De la maigre voie de passage au véritable lieu de rassemblement, les ruelles de Montréal ont drôlement changé avec les années. Jadis espace de jeu réservé aux enfants d’ouvriers, elles ont été investies par leurs parents, voisins et autres amis du coin, tous âges, origines et classes sociales confondus, et sont aujourd’hui au cœur même de l’identité de la ville. Un nouveau livre nous invite à les redécouvrir, pile pour le printemps. Un petit pas à la fois.

Découvrir Montréal par ses ruelles, c’est avoir accès à un univers coloré, vivant, plein d’histoires et de gens qui les peuplent. Ruelles, tout juste publié chez Parfum d’encre, nous les donne à voir à travers les photographies d’Ariel Tar et les mots de Florence Sara G. Ferraris.

PHOTO FOURNIE PAR ARIEL TARR

Ariel Tarr a pris des dizaines de milliers de photos pendant toutes les saisons, notamment à l’Halloween, pour réaliser ce projet.

Étrangement, ni Ariel Tarr (photographe et instigatrice du projet) ni Florence Sara G. Ferraris (autrice) n’a grandi dans les ruelles de la métropole. Et aucune des deux n’élève non plus ses enfants dans sa cour arrière. Mais toutes deux en sont franchement amoureuses. Et ça paraît.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Florence Sara G. Ferraris (autrice, à gauche) et Ariel Tarr (photographe et instigatrice du projet, à droite)

Il suffit de parcourir les quelque 200 pages de ce beau livre publié chez Parfum d’encre ces jours-ci pour comprendre pourquoi. Alors que les nôtres se réveillent à peine de cet étrange hiver et ne se montrent pas exactement sous leur meilleur jour en ce moment, les Ruelles racontées ici sont toutes colorées, vivantes et fleuries, pleines de joie, de jeux, d’histoires et de rêves. Ça se feuillette tout seul, telle une invitation au voyage, au bout de la ville.

Disons-le d’emblée : il n’y a rien de sale ni de glauque ici, ni même l’ombre d’une chicane de voisins (ni même de scène de ménage !). D’Hochelaga au quartier Ville-Émard, en passant par Villeray, Rosemont ou la Petite-Bourgogne, on est plutôt dans la ruelle harmonieuse, solidaire et verte. Et c’est voulu : « Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les gens », explique Ariel Tarr, native de Los Angeles. Fière résidante de Montréal depuis plus de 30 ans maintenant, elle a voyagé à travers tous ses quartiers. Après avoir vécu dans Notre-Dame-de-Grâce, sur le Plateau Mont-Royal, puis dans Pointe-Saint-Charles, Ariel Tarr a posé ses valises dans Ahuntsic, où elle élève aujourd’hui sa famille. C’est par les amis de son fils, dans Villeray cette fois (et surtout par leur joyeuse ruelle des Tournesols), qu’elle a découvert un nouveau monde de solidarité, de 5 à 7 et d’épluchettes à explorer. En un mot : une communauté.

Je voulais capter la vie et les gens. […] Je voulais montrer ça : le beau et le bien. Parce que c’est une source d’inspiration !

Ariel Tarr, photographe et instigatrice du projet

« C’est un choix éditorial, explique à son tour Florence Sara G. Ferraris. Le désir était de montrer ce qui est positif dans les ruelles. […] Montrer les liens que ça tisse, plutôt que ce qui divise. » Elle est native de la couronne nord, son père vient de Villeray, et a grandi dans la ruelle de la rue des Belges. « Et sa ruelle fait partie de l’imaginaire familial ! » Arrivée à Montréal à 20 ans, c’est aussi par ses ruelles qu’elle a adopté la ville, pour atterrir finalement dans Hochelaga. Florence Sara G. Ferraris a aussi fait une maîtrise en études urbaines (et même commencé un mémoire sur les ruelles !) et couvert l’urbanisme pendant cinq ans au Devoir.

PHOTO FOURNIE PAR ARIEL TARR

Les ruelles, le nouveau parvis de l’église ?

« Les ruelles parlent de Montréal. Elles sont ancrées dans l’histoire des quartiers », poursuit l’autrice, qui raconte dans l’ouvrage leur apparition avec la Conquête (la toute première, la ruelle des Fortifications, est juste derrière La Presse !), jusqu’aux premières ruelles vertes, en passant par l’industrialisation, et la construction de logements à loyer pour les ouvriers.

Au passage, des entrevues avec des gens connus (Michel Tremblay, Pierre Huet et Michel Rivard) ou pas révèlent un amour partagé pour ces « petites rues dépourvues d’adresses » essentiellement synonymes d’insouciance, de jeunesse et de liberté. Récits de jeux de « kick-la-cacane » inclus.

Plusieurs photos glanées ici et là témoignent d’une époque révolue : ici une porte cochère, là un hangar. Des premières cordes à linge jusqu’au Festival des arts de ruelle (FAR), à travers cette petite histoire des ruelles, c’est finalement l’histoire de Montréal qu’on découvre. Et l’histoire des Montréalais. « À Montréal, ce qui est très particulier, c’est le mouvement des ruelles vertes, poursuit l’autrice. Cette revitalisation est très caractéristique de chez nous. Elle est au cœur de ce qu’est Montréal, parce que les Montréalais les ont prises d’assaut ! […] C’est un peu l’équivalent de l’ex-parvis de l’église ! »

PHOTO FOURNIE PAR ARIEL TARR

Le livre est une invitation à la découverte des ruelles montréalaises.

Quantité de photos en témoignent. Il y a de la vie ici, même de la poésie, et un je-ne-sais-quoi de nostalgie. « Il y a quelque chose d’intemporel dans la ruelle, reprend Ariel Tarr, qui a pris des dizaines de milliers de photos et arpenté des centaines de ruelles pour réaliser ce projet. Les portes, les clôtures, les enfants qui jouent, c’est comme si on retournait dans le temps, fait-elle valoir. En même temps, on est en 2024 ! »

Ruelles

Ruelles

Parfum d’encre

252 pages

Montréal et ses ruelles

  • 4000 ruelles
  • 500 km en tout
  • 1995 : première ruelle verte (entre Napoléon, Roy, Parc-La Fontaine et Mentana)
  • 400 : nombre de ruelles vertes en 2023

Parcours de ruelles

Ruelles propose 10 parcours aux quatre coins de la ville, explorant différents thèmes choisis : les faubourgs dans Hochelaga-Maisonneuve, les trésors de Ville-Émard, les terrains de jeux de Rosemont, etc. Chaque parcours a comme point de départ une station de métro et invite à la déambulation, à la découverte et à la rencontre. « L’idée, c’est de jouer aux touristes dans sa ville ! », explique l’autrice, Florence Sara G. Ferraris. « Cela montre la face cachée de la ville, son côté intime ! On est dans le prolongement de la cour, de la cuisine. […] Des fois, on a l’impression de rentrer chez le monde ! »

Parcours suggéré : Le visage artistique de Villeray

Point de départ : station de métro Jarry

PHOTO FOURNIE PAR ARIEL TARR

Direction : La ruelle aux oiseaux (entre Jarry, Boyer, Saint-André et Villeray)

PHOTO FOURNIE PAR ARIEL TARR

Direction : Murale signée Cécile Gariépy (entre Drolet, Gounod, Henri-Julien et Jarry, découvrez l’œuvre murale de Cécile Gariépy)

PHOTO FOURNIE PAR ARIEL TARR

Direction : Ruelle du Hangar 7826 (entre Villeray, Foucher, Gounod et Saint-Gérard, découvrez cet ancien hangar transformé en galerie d’art)

PHOTO FOURNIE PAR ARIEL TARR

Direction : Ruelle Mistral Gagnant (entre des Belges, Leman, Foucher et Mistral)

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