offrir son aide comme traducteur ou chauffeur. Mais il est aussi venu mettre en garde ses compatriotes : « Tous ces gens sont convaincus que le Canada va leur ouvrir les bras, mais ils seront déçus. » Évelyne Emmanuel - aussi enseignante retraitée -, qui accompagnait M. Dorsaint hier, s'est longuement entretenue avec plusieurs jeunes familles hébergées au centre. « Ces jeunes croient dur comme fer qu'ils obtiendront leur résidence permanente, explique-t-elle. Moi, je leur dis d'avoir un plan B ; de profiter de leur séjour ici pour acquérir une formation. Lorsqu'ils rentreront en Haïti, ils auront gagné en savoirs et en expériences pour contribuer à leur pays. »

POUR UNE « BONNE » SÉLECTION

Propriétaire d'une pizzéria située non loin du centre Havre Providence, Mustafa Yanar voit l'arrivée massive de demandeurs d'asile haïtiens d'un mauvais oeil. « On ne peut pas prendre tous ceux que Trump rejette. J'espère que le Canada a de bons critères de sélection », dit l'homme originaire de la Turquie, qui a immigré au Québec il y a une vingtaine d'années.

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Nombre de demandeurs d'asile actuellement hébergés au Québec, dont environ 200 à l'ancienne résidence pour personnes âgées Havre Providence à Boucherville, selon le Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile (PRAIDA).

LA CAQ VEUT ÊTRE RASSURÉE 

La députée de la Coalition avenir Québec (CAQ) Nathalie Roy déplore de ne pas avoir été prévenue de l'ouverture du centre d'accueil pour les demandeurs d'asile situé dans sa circonscription. « Les gens de Boucherville sont très accueillants. Ils ont le coeur sur la main, a décrit la députée caquiste. Je pense que ce qui sème de l'inquiétude, c'est le fait que les gens ont été placés devant le fait accompli ; même les élus ont été avertis à la dernière minute. » La députée s'inquiète que le centre dépasse sa capacité d'accueil - de 300 places - et qu'il soit ouvert pour une « durée indéterminée ». « J'attends toujours d'être rassurée sur ces deux points », a lancé la députée de la CAQ.

« C'EST FACILE DE CRITIQUER »

La PDG du Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile (PRAIDA), Francine Dupuis, balaie les critiques de la députée de la CAQ du revers de la main. « C'est facile de critiquer. Qu'elle vienne faire le travail à notre place pour voir, a indiqué Mme Dupuis, visiblement irritée. On travaille 24 heures sur 24 pour trouver des centres d'accueil adéquats. » Au sujet des commentaires racistes de résidants de la Rive-Sud, Mme Dupuis affirme qu'ils proviennent surtout des médias sociaux et que « tout semble bien se passer avec le voisinage immédiat ». Pour l'instant, aucun autre centre ne doit ouvrir sur la Rive-Sud de Montréal. Le PRAIDA travaille à en ouvrir un ou plusieurs à Laval, mais aucune entente n'est encore conclue, selon Mme Dupuis.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Antoine Dorsaint et Evelyne Emmanuel donnent des conseils aux nouveaux arrivants.