En arrivant au pouvoir, en février 2006, Stephen Harper a tenu à tirer toutes les ficelles de son gouvernement. Il a imposé une discipline de fer à ses troupes et s'est assuré que tout le monde parle d'une seule voix. Fait rarissime, il aura réussi à diriger les destinées de son gouvernement minoritaire jusqu'à la toute fin.

Depuis plus d'un an, le chef du Parti libéral, Stéphane Dion, se plaisait à dire qu'il lui reviendrait de déterminer la date des prochaines élections puisque le gouvernement Harper avait adopté une loi établissant que les élections auraient désormais lieu à date fixe, tous les quatre ans, et que le prochain scrutin se tiendrait en octobre 2009.

Mais en bout de piste, Stéphane Dion et les deux autres chefs de l'opposition, le néo-démocrate Jack Layton et le bloquiste Gilles Duceppe, n'ont pas eu un mot à dire à cet égard. C'est Stephen Harper qui a décidé du moment auquel les Canadiens seront convoqués aux urnes.

Comme un gouvernement majoritaire

Dans le choix de la date du scrutin comme dans la grande majorité des dossiers qui ont atterri sur son bureau, Stephen Harper a donc eu le dernier mot, même si son gouvernement était minoritaire. Durant tout son règne, d'ailleurs, il a dirigé le pays comme s'il détenait la majorité des sièges à la Chambre des communes.

La mission des soldats canadiens en Afghanistan est un exemple éloquent. Le gouvernement Harper l'a prolongée à deux reprises, en 2006 et en 2008. Chaque fois, il a réussi à le faire avec l'appui des députés libéraux, même si cette mission n'est pas populaire parmi les Canadiens. Le Canada compte donc maintenir ses 2500 soldats dans la région de Kandahar jusqu'en 2011.

Au début de leur mandat, les conservateurs s'étaient fixé cinq grands objectifs: faire le grand ménage dans les moeurs politiques fédérales en adoptant le projet de loi sur la reddition de comptes; réduire le fardeau fiscal des contribuables en diminuant notamment la TPS de 7 à 5%; lutter contre le crime en augmentant les peines pour les criminels dangereux; régler le déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces; et réduire les délais d'attente pour les soins médicaux.

Le gouvernement Harper s'est vite mis au travail et a fait adopter la majorité des mesures envisagées dans les 18 premiers mois de son mandat, dans l'éventualité où il aurait à revenir devant les électeurs.

Des avancées pour le Québec

En privé, les conservateurs s'attendaient à repartir en campagne électorale avant deux ans. Or, ils auront réussi à se maintenir au pouvoir durant presque trois ans. Après 18 mois, les conservateurs donnaient l'impression de ne plus savoir que faire du pouvoir que leur avaient confié les électeurs.

Le ministre des Finances, James Flaherty, a réussi le tour de force de présenter trois budgets - plus que n'importe quel gouvernement minoritaire au Canada. Les deux premiers ont été adoptés grâce à l'appui du Bloc québécois; le troisième, grâce à l'abstention des libéraux au moment du vote.

Peu après avoir remporté, contre toute attente, 10 sièges au Québec au scrutin de 2006, le gouvernement Harper a multiplié les gestes de séduction envers les Québécois. Il a signé avec le gouvernement Charest une entente qui donnait une voix au Québec dans les forums internationaux comme l'UNESCO, et il a réglé la question du déséquilibre fiscal.

Enfin, geste inattendu, le gouvernement Harper a fait adopter une résolution reconnaissant que les Québécois «forment une nation au sein d'un Canada uni». Ces gestes ont permis aux conservateurs de consolider leur base électorale dans la région de Québec.

Des bourdes

Mais le gouvernement a commis sa part de bourdes, notamment au chapitre des affaires étrangères. Durant le conflit entre Israël et le Liban en 2006, Stephen Harper a pris ouvertement la défense de l'État juif même si la bataille était manifestement inégale.

Les relations entre le Canada et la Chine se sont refroidies après que M. Harper eut affirmé qu'il n'était pas intéressé par les puissants dollars chinois si Pékin ne faisait pas de progrès en matière de respect des droits de l'homme. Il a aussi été sur la sellette en Chine en refusant d'assister aux cérémonies d'ouverture des Jeux de Pékin.

Sur le plan intérieur, les conservateurs se sont retrouvés sur la défensive à plus d'une reprise. D'abord, ils ont été contraints de revoir leur copie en matière de lutte contre les changements climatiques - malgré cela, leur plan vert est toujours jugé nettement insuffisant par les groupes écologistes.

Il y a aussi eu l'affaire du député indépendant Chuck Cadman, à qui des conservateurs auraient offert une police d'assurance vie d'un million de dollars pour qu'il vote contre le gouvernement libéral de Paul Martin en mai 2005. La GRC s'est penchée sur cette affaire et n'a rien trouvé pour justifier une enquête criminelle. Stephen Harper a d'ailleurs intenté une poursuite de 2,5 millions de dollars contre le Parti libéral pour avoir insinué qu'il était au courant de cette tentative.

Ensuite, les conservateurs ont été mis dans l'embarras après que des représentants d'Élections Canada et la GRC eurent mené une perquisition dans leurs bureaux concernant des dépenses électorales jugées illégales. Selon un stratagème utilisé au dernier scrutin, le Parti conservateur aurait dépensé plus d'un million de dollars de plus que la limite permise par la loi en 2006 en transférant de l'argent du bureau national à des candidats locaux pour qu'ils paient des publicités nationales. Cette affaire se retrouve aussi devant les tribunaux. Le Parti conservateur conteste l'interprétation de la loi que fait Élections Canada.

Enfin, il y a eu l'affaire Julie Couillard, qui a forcé l'ancien ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, à démissionner en mai. M. Bernier a dû quitter ses fonctions après avoir oublié des documents confidentiels au domicile de Mme Couillard, qui avait eu des relations amoureuses avec au moins quatre individus liés au monde interlope.

Malgré toutes ces controverses, le Parti libéral n'a pas osé s'associer au Bloc québécois et au NPD pour renverser les conservateurs. Stephen Harper a pu choisir ainsi paisiblement la date de son rendez-vous avec les électeurs.