Parmi les quelque 200 candidats au titre de plus grand voyageur du Québec, Bruno Rodi s'est rapidement démarqué: il a visité plus de 200 pays et territoires reconnus ou pas par l'ONU ça vous dit quelque chose, vous, la Transnistrie ou l'île Bouvet? Rencontre avec un voyageur au long cours, un Marco Polo des temps modernes.

Il souffre du mal de mer, a le vertige, n'est ni cycliste ni alpiniste. Et pourtant, Bruno Rodi a escaladé le plus haut sommet des sept continents et atteint les points émergés les plus bas de la Terre, pédalé le Tour de France (3427,5 km en 21 jours!), atteint les deux pôles en ski, visité les grandes îles comme les plus éloignées, navigué sur toutes les mers, effectué la circumnavigation complète de l'Arctique et de l'Antarctique, traversé les plus grands déserts et descendu les plus grands fleuves...

Avec plus de 200 pays visités, Bruno Rodi est certainement le plus grand voyageur du Québec. «Peut-être même du monde et de tous les temps», dit-il, et il n'a pas forcément tort quand on considère tout ce qu'il a fait, en une dizaine d'années. Non, ce n'est pas pour son travail que cet homme d'affaires prospère, aujourd'hui âgé de 59 ans, a accompli tout cela, même s'il est le premier à reconnaître que son métier lui donne les moyens financiers de mener d'ambitieuses expéditions. Un coup d'oeil à la liste de ses principales expéditions suffit!

Le goût de l'aventure

Alors, pourquoi voyager autant? «À cause de Doc Savage», répond-il d'abord avec un grand sourire, en évoquant l'aventurier et héros fictif de quelque 190 romans publiés par l'Américain Lester Dent, dont Bruno Rodi raffolait quand il était petit. Car, pour le garçon né dans le sud de l'Italie dans une famille modeste qui allait émigrer au Québec au début des années 60, voyage rimait déjà avec aventure.

Mais plus sérieusement, quelle est sa motivation? «J'avais déjà fait un tour du monde, plus jeune, avec mes trois enfants, explique-t-il. Mais il y a une dizaine d'années, j'ai ressenti, comment dire... Une espèce de vide, comme ça arrive souvent quand on est dans la mi-quarantaine. J'ai alors décidé de me fixer un projet: j'avais remarqué, pendant mes voyages, que plusieurs lieux visités faisaient partie des sites du Patrimoine mondial établi par l'UNESCO. Pourquoi ne pas tous les faire?»

Pourquoi pas, en effet? Le défi était lancé: à l'époque (2004), le nombre de sites du Patrimoine s'élève à 804, et Bruno Rodi estime avoir vu environ 90% de ceux-là à ce jour! En 2007, il décide aussi d'intégrer à sa quête la Liste du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO, c'est-à-dire une liste de pratiques culturelles transmises de génération en génération, en divers points du monde, du tango à la cuisine japonaise. Le registre de tous ces sites, c'est en quelque sorte la boussole, la ligne de conduite et le garde-fou de M. Rodi.

Un bon plan

«Je me suis fait un plan très précis, que j'ai modifié et bonifié à mesure que je voyageais, explique-t-il. Et je me suis fixé une règle: une fois que j'ai visité un site, je lis systématiquement un livre à son propos, que ce soit 50 ou 500 pages peu importe, afin de bien comprendre ce que j'ai vu.»

Dans l'ordinateur de M. Rodi, les longues listes de pays et sites défilent, ceux-ci suivis de la mention «LU» quand, effectivement, le voyageur a terminé sa lecture thématique. «C'est souvent un ouvrage que j'achète sur place parce que c'est le seul endroit où trouver de l'information, dans certains cas!»

Et s'il le peut, il vérifie ce qu'il a appris: une brodeuse de Lefkara (Chypre) lui affirme qu'elle suit un dessin de dentelle conçu par Léonard de Vinci lui-même, venu visiter l'île cinq siècles plus tôt, et qu'on en trouve un exemple à la cathédrale de Milan. Après avoir filmé la dame à l'oeuvre et posé une foule de questions, Bruno Rodi est passé par Milan, où il a pu constater, tant dans la cathédrale que dans le musée attenant, que les nappes d'autel arboraient bel et bien ce motif... de même que la nappe qui recouvre la longue table de La dernière cène, peint par Vinci entre 1494 et 1498 sur les murs d'un couvent milanais...

La dernière aventure

Évidemment, absolument toutes les occasions de voir un nouveau site du Patrimoine sont bonnes: «Il y a deux Noëls, j'étais en vacances avec ma famille en République dominicaine... et j'en ai profité pour aller faire un saut en Haïti, pendant une journée, pour visiter l'un des sites de l'UNESCO.»

Pendant quelques années, Bruno Rodi a mené plusieurs de ses plus dangereuses expéditions en compagnie de son fils, le cinéaste Jason Rodi, qui a aujourd'hui 35 ans et une famille (voyez ci-bas un extrait du film tourné par Jason Rodi sur l'expédition à à l'île Bouvet avec son père.

Aujourd'hui, c'est donc souvent seul ou accompagné d'amis et de guides que Bruno Rodi poursuit sa quête. Il ne lui reste plus qu'une vraie «grande aventure» à mener, estime-t-il: la traversée de l'océan Indien, de Geraldton (Australie) à Durban (Afrique du Sud)... à la rame! Oui, plus de 8000 km à la rame! En avril, ils seront huit à se relayer par équipes de quatre, nuit et jour, dans un bateau construit spécialement pour l'occasion. «Après cela, conclut Bruno Rodi, je crois bien que l'espèce de vide que je ressentais sera rempli ...»