Aucun dirigeant de Santé Canada ne pourra rencontrer des lobbyistes représentant l'industrie alimentaire durant la refonte du Guide alimentaire canadien. C'est un changement de philosophie pour le ministère responsable des politiques de nutrition au pays, souvent accusé d'être trop proche des producteurs et fabricants d'aliments.

« Tant que nous n'aurons pas terminé les politiques du Guide alimentaire, nous ne devons pas avoir de contacts avec l'industrie », explique Hasan Hutchinson, directeur général du Bureau de la politique et de la promotion de la nutrition de Santé Canada, qui est responsable du Guide et des campagnes d'éducation sur la nutrition. « Cela s'applique à toutes les personnes qui travaillent avec moi et toutes les personnes qui travaillent sur le Guide alimentaire. » Traditionnellement, les représentants de l'industrie étaient consultés à certaines étapes lors de l'élaboration du Guide, dont la dernière mouture remonte à 2008. Leur contribution n'a jamais été clairement reconnue. 

C'est donc un nouveau discours pour les dirigeants de Santé Canada.

« Nous devons contrôler ce qui est surtout une apparence de conflits d'intérêts. Il y aurait conflits d'intérêts si l'industrie était impliquée dans l'élaboration des recommandations. Des recherches le démontrent clairement, donc il faut l'éviter. »

- Hasan Hutchinson, directeur général du Bureau de la politique et de la promotion de la nutrition de Santé Canada

Ce n'est pas tout. La ministre de la Santé, Jane Philpott, a officiellement annoncé qu'un nouveau Guide alimentaire était en préparation, fin octobre. Santé Canada a alors présenté un document de révision de la littérature scientifique qui servira de fondement pour la rédaction du Guide. Toutes les études financées par l'industrie ou des représentants de producteurs agricoles, comme les producteurs de lait, ont été exclues de cet « Examen des données probantes à la base des recommandations alimentaires ». 

« Lorsque l'Organisation mondiale de la santé établit ses politiques, il n'y a pas de rencontres avec les groupes de lobby. Par contre, lorsqu'il est question d'implanter des politiques, il y a des possibilités de partenariats », nuance Hasan Hutchinson. 

PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ 

Bien que le phénomène soit peu connu, Santé Canada fait parfois équipe avec l'industrie privée. Pour la campagne Bien manger, de 2010 à 2014, l'organisme fédéral a travaillé avec des médias, notamment Transcontinental, qui lui permettait de transmettre ses messages de santé publique dans des publications ciblées. 

Pour sa Campagne d'éducation sur le tableau de la valeur nutritive, Santé Canada travaille avec le groupe Produits alimentaires et de consommation du Canada, qui représente de grands manufacturiers comme Coca-Cola et Kellogg. 

Travailler avec l'industrie peut être un moyen efficace d'atteindre les consommateurs, explique Alfred Aziz, chef de la Division des règlements et des normes en nutrition à Santé Canada. 

Le but de cette campagne peu connue est d'inciter les consommateurs à lire et comprendre le tableau des valeurs nutritives sur les emballages d'aliments. Alfred Aziz précise qu'avec ses produits, l'industrie est un excellent véhicule pour atteindre les consommateurs chez eux. 

Néanmoins, dans la dernière évaluation du Programme de politique et de promotion de la nutrition de l'organisme, on peut lire que certains évaluateurs « ont formulé des préoccupations à propos du recours plus fréquent aux PPP » à Santé Canada. 

Pour le moment, aucune nouvelle collaboration n'est envisagée, mais le recours aux partenariats public-privé n'est pas écarté à Santé Canada.

Sodium 

Si les rencontres avec l'industrie alimentaire sont maintenant interdites durant l'élaboration des politiques, Santé Canada n'exclut pas la collaboration de l'industrie lors de consultations. 

Dans le cas du sodium, par exemple, Santé Canada a établi des quantités limites pour les aliments selon leur catégorie. Les fabricants doivent atteindre ces cibles, donc réduire la teneur en sel dans leurs produits, afin que la consommation de sodium des Canadiens s'approche d'un niveau plus acceptable. 

Cette fois, les représentants de l'industrie ont participé aux discussions pour établir les cibles qui les concernaient. « Il faut comprendre que le sodium dans les aliments ne sert pas seulement à donner de la saveur, mais qu'il joue aussi un rôle sur le plan de la conservation, de l'innocuité et la salubrité de l'aliment. Il y a aussi des fonctions techniques du sodium que seuls les experts en produits alimentaires connaissent », explique Alfred Aziz. Dans les charcuteries, par exemple, la réduction de sel peut être plus problématique, donne en exemple Alfred Aziz. « L'industrie était là pour les consultations, mais la limite a été décidée par Santé Canada », précise toutefois Hasan Hutchinson.