Un croupier qui joue dans un tripot clandestin avec ses clients réguliers, un autre qui fréquente illégalement une maison de poker autochtone et un soupçon semblable qui plane sur des patrons : l'éthique de certains employés chargés d'arbitrer des parties mettant en jeu des milliers de dollars dans les casinos de Loto-Québec donne du fil à retordre à la société d'État depuis deux ans.

Alors qu'elle combat depuis des années les clubs de poker autochtones, Loto-Québec soupçonne des cadres du Casino de Montréal de fréquenter ces établissements en violation de leur code d'éthique, selon un témoignage sous serment entendu devant la justice.

Le problème ne s'arrête pas là : la société d'État a aussi envoyé deux avis de congédiement à des croupiers en 2016 pour leur présence dans un casino autochtone ou un tripot illégal. L'un - au Casino de Montréal - a été transformé en suspension, alors qu'un autre - au Casino du Lac-Leamy - a été confirmé par un arbitre du travail. Un troisième croupier a avoué s'y rendre, sans toutefois subir de sanction.

Interdiction complète

Il est totalement interdit aux employés des casinos du Québec de jouer dans toute maison de jeu dans la province afin d'éviter les conflits d'intérêts : un croupier ne doit pas pouvoir arbitrer une partie de plusieurs milliers de dollars impliquant un camarade fréquent de poker, par exemple.

À la fin de décembre, la Société des casinos a cru bon d'envoyer un rappel clair à tout son personnel : jouer pourrait leur coûter leur emploi. La note citait précisément le Playground Poker Club, casino de Kahnawake. En 2011, une note de service semblable était plus précise encore. «Plusieurs indices nous laissent croire que certains employés fréquentent des maisons de jeu situées en territoire amérindien», indiquaient les ressources humaines. Là encore, on laissait planer une menace de «sanctions pouvant aller jusqu'au congédiement».

Jouer avec ses clients

C'est ce qui est arrivé à Steve Raby, croupier du Casino du Lac-Leamy arrêté dans une maison de jeu clandestine de Gatineau en 2015, puis condamné au criminel. «Il s'y trouvait pour jouer avec différents joueurs qui étaient également à sa connaissance et pour la plupart des clients» du casino d'État, indique une décision arbitrale rendue à la fin de janvier et qui confirme son congédiement. «Certains de ces joueurs fréquentaient ses propres tables lorsqu'il travaillait au Casino comme croupier.»

Il a dénoncé un collègue, Yves Grenon, qui a rapidement avoué fréquenter le même lieu. Ce dernier l'a toutefois échappé belle : Loto-Québec a estimé qu'elle n'avait pas assez d'informations pour lui faire perdre son emploi.

Des cadres aussi

Dans le cas de M. Raby, son syndicat a tenté de faire valoir qu'il était traité différemment d'autres employés dans la même situation. Le responsable syndical Jean-Pierre Proulx a déclaré sous serment que le patron responsable des tables de poker au Casino de Montréal lui avait dit «que des cadres du Casino de Montréal joueraient dans les casinos amérindiens, et plus spécifiquement au Playground» de Kahnawake.

Contacté au téléphone, M. Proulx n'a pas voulu commenter la situation, sinon pour dire qu'il avait dit la vérité devant l'arbitre Richard Bertrand. Marc Gaudet, le cadre qui aurait fait la révélation, n'a pas non plus voulu discuter avec La Presse. Il n'est plus employé de Loto-Québec.

Le Playground Poker Club a refusé de commenter la situation.

Pas d'identités précises

À la société d'État, on souligne que la décision du juge Bertrand relève bien sa version des faits : «La preuve ne révèle pas que la Société des casinos ou la direction du Casino de Montréal auraient été informées de l'identité d'employés [cadres ou salariés] qui auraient joué dans ces casinos», précise l'arbitre Bertrand. «Par ailleurs, aucune arrestation, aucune mise en accusation et aucune condamnation ne se seraient produites à l'égard d'[autres] employés du Casino pour s'être retrouvés dans une maison de jeu.»

L'employeur contestait l'admission en preuve du témoignage de Jean-Pierre Proulx dans le dossier de M. Raby. Pour des raisons d'ordre légal sans lien avec sa crédibilité, Me Bertrand a plutôt donné raison au syndicat en le déclarant admissible. Il a tout de même confirmé le congédiement.