Les turbulences aériennes sont en hausse. Et les blessures qu’elles occasionnent aussi. L’aviation commerciale a décidé de s’attaquer au problème.

L’ennemi numéro 1 : les CAT

CAT. Derrière ces trois lettres se cachent les turbulences qui causent le plus de maux de tête aux pilotes d’avion et – de manière générale – à l’industrie : les CAT, pour « Clear Air Turbulence », des turbulences qui surviennent par temps clair. Elles sont difficiles à prévoir : il n’y a pas de nuages, pas d’orage, pas de phénomène météorologique d’importance pour les annoncer, même si elles résultent de la rencontre de deux masses d’air différentes. Et donc, elles sont plus difficiles à éviter. « Ce sont les plus graves », résume Ruxandra Botez, professeure au département d’aéronautique à l’ETS.

Sont-elles dangereuses ?

Oui et non. Les turbulences, même sévères, ne risquent pas de compromettre l’intégrité d’un avion, remarque Nicolas Bornand, pilote et directeur des enquêtes sur la sécurité chez Air France. Le danger est ailleurs : à l’intérieur de la carlingue, pour les passagers qui ne bouclent pas leur ceinture. « Les secousses peuvent être assez fortes pour qu’une personne se cogne la tête au plafond si elle n’est pas attachée », relève le capitaine Brent King, chef des opérations d’efficacité des vols à l’Association internationale du transport aérien (IATA). Les agents de bord sont le plus à risque d’être blessés puisqu’ils sont plus rarement assis, ceinture bouclée, que les passagers.

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Les turbulences représentent un danger surtout pour les passagers qui ne bouclent pas leur ceinture.

Et elles sont fréquentes ?

Oui, et de plus en plus. Toutes catégories confondues, les turbulences sont la première cause de blessures non mortelles en avion et elles sont en hausse. Tout comme les blessures associées aux turbulences, même en tenant compte de l’augmentation du trafic aérien. Or, les scientifiques préviennent que la tendance va s’accentuer avec les changements climatiques et la hausse des concentrations de gaz à effet de serre. Les turbulences sévères augmenteront de 149 % si la concentration de CO2 dans l’atmosphère double, conclut une étude menée au département de météorologie de l’Université de Reading, au Royaume-Uni. Elles sont aussi plus fortes à certaines périodes de l’année et dans certains secteurs : dans l’Atlantique Nord en hiver, par exemple. Ce n’est probablement pas un hasard si vous avez ressenti plus de turbulences dans un vol Paris-Montréal en février qu’en juillet.

Comment s’attaque-t-on au problème ?

L’IATA implante cette année un nouveau programme de détection des turbulences par ciel clair (CAT) : 15 transporteurs le testent actuellement, avant une implantation à grande échelle l’an prochain. Le système permet de colliger et de traiter, au sol, les données transmises en temps réel par les senseurs placés sur tous les avions de ligne, afin de prévenir les pilotes des secousses observées sur leur trajectoire à venir. « Avant, on se fiait plutôt aux rapports des pilotes, plutôt subjectifs, puisque la perception des turbulences dépend de la taille de l’avion, son poids, etc. Maintenant, les données sont objectives et plus nombreuses », remarque Brent King. Prévenu qu’un avion vient d’essuyer des turbulences juste devant lui, un pilote pourra – avec l’aval de la tour de contrôle – dévier de sa trajectoire et éviter des secousses qu’aucun modèle météorologique au sol n’avait pu prédire au moment d’établir le plan de vol, avant le décollage.

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Toutes catégories confondues, les turbulences sont la première cause de blessures non mortelles en avion et elles sont en hausse.

Les turbulences, ça coûte cher

La sécurité n’est pas la seule motivation des transporteurs aériens à s’attaquer aux turbulences : l’argent est encore l’un des nerfs de la guerre. Les turbulences causent des dégâts matériels dans l’habitacle et, plus rarement, sur la carlingue, et elles augmentent les dépenses d’entretien des avions. Mais surtout, elles coûtent cher en carburant en obligeant les pilotes à dévier de leur trajectoire optimale, par exemple lorsqu’ils optent pour une altitude plus faible, mais plus énergivore, explique Brent King. Aux États-Unis seulement, elles coûteraient 200 millions de dollars par an aux transporteurs. Or, les nouveaux outils de détection en temps réel permettent de modifier la trajectoire avec plus d’efficience. Les systèmes les plus performants – encore trop chers pour être implantés à grande échelle – permettraient d’économiser jusqu’à 10 à 15 % du carburant, remarque Ruxandra Botez. « Mais déjà à 2 ou 3 %, c’est une réduction jugée intéressante. » Indirectement, les mesures d’atténuation des turbulences permettent ainsi de réduire l’empreinte carbone des vols.