Prises entre une croissance vigoureuse et la volonté de réduire leur empreinte environnementale, de nombreuses compagnies de croisière tentent de verdir leurs activités. Au-delà des initiatives revendiquées, s’agit-il de réelles avancées… ou de gouttes d’eau dans la mer ?

Cet été, le Viking Neptune, luxueux navire de croisière équipé notamment d’un spa, d’une salle de spectacle et d’une salle d’exercice, faisait escale à Montréal. Fait mis de l’avant : une fois à quai, il se branche aux installations d’alimentation électrique du port québécois, inaugurées en 2017, et dont seulement 25 destinations de par le monde sont équipées.

La manœuvre permet de réduire l’utilisation des moteurs au diesel, qui continuent habituellement de tourner une fois le navire immobilisé afin d’alimenter les équipements à bord. La compagnie norvégienne Viking revendique ainsi « jusqu’à 30 % de réduction d’émissions de CO2 sur certains itinéraires ». Cependant, lorsque le Neptune, construit en 2022, sillonne les océans, il recourt à ses moteurs conventionnels, nous a confirmé son capitaine. La compagnie dit miser, dans un horizon non déterminé, sur l’hydrogène liquide et les batteries à combustible, qui permettraient de tendre vers la carboneutralité, à basse vitesse de navigation.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Une fois à quai, le Viking Neptune peut être branché à des installations électriques pour assurer les besoins à bord… si le port en est équipé. Ici, on le voit alimenté à Montréal, un des 25 ports dans le monde où cette option est proposée.

Dans un autre segment de l’industrie des croisières, la compagnie Ponant, qui exploite des navires de taille plus modeste (de quelque 30 à 330 passagers), dont un modèle hybride électrique propulsé au gaz naturel liquéfié, a lancé un ambitieux projet de voilier transocéanique carboneutre. Objectif : décarbonation complète en 2050. Auparavant, furent tentées des adaptations écoénergétiques sur la flotte existante. « On peut optimiser le navire et réduire la vitesse, mais on va gagner au maximum 30 % de réduction d’émissions de CO2. Ça ne marche pas. Il faut penser le navire dès sa conception pour qu’il intègre de nouvelles technologies qui vont lui permettre d’atteindre l’objectif de 90 % de décarbonation en 2040 », souligne Mathieu Petiteau, directeur des nouvelles constructions et de la recherche et développement pour Ponant.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR PONANT

En combinant plusieurs technologies et en collaborant avec les fournisseurs d’énergie et d’équipement, Ponant espère mettre au point un voilier de croisière carboneutre. Ici, une des projections, non définitive.

Pour ce futur navire qui accueillera près de 200 passagers, on joue sur trois tableaux, dont les énergies renouvelables, avec un système de voiles, le recours à l’énergie solaire et à l’hydrogène vert. « Les itinéraires du navire seront étudiés en fonction des vents, tout en restant d’intérêt pour les passagers », précise M. Petiteau. La sobriété énergétique est aussi prévue, avec une vitesse d’exploitation réduite et une philosophie slow cruise. Enfin, l’efficacité énergétique est visée, avec une coque optimisée, l’intégration d’hydrogène liquide et de piles à combustible pour soutenir la propulsion, ainsi que du gaz naturel liquéfié pour alimenter les besoins à bord.

Mais il faudra que les industriels et fournisseurs se mettent au diapason. « Actuellement, il n’y a aucune chaîne de distribution d’hydrogène liquide. On travaille avec Viking pour faire comprendre ce besoin à l’industrie. Tout un univers de fournisseurs de technologie et de professionnels maritimes va nous accompagner dans ce projet pour lever barrières et contraintes », parie l’ingénieur naval.

Les gros navires pointés

Nous avons demandé à Luc Renaud, chercheur et professeur associé au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, d’examiner ces initiatives. Ce dernier a salué « de bonnes intentions », dont certaines sont « intéressantes », malgré quelques bémols. Dans le cas de Viking, il pointe le branchement électrique une fois amarré. « À la base, c’est mieux, évidemment, et c’est intéressant pour le Québec. Mais si on branche le bateau dans le port d’un pays produisant son électricité moins proprement, comme au charbon, sommes-nous plus avancés ? », demande-t-il, soulignant que la racine du problème est plutôt dans la consommation liée à la mobilité du navire.

Mettre de l’électricité à quai, c’est un gain assez minime sur le bilan énergétique du bateau.

Luc Renaud, chercheur et professeur associé au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM

Concernant le recours à l’hydrogène, il émet des réserves quant à son utilisation sur de gros navires, sans écarter l’éventuelle pertinence de cette option dans un horizon plus lointain.

Quant à Ponant, M. Renaud juge son projet de voilier carboneutre fort louable… mais signale qu’elle fait partie des compagnies « évoluant dans des segments extrêmement minces du tourisme de croisière », établissant une analogie avec l’écotourisme, encore marginal. Or l’écrasante majorité de l’industrie est constituée de monstres marins. La surconsommation engendrée par ces tout-inclus flottants, allant jusqu’à proposer des parcs aquatiques à bord, semble très difficile à endiguer.

PHOTO D’ARCHIVES, FOURNIE PAR ROYAL CARIBBEAN

Si certaines compagnies font des efforts environnementaux, la tendance est plutôt à la démesure et à la surconsommation chez d’autres, avec l’apparition de navires équipés de parcs aquatiques, de piscines à gogo et de salles de spectacle, comme ici, à bord du Symphony of the Seas.

Un autre obstacle demeure l’opacité des compagnies de croisière, dénoncée par M. Renaud. Ces dernières, y compris celles revendiquant des efforts environnementaux, refusent généralement de fournir des données à ce propos.

Toutes sortes de phrases creuses sont lancées, et même si les intentions sont légitimes, on ne peut pas vérifier ce que l’industrie nous propose comme avancées. Est-on dans l’écoblanchiment ? Oui, jusqu’à preuve du contraire.

Luc Renaud, chercheur et professeur associé au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM

Et même pour ceux qui se montrent très proactifs en la matière (il cite Hurtigruten, qui a lancé le navire hybride Roald Amundsen), leur mobilisation a tendance à être gommée par l’attractivité toujours grandissante de ce mode de voyage. « On a beau diminuer de 2 ou 3 % les émissions de CO2, la croissance de cette industrie de masse est de 6 % à 7 % par année », indique le chercheur, précisant qu’elle a attiré 29 millions de clients en 2019 et devrait en drainer 37 millions en 2027.

« Quand on vérifie les éléments, même sans la collaboration de l’industrie, on n’arrive pas à voir ce qui est durable dans le tourisme de croisière », lâche M. Renaud, qui préconise de voyager moins, plus localement, ou de considérer les bateaux de ravitaillement embarquant des passagers, tel le Bella-Desgagnés. « Ce n’est pas juste un bateau qui tourne en rond, il part de toute façon ravitailler les communautés locales. »