(Chicago) Avec la fermeture jusqu’au printemps de la Gainer Plaza du Millenium Park, là où se trouve la fameuse « bean » du sculpteur britannique Anish Kapoor, toute notre attention se porte dorénavant sur l’autre joyau du centre-ville de Chicago : ses rivières. Elles bénéficient depuis des années non seulement d’un programme d’assainissement qui porte ses fruits, mais aussi d’efforts d’embellissement qui ont vu s’allonger le Riverwalk, une promenade de deux kilomètres le long de la rivière Chicago – la Main Branch, comme le disent les habitants.

Elle part des rives du lac Michigan et suit la rive sud jusqu’à l’embouchure de la North et de la South Branch. On y croise terrasses, restaurants, bars, plusieurs quais d’où on peut entreprendre de courtes croisières d’interprétation architecturale. Mais il y a aussi les installations d’Urban Kayak, qui organise des sorties guidées sur la rivière. En effet, on peut visiter en kayak le centre-ville au fil de l’eau, avec de fabuleux gratte-ciels tout autour de la tête !

Après les recommandations d’usage, on glisse de l’ingénieux quai d’embarquement sur rouleaux pour gagner la rivière, pas très loin de l’écluse qui sépare la rivière du lac Michigan, au-delà du pont de la Jean Baptiste Pointe du Sable Lake Shore Drive – on verra plus tard qui est cet illustre personnage au nom tout ce qu’il y a de plus francophone.

Comme il y a une écluse, donc, le courant est toujours régulier, il faut simplement faire attention aux nombreux bateaux qui circulent dans la rivière. C’est pourquoi on traverse du côté de la rive nord, pour pagayer dans le bon sens du trafic ! Mais que l’on se rassure, notre guide Zach Sabitt est en communication constante avec les autorités portuaires, ce qui nous permet de glisser avec aisance sur les eaux calmes de la rivière. Et d’admirer le spectacle qui s’offre à nous.

PHOTO PIERRE-MARC DURIVAGE, LA PRESSE

On peut apercevoir à droite sur la photo les colonnes de la tour Trump, qui se prolonge jusqu’à la surface de la rivière.

Après avoir contemplé la magnifique tour St. Regis, plus récente addition dans le ciel de Chicago et plus haut gratte-ciel dessiné par une femme – l’œuvre de Jeanne Gang culmine à 365 m –, on se retrouve rapidement au pied de l’immanquable tour Trump. Notre guide nous explique que l’ancien président américain avait formulé en 2001 le souhait de faire ériger à Chicago la plus haute tour au monde, mais que les attentats du 11-Septembre avaient ralenti ses ardeurs – tout comme ses banquiers, d’ailleurs.

Néanmoins, le milliardaire mégalomane a demandé à nul autre qu’Adrian Smith, le même qui allait superviser la construction du Burj Khalifa, à Dubaï, de lui proposer les plans d’un gratte-ciel digne du nom Trump. Achevé en 2009, il s’agissait à 423 mètres du deuxième édifice parmi les plus hauts des États-Unis. « Quand on regarde la surface vitrée de la tour alors qu’on est à cinq pouces de l’eau, elle a tout de même l’air franchement grosse », dit en riant notre guide en mettant l’accent sur le mot « huge », livré avec une intonation à la Trump.

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La balade en kayak s’achève à Wolf Point, au confluent des branches nord et sud de la rivière Chicago.

Un peu d’histoire francophone à Chicago…

Il nous invite ensuite à nous retourner pour regarder le pont Du Sable, nommé ainsi il y a quelques années en l’honneur du réel fondateur de Chicago, Jean-Baptiste Pointe du Sable, un métis d’origine haïtienne qui a construit sa maison et établi un poste de ravitaillement ici en 1779. En 1800, du Sable vend sa propriété au trappeur canadien-français Jean Lalime, qui la cède quatre ans plus tard à John Kinzie, un autre marchand de Québec.

Pendant 200 ans, ce Kinzie a été considéré à tort comme fondateur de la ville. « Vous voulez donner à un homme noir le crédit d’être l’un des fondateurs de l’une des plus grandes villes d’Amérique ? s’interroge notre guide avec ironie. C’est sa bru, Juliette Augusta Magill Kinzie, autrice et historienne, qui a donné ce crédit à son beau-père, un bon homme blanc de valeur chrétienne. » Ce même Kinzie a été responsable du premier meurtre commis à Chicago ; il a tué Lalime en 1812, au terme d’une querelle qui a mal tourné…

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Les projections quotidiennes Art on the Mart sont présentées tous les soirs sur la façade du Merchandise Mart, immense bâtiment construit en 1930 qui, avec ses 372 000 mètres carrés, était le plus grand immeuble de son époque.

Tout ça nous ramène plus de 100 ans avant, sur les traces de Louis Joliet et du père Jacques Marquette, les premiers Européens à avoir pagayé dans les mêmes eaux que nous, qui coulaient toutefois vers le lac Michigan à cette époque – on a inversé le flot à grands coups de dynamite pour qu’elles se dirigent vers le bassin du Mississippi à partir de 1900.

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Le Musée maritime de Chicago offre notamment quelques tableaux accompagnés de présentations vidéo de personnages célèbres de l’histoire de la ville.

Étonnant musée

Une visite au petit Musée maritime de Chicago vaut d’ailleurs le détour pour retracer les origines et le développement de Chicago, intrinsèquement lié à ses voies navigables. Mis au parfum par les autochtones de la région, Louis Joliet a le premier établi qu’un court portage entre la rivière Des Plaines et la rivière Chicago permettait de joindre le bassin du Mississippi à celui des Grands Lacs et de l’océan Atlantique. Pour la petite histoire, c’est sur ce sentier, appelé Ottawa Trail, qu’ont été jetées les bases de la mythique route 66 !

On trouve entre autres au Musée maritime les répliques de canots d’écorce fabriquées par le Chicagoan Ralph Freese, dont celui qu’il a construit en 1973 pour souligner les 300 ans de l’expédition Joliet-Marquette jusqu’en Arkansas. Freese a aussi construit le grand canot de 34 pieds utilisé à Ottawa pour le centenaire de la Confédération canadienne.

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Carte de la ville de Chicago au XIXe siècle, exposée au Musée maritime

Si on pousse l’exploration du musée un peu plus loin, on apprend plein de choses franchement étonnantes. Par exemple, un sous-marin allemand de la Première Guerre mondiale récupéré comme butin de guerre a été torpillé dans le lac Michigan dans le cadre d’un exercice par l’Eastland, un navire renfloué qui avait auparavant été victime, à quai dans la rivière Chicago, de la pire catastrophe maritime des Grands Lacs (ça ne s’invente pas !). On y voit aussi quelques maquettes de bâtiments ayant navigué jusqu’au port de Chicago, tel que l’USS Wolverine, un improbable porte-avion construit à partir d’un navire à vapeur mû par des roues à aubes ; il a été utilisé pour l’entraînement de 1942 à 1945 – pas moins de 1300 pilotes se sont posés sur son pont !

Le frais de transport ont été payés par Choose Chicago, qui n’a eu aucun droit de regard sur le contenu de l’article.