Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier

Des centaines de gens traversent chaque jour la place du Canada et le square Dorchester sans savoir qu’ils marchent sur un ancien cimetière contenant presque 60 000 squelettes, notamment de nombreuses victimes du choléra.

D’autres admirent le Champ-de-Mars depuis la place Vauquelin en ignorant que des foules s’y réunissaient pour des pendaisons et qu’ils ont sous leurs pieds d’anciennes cellules insalubres où ont été commis des sévices atroces.

Ces faits méconnus du passé sont révélés dans les visites guidées de Montréal hanté. « On ne raconte pas juste des histoires de fantômes, mais des histoires sombres et cachées », précise le fondateur, Donovan King.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Notre guide Cara, de son vrai nom Edna-May MacKenzie

Dimanche dernier, à la tombée de la nuit, nous avons pris part à la visite hantée du Vieux-Montréal. Le point de départ était dans le parc de La Presse ! Pendant plus de 90 minutes, des lieux historiques qui font partie de notre quotidien nous sont apparus sous un tout autre angle. « Montréal est l’un des endroits les plus hantés de l’Amérique du Nord, car c’est ici qu’a commencé l’histoire de la colonisation », a expliqué d’entrée de jeu notre guide Cara, née un vendredi 13 de parents irlandais.

Pourquoi les fantômes existent-ils ? a-t-elle demandé à notre groupe. « Pour des choses pas réglées », a répondu Philippe, un participant.

Bien justement…

Nous n’avions jamais remarqué la pierre commémorative sur l’édifice de la Banque de Montréal, devant la place d’Armes. Avant 2018, il y était écrit : « Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, tua le chef indien de ses propres mains ». Si cette phrase a été remplacée par « Les fondateurs de Ville-Marie affrontèrent les Iroquois qui furent vaincus au cours de la bataille en mars 1644 », il semble presque inconcevable aujourd’hui de parler du traitement des Autochtones de la sorte.

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Montréal hanté offre plusieurs visites : le mont Royal, Griffintown, le Vieux-Montréal, le vieux cimetière Saint-Antoine et une tournée de bars. Ici, notre groupe se trouve devant la place d’Armes.

Ensuite, on a appris que le fantôme de Marie-Joseph Angélique plane sur la place d’Armes depuis que ses cendres ont été dispersées au vent. On a torturé, pendu et brûlé cette esclave noire après l’avoir accusée du violent incendie de 1734 qui a détruit l’Hôtel-Dieu et de nombreuses maisons.

Sans tout dévoiler, notre parcours s’est terminé au Château Ramezay. On y aurait longtemps gardé la cage de La Corriveau (cette femme reconnue coupable du meurtre de son mari). Des autopsies y ont par ailleurs été pratiquées alors que la bâtisse était occupée par la faculté de médecine de ce qui était jadis l’Université Laval à Montréal. Des gens y auraient aussi rapporté la présence de plusieurs fantômes, dont celui de l’hôtesse Miss Anna O’Dowd, morte dans sa baignoire…

CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Jérôme Le Royer de La Dauversière est à l’origine du projet d’évangélisation de Ville-Marie.

Au-delà des fantômes

Notre groupe était constitué de Montréalais et non de touristes (plus nombreux dans la visite qui suivait avec un animateur anglophone). Une mère et sa fille avaient pris part à de nombreuses visites guidées similaires à l’étranger, notamment à Salem. Une autre mère disait ressentir souvent des « présences », et même en voir.

Si le fondateur de Montréal hanté est davantage intéressé par le conte que par le « paranormal », on le contacte très souvent comme dans le film Ghostbusters. Il fait alors appel à l’« enquêteur » Dominic Desormaux, un chasseur de fantômes professionnel !

Donovan King souligne néanmoins que certaines histoires hantées sont documentées. « Des articles de journaux relatent l’histoire de Mary Gallagher à Griffintown », souligne-t-il en faisait référence à la célèbre prostituée décapitée par sa colocataire en 1879 dans leur appartement au coin des rues William et Murray.

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Donovan King a étudié en art dramatique, en enseignement et en histoire, notamment à l’Université McGill.

Sur le blogue de son organisme, Donovan King a répertorié près de 100 lieux hantés. « J’en ai 400 autres sur ma liste », souligne-t-il. Derrière chaque histoire ou légende se cache un fond de vérité qui nous en apprend sur le passé de Montréal.

Consultez le blogue de Montréal hanté

Comment Donovan King a-t-il attrapé le virus du jeu hanté, il y a une trentaine d’années ? Grâce à Robert Short, lauréat d’un Oscar pour le meilleur maquillage pour le film Beetlejuice ! « Il est venu à Montréal pour un projet de maison hantée, le Château Greystoke, érigé dans l’ancien centre commercial de Decarie Square, raconte-t-il. Il m’a engagé pour trouver des acteurs bilingues. »

Ensuite, Donovan King a déménagé à Londres pour travailler au fameux London Dungeon. Avant de fonder Montréal hanté, il a été employé de Guidatour, qui produit des visites appelées Fantômes Montréal. « Nous, on fait du conte plus classique », précise-t-il.

À Londres, le Jack the Ripper Tour attire les foules. À La Nouvelle-Orléans, les Ghost Tours sont aussi très populaires. Ici, bien que les choses s’améliorent depuis la Commission de vérité et réconciliation, il y a « un grand tabou » envers les pans plus sombres de notre histoire, surtout envers les Autochtones, fait valoir Donovan King.

Il n’est pas trop tard pour un travailleur de longue date du Vieux-Montréal d’apprendre qu’on marche sur plusieurs anciens cimetières pendant sa pause du midi. Vous saviez qu’un règlement a interdit la présence de cimetières à l’intérieur des fortifications en 1795 ?