Sur 5000 km, le Continental Divide Trail (CDT) suit la ligne de partage des eaux le long des Rocheuses états-uniennes. Il sillonne les prairies désertiques du Nouveau-Mexique, grimpe sur les sommets enneigés du Colorado et escalade les pics acérés du Montana. Notre collaboratrice a relevé le défi de le parcourir en entier.

Sécheresse au Nouveau-Mexique

  • Du désert de Chihuahuan jusqu’aux Rocheuses escarpées, le CDT s’étend sur 1200 km au Nouveau-Mexique. Il traverse de vastes prairies arides, ainsi que des panoramas de « Far West » aux falaises rouges, le tout souvent sous un ciel azur.

    PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

    Du désert de Chihuahuan jusqu’aux Rocheuses escarpées, le CDT s’étend sur 1200 km au Nouveau-Mexique. Il traverse de vastes prairies arides, ainsi que des panoramas de « Far West » aux falaises rouges, le tout souvent sous un ciel azur.

  • Dans tout le Nouveau-Mexique, et ailleurs sur le CDT, les randonneurs doivent souvent utiliser l’eau qui est destinée au bétail.

    PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

    Dans tout le Nouveau-Mexique, et ailleurs sur le CDT, les randonneurs doivent souvent utiliser l’eau qui est destinée au bétail.

1/2
  •  
  •  

Quelque 150 km de sentier et aucune source d’eau naturelle. Pas de rivières, pas de ruisseaux, pas de lacs, pas d’étangs. Rien. Que sécheresse. Peu importe : je suis de retour chez moi, au cœur de la nature, et j’avance sur le Continental Divide Trail (CDT) avec humilité, dans le désert du Nouveau-Mexique. Un milieu hostile où des épines de buissons, solides comme des clous, crèvent les pneus des voitures et empalent mes semelles !

Outre quelques caches à eau entretenues par de généreux inconnus, dits « trail angels », ou des employés de la coalition du CDT, les seules sources d’eau pour les randonneurs sont celles pour le bétail. On puise ainsi son eau dans des réservoirs ou dans d’énormes pneus, contenant un liquide souvent douteux, où s’abreuvent des vaches.

Brutalement sec, donc. Et chaud : 30 °C à l’ombre. Pas le choix de traîner des litres d’eau, d’autant plus que les sources fiables sont éloignées les unes des autres.

Malgré ce poids en extra, je marche le cœur léger, avec mes chapelets d’ampoules autour des talons. Je suis chez moi. Le ciel est mon plafond, les murs, inexistants.

D’oasis à incendies de forêt

  • Presque tous les randonneurs du CDT optent pour le sentier de remplacement de la rivière Gila plutôt que pour le parcours officiel. Ici, on traverse sans cesse cette rivière qui a creusé un profond canyon flanqué de cheminées de fée.

    PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

    Presque tous les randonneurs du CDT optent pour le sentier de remplacement de la rivière Gila plutôt que pour le parcours officiel. Ici, on traverse sans cesse cette rivière qui a creusé un profond canyon flanqué de cheminées de fée.

  • Un cactus pousse dans les replis du champ de lave d’El Malpais. Si certains y voient un environnement désolé où se tordre les chevilles, c’est surtout un remarquable trésor volcanique niché dans le Sud-Ouest américain.

    PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

    Un cactus pousse dans les replis du champ de lave d’El Malpais. Si certains y voient un environnement désolé où se tordre les chevilles, c’est surtout un remarquable trésor volcanique niché dans le Sud-Ouest américain.

1/2
  •  
  •  

Une oasis dans le désert. J’ai dû traverser 250 fois la rivière Gila, avec de l’eau souvent jusqu’aux genoux, voire à la fourche. Une rivière enclavée dans un canyon à la riche végétation et où trônent d’innombrables cheminées de fée et d’immenses colonnes de roches. Certaines, dans les teintes de rose et de rouge, semblent avoir été façonnées par un potier qui en a soigné chaque courbe. D’autres, plutôt noires et aux lignes droites, ont au contraire subi la fougue d’un tailleur de pierres qui en a amputé de gros blocs ici et là.

La rivière serpente, creuse, caresse et embrasse chaque côté du canyon comme elle coule et respire, forçant les randonneurs à la traverser sans cesse. Jamais je n’ai eu autant de plaisir à avoir les souliers trempés !

Il est possible, le long du CDT, d’opter pour des sentiers de remplacement et de construire son aventure à la carte. La rivière Gila n’est pas sur la ligne continentale de partage des eaux, mais demeure un incontournable. Un autre exemple : des randonneurs emprunteront un raccourci pour éviter le champ de lave d’El Malpais qui, pourtant, est un petit bijou. Dans les replis difformes des coulées noires et crevassées poussent des cactus aux fleurs rouges, ainsi que des pins, genévriers et chênes rabougris, et on y foule des roches trouées comme des éponges.

C’est finalement en hors-la-loi que j’ai parcouru mes 80 derniers kilomètres au Nouveau-Mexique, avant d’atteindre le Colorado, à 3200 m d’altitude. À cause du risque extrême d’incendies, le Service des forêts des États-Unis a interdit l’accès à des secteurs. Plus chanceuse que de nombreux autres randonneurs, j’ai pu terminer le sentier dans cet État.

Comme un avertissement, il a neigé lors de ma dernière journée : le Colorado n’aura rien à voir avec ces 1000 km de sécheresse.

S’envoler au-dessus du Colorado

  • Le Colorado, c’est un océan de montagnes aux flancs noirs, gris, beiges ou orangés, où l’on passe d’un col à l’autre avec cette impression d’infini.

    PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le Colorado, c’est un océan de montagnes aux flancs noirs, gris, beiges ou orangés, où l’on passe d’un col à l’autre avec cette impression d’infini.

  • Une nouvelle génération de fleurs printanières s’élève dans les montagnes du Colorado encore couvertes, ici et là, de neige.

    PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

    Une nouvelle génération de fleurs printanières s’élève dans les montagnes du Colorado encore couvertes, ici et là, de neige.

1/2
  •  
  •  

Son trail name était Cutie. Il est mort dans son sommeil, paisiblement, au cœur des montagnes du Colorado, à 32 ans. Une nouvelle bouleversante même si je le connaissais à peine : j’avais partagé, en ville, quelques moments avec lui et d’autres randonneurs, et je ne l’avais revu qu’à une source d’eau chaude isolée.

On était quatre à se prélasser dans cette source nichée près d’une rivière, atteinte après de longs passages dans la neige. Si vous aviez vu son coup de soleil ! En soirée, il se désolait de ne plus voir les étoiles la nuit, car il avait perdu ses lunettes.

Dès le matin suivant, il a pris de l’avance. Deux semaines plus tard, cette nouvelle.

La vie ne tient qu’à un fil !

Il est ainsi parti dans un océan de montagnes aux flancs noirs, gris, beiges ou orangés, où l’on passe d’un col à l’autre comme d’une vague à une autre, avec cette impression d’infini.

Il s’est envolé parmi les pics dentelés, enneigés, dont les versants de granite chatoient au soleil ou paraissent menaçants sous de sombres nuages.

Il a observé, de haut, ces ruisseaux qui serpentent dans les vallées, ces cascades qui dégringolent, ces lacs qui dégèlent et, enfin, ces nuages qui les abreuvent.

Lui qui se désolait de ne plus voir les étoiles, il est désormais l’une d’elles.

Une étoile qui me rappelle l’importance d’apprécier chaque moment, même lorsque je dois braver des orages ou avancer parmi des flocons qui tombent à l’horizontale. Même lorsque les 46 000 mètres de dénivelé positif — l’équivalent de cinq monts Everest — des 1200 km du CDT au Colorado m’épuisent.

Wyoming, aux antipodes

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

Le soleil se couche dans la chaîne de montagnes de Wind River, après un court orage qui s’est déchaîné plus loin. La nuit, ici, s’annonce paisible.

C’est enfermée dans un fourneau au Wyoming que j’ai dû me remémorer le plus souvent d’apprécier chaque moment. Quelque 300 km à randonner dans le Great Divide Basin, un environnement aride, à peine vallonné, à la chaleur insupportable. Où le soleil brûle tout. Où il est impossible de s’arrêter à l’ombre, car il n’y a que des arbustes de sauge rachitiques et des brins d’herbe jaunis. Où le sentier, qui emprunte des routes de terre qui paraissent sans destination, s’étire à l’infini. Où l’on constate vite, sur des kilomètres et des kilomètres, qu’on est seul au monde. Où l’on vole l’eau du bétail et où on jalouse la vitesse des antilopes d’Amérique. Et où le chaud vent est notre unique allié, même lorsqu’il est de face, qu’il hurle dans nos oreilles et nous fouette des heures durant. Sans lui, j’aurais fini rôtie. Comme un poulet au four.

Autant le bassin m’a paru inhospitalier, autant la chaîne de montagnes de Wind River, dite Winds, m’a ouvert les bras. Des bras tatoués de lacs turquoise, chargés de fleurs sauvages et dont les doigts de granite égratignent le ciel. Des bras qui enserrent délicatement le sentier, qui accueillent picas et marmottes, et dans lesquels on voudrait rester — surtout là où ils sont couverts de fraises gorgées de soleil !

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

Plusieurs geysers dans le parc de Yellowstone sont nommés « Minute Man », à cause de leurs éruptions fréquentes, mais le premier ainsi identifié se cache dans l’arrière-pays du Shoshone Geyser Basin et le CDT passe à côté.

Et que dire du parc de Yellowstone, à la nature hors du commun ? Les bassins hydrothermaux rivalisent de couleurs vives tandis que les geysers, dont le célèbre Old Faithful, éjectent de l’eau sur des mètres de haut.

De tous les geysers, l’un d’eux, plus petit, modeste et à l’extérieur de la zone touristique, m’a conquise lors d’une inoubliable rencontre pendant laquelle il crachait coquettement. Un ami et moi avons dégusté notre souper — de délicieuses patates en poudre — avec lui, les pieds dans un filet d’eau chaude alimenté par ses sautes d’humeur.

Tout en douceur au Montana

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

La Muraille de Chine, au Montana, s’élève à 300 m sur une vingtaine de kilomètres. Ce massif rideau de calcaire marque la ligne de partage des eaux à travers l’aire protégée de Bob Marshall.

Après avoir marché seule, marché avec des amis et marché pour arriver à la frontière canadienne avant le froid, pas question de passer en coup de vent dans l’aire protégée de Bob Marshall et le parc national de Glacier. J’ai même choisi des trajets plus longs pour m’éterniser avant un retour brutal à la vie normale.

J’ai longé doucement la Muraille de Chine des États-Unis, un escarpement de 300 m coupé au couteau, qui s’étend sans interruption sur plus d’une vingtaine de kilomètres.

J’ai pris le temps d’écouter le vent, les cours d’eau et les oiseaux, musique à laquelle s’est ajouté le brame des wapitis. Leurs notes aiguës et métalliques virevoltaient dans l’air frais et musqué de l’automne naissant.

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

Le parc national de Glacier abrite 71 espèces de mammifères, dont les mouflons qui vivent dans les prairies alpines et sur les pentes herbeuses des Rocheuses.

J’ai bien remarqué les empreintes de grizzlis dans la terre ou leurs déjections, me gavant, moi aussi, de myrtilles mûres à souhait.

Je me suis baignée dans des lacs glaciaires tout en admirant l’ouvrage de leurs maîtres d’œuvre, des glaciers, qui ont recouvert le nord du Montana et sculpté des pics acérés ainsi que des vallées aux parois abruptes. J’ai frôlé le Triple Divide Peak, seul endroit aux États-Unis où les précipitations s’écoulent dans les océans Pacifique, Atlantique ou Arctique.

J’ai savouré chaque pas, chaque rayon de soleil et (presque) chaque goutte de pluie ou flocon de neige.

J’ai contemplé le ciel étoilé, en pensant à Cutie et à tous ceux qui m’ont aidée, de près ou de loin.

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

Des thru-hikers émus par la mort du randonneur américain Alexander Cahoy, surnommé Cutie à cause d’une histoire de mandarines, ont apposé des autocollants sur lesquels on lit « Hike in peace, Cutie » sur les bornes marquant la fin du CDT à la frontière américano-canadienne, quelque 5000 km au nord du début du sentier.

Et c’est sous la pluie, après environ cinq mois, que je suis arrivée au Canada, trempée et transie. Le cœur rempli de fierté, de joie, de gratitude et de nostalgie, mais aussi lourd que le ciel gris à l’idée de devoir troquer mon plafond des derniers mois pour… de véritables plafonds !

Avant de se lancer sur le CDT

PHOTO MARIE-SOLEIL DESAUTELS, COLLABORATION SPÉCIALE

Le parc national de Glacier a été nommé ainsi en raison de ses nombreux glaciers actifs, aujourd’hui menacés par les changements climatiques. Partout, des pics acérés ou des vallées glaciaires rappellent le rôle de ces géants, que ce soit dans le présent ou le passé.

Environ 90 % des randonneurs marchent vers le nord, du Mexique au Canada, et commencent entre la mi-avril et la mi-mai. Ceux qui marchent vers le sud commencent entre la mi-juin et le début de juillet. Les thru-hikers mettent de cinq à six mois pour parcourir le sentier et se ravitaillent dans les villages ; il faut parfois être autonome plus d’une semaine. Le CDT fait partie de la Triple Couronne (Triple Crown), avec l’Appalachian Trail (3525 km) et le Pacific Crest Trail (4265 km). C’est le plus difficile et isolé des trois sentiers. Quelque 700 randonneurs ont tenté un thru-hike en 2022 et un peu plus de 150 ont rapporté l’avoir terminé à la Continental Divide Trail Coalition.

Ressources en ligne

Préparez votre périple et renseignez-vous sur les permis nécessaires avant de partir sur le site officiel du Continental Divide Trail Coalition.

Consultez le site de la CDT (en anglais)

Plusieurs ressources permettront de vous orienter sur place : la carte interactive officielle de la Continental Divide Trail sur FarOut, les cartes de Jonathan Ley et l’application Gaia GPS.

Consultez le site de FarOut (en anglais) Consultez les cartes de Jonathan Ley (en anglais) Consultez le site de Gaia GPS (en anglais)

Pour s’équiper et planifier ses ravitaillements, voici deux ressources à votre disposition :

Consultez le site de Halfway Anywhere (en anglais) Consultez le site de The Trek