Il y a des bruits étranges à l’extérieur de la tente. Probablement un lagopède. J’ai un dilemme. Demeurer bien confortablement dans mon sac de couchage ou me redresser pour essayer d’apercevoir cet oiseau plutôt rigolo, sorte de grosse poule aux pattes couvertes de plumes. Je succombe à la tentation, je regarde. Je n’arrive pas à distinguer le lagopède, mais je vois subitement une grosse forme blanche à quelques dizaines de mètres du camp…

La rivière Coppermine prend naissance dans les Territoires du Nord-Ouest, traverse le Nunavut et se jette dans le golfe du Couronnement (Coronation, en anglais) à la hauteur du village inuit de Kugluktuk. C’est une destination prisée pour le canot-camping en raison de sa faune abondante, de ses paysages qui passent de la forêt boréale à la toundra et de sa place bien spéciale dans l’histoire du pays.

La rivière Coppermine était une voie de passage importante, et un lieu de conflit, pour les Premières Nations et pour les Inuits. En 1771, l’explorateur britannique Samuel Hearne est le premier Européen à atteindre l’océan Arctique par la voie continentale en suivant ce grand cours d’eau. Cette expédition est cependant marquée par un terrible massacre. En arrivant près d’une cascade, des autochtones qui accompagnent Hearne assassinent tous les membres d’un camp inuit endormi : hommes, femmes, enfants. Le lieu est maintenant connu sous le nom de Bloody Falls.

Entre 1819 et 1822, le célèbre explorateur britannique John Franklin mène une expédition le long de la rivière Coppermine et du golfe du Couronnement, mais en raison d’une mauvaise planification, de partenaires peu fiables et d’une simple malchance, la moitié des membres de l’expédition meurent en chemin.

Comme je recherche une expérience un peu plus sereine, je me joins à une expédition guidée organisée par une entreprise canadienne, Blackfeather. Un hydravion nous dépose sur le bord de la rivière, au beau milieu de nulle part. Nous avons environ deux semaines pour descendre la Coppermine sur près de 400 kilomètres, jusqu’à Kugluktuk. Nous montons le camp pour la nuit et la guide principale, Margaret, nous explique les diverses procédures à suivre pour assurer le bien-être de tous et de l’environnement.

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Le chien du pilote suit des yeux l’hydravion qui prépare son envol avec les canots attachés sur les flotteurs.

Par exemple, elle a préparé un petit sac qu’il faut apporter lorsqu’on va aux toilettes (les toilettes étant n’importe quel petit coin discret loin du camp et des cours d’eau). Il contient une petite pelle (pour creuser un trou), un rouleau de papier de toilette, un gel hydroalcoolique (pour se désinfecter les mains), une bombe de gaz poivre (au cas où un grizzly se présenterait au mauvais moment) et un chasse-insectes en aérosol (quiconque a dû se déculotter pour aller aux toilettes dans un sous-bois au printemps comprend l’utilité de la chose).

Mais comme l’été a été très sec dans le nord-ouest du Canada, les insectes piqueurs se font rares cette année.

Au petit matin, nous défaisons le camp, un processus que nous perfectionnerons au cours des jours à venir et qui prendra ainsi moins de temps.

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Au début, la rivière Coppermine traverse la forêt boréale.

Pour l’instant, le courant n’est pas très rapide, ce qui permet de commencer l’expédition bien tranquillement. À cette latitude, il y a encore des arbres, soit des épinettes pas très grandes mais bien vaillantes. Des sternes arctiques volent autour de nous, des pygargues pêcheurs nous observent du sommet des épinettes.

À la pause dîner, nous explorons la plage : on y voit des traces d’orignal, de loup. Il y a de la vie autour de nous.

  • Un bœuf musqué sur le bord de la rive

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    Un bœuf musqué sur le bord de la rive

  • Un petit caribou curieux s’approche des canoteurs.

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    Un petit caribou curieux s’approche des canoteurs.

  • Un caribou vient de terminer la traversée de la rivière Coppermine.

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    Un caribou vient de terminer la traversée de la rivière Coppermine.

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Nous en avons la preuve quelques minutes après avoir repris la pagaie. Après une courbe dans la rivière, nous apercevons un bœuf musqué près de la berge, seul, impérial. Il se laisse prendre en photo avant de se retirer avec majesté.

Le lendemain, c’est un petit caribou curieux qui nous surprend. Nous l’apercevons loin en aval, sur la plage avec sa maman, alors que nous nous arrêtons pour le goûter. Lorsque la dame caribou nous voit, elle se réfugie rapidement dans les fourrés. Mais le jeune hésite à la suivre. Il cède à la curiosité et se met à galoper dans notre direction. Il s’approche, s’arrête subitement, se dit peut-être qu’il n’a pas eu l’idée du siècle et fait demi-tour pour retourner à toute vitesse vers sa maman.

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Avant un rapide important, on s’arrête pour observer et trouver le meilleur itinéraire.

Au fil des jours, le courant devient plus fort, des rapides apparaissent, d’abord petits, puis de plus en plus costauds. Parfois, il faut accoster pour observer les rapides et essayer de planifier un itinéraire entre les obstacles. Le canot piloté par Margaret s’élance en premier. Les autres canots suivent, comme des canetons qui suivent leur maman.

C’est en se retournant pour nous donner des indications que Margaret aperçoit un orignal derrière nous sur la rive. Combien d’animaux nous observent ainsi, discrètement, à notre insu ?

Ours brun, mouches noires et loup blanc

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Le Centre des visiteurs de Kugluktuk comprend des artefacts et des animaux empaillés. Ce qui permet de regarder un grizzly dans les yeux sans crainte.

Les journées sont parfois longues. Un après-midi, nous sommes tellement fatigués que nous songeons à demander à Margaret de s’arrêter bientôt pour la nuit.

Mais voilà que nous apercevons un jeune grizzly sur la rive. Subitement, nous sommes prêts à pagayer encore plusieurs kilomètres avant de monter le camp.

Le site que nous finissons par choisir n’est pas idéal, il y a un peu de mouches noires, mais c’est quand même mieux qu’un ours brun.

C’est pendant la nuit que je vois cette fameuse forme blanche près du camp. Nous sommes encore loin de l’océan Arctique, ça ne peut pas être un ours polaire. Peut-être une chèvre de montagne ? Je réalise alors qu’il s’agit d’un gros loup blanc, qui pourchassait probablement le lagopède et qui s’est arrêté net en tombant sur notre petit village de tentes. Il observe un peu, puis décide prudemment de se retirer.

Combien de grosses bêtes parcourent notre camp pendant que nous dormons du sommeil du juste ?

Nous reprenons notre périple le lendemain. Au fil des jours, les épinettes diminuent de taille, se font plus rares, puis disparaissent. La température se rafraîchit. Nous sommes maintenant dans la toundra, une toundra un peu enfumée en raison des incendies de forêt plus au sud.

Tout est paisible à Bloody Falls, rien ne rappelle le terrible massacre de 1771. Les chutes sont tellement impressionnantes que nous décidons de faire un long portage pour les éviter.

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Arrivée dans le golfe du Couronnement dans un air un peu enfumé

Nous finissons par atteindre Kugluktuk et nous nous installons dans le petit terrain de camping local en attendant notre vol du retour. Il ne manque pas de choses à faire, à commencer par une visite au Centre des visiteurs. Pour un petit village de 1500 habitants, le bâtiment est impressionnant avec une section muséale et une boutique d’artisanat local.

Les Inuits se montrent accueillants. Plusieurs défilent dans notre camp pour proposer de très belles pièces d’artisanat : des boucles d’oreilles, des mitaines de fourrure, des sculptures.

Une dame nous laisse une belle pièce de viande de caribou, comme ça, gracieusement.

À 22 h, une sirène se déclenche, stridente. Que se passe-t-il ? Une catastrophe se prépare ? Un tsunami, un tremblement de terre ?

Non. La sirène vise simplement à rappeler aux enfants qu’il est temps d’aller se coucher. Au nord du cercle polaire, le soleil se couche tard pendant une bonne partie de l’année et les écoliers ont tendance à oublier qu’il faut penser à se mettre au lit. Le message vaut pour nous aussi.

Consultez le site de Blackfeather (en anglais)
En savoir plus
  • Coût du périple : 12 999 $
    Voyager au Nunavut est extrêmement cher, notamment lorsqu’il faut noliser des avions pour se rendre sur place avec des canots et tout l’équipement nécessaire.