L’idée d’un tour du monde avait toujours trotté dans la tête d’Edith Lemay. Constater, au fil des années, que Mia, 12 ans, Colin, 7 ans, et Laurent, 5 ans, vivaient avec une maladie dégénérative oculaire rare causant la perte progressive de la vue est ce qui lui a donné le sentiment d’urgence. Léo, 10 ans, faisait évidemment lui aussi partie du plan.
La rétinite pigmentaire, transmise génétiquement, commence normalement à affecter ses patients dès l’adolescence. Elle endommage d’abord la vision périphérique, comme si on « ne pouvait voir qu’à travers une paille », avant de rendre complètement aveugle dans la trentaine ou la quarantaine.
C’est pour cela qu’il fallait partir. Il fallait permettre à Mia, à Colin et à Laurent de voir ce que la Terre avait à offrir, il fallait leur remplir la tête de bons souvenirs. C’était un plan originellement prévu pour juillet 2020, qui a dû attendre à mars 2022 pour se concrétiser en raison du contexte pandémique.
« Ç’a été au-dessus de nos attentes, relate Edith Lemay en entrevue. On ne savait pas comment les enfants s’adapteraient et réagiraient. Ils ont été de bons voyageurs. Les paysages étaient bien sûr magnifiques, mais je me rappellerai aussi les rencontres qu’on a faites : c’était la partie moins prévue, les amitiés qu’on a créées en chemin. »
De l’Afrique à l’Asie
Commençant son voyage par quatre pays d’Afrique (Namibie, Botswana, Zambie, Tanzanie) et sans avoir prévu où elle terminerait sa route, la famille a ensuite pris le chemin de la Turquie, avant de visiter les steppes de la Mongolie.
Elle a poursuivi son chemin en remontant l’Asie du Sud-Est par l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, le Cambodge et le Laos. Des passages dans les montagnes du Népal et d’Oman, puis une visite sur les terres sacrées d’Égypte ont fait office de conclusion à cet itinéraire hors du commun.
De toute cette expérience, qu’est-ce que les enfants vont retenir ? Leur maman estime qu’elle le découvrira « dans les prochains mois, les prochaines années ».
« Mais ce que j’ai surtout vu, c’est qu’ils ont développé une grande capacité d’adaptation. C’est quelque chose dont ils vont avoir besoin. »
On partait avec l’objectif de remplir leur mémoire visuelle et ce n’est pas devenu secondaire, mais tout ce qu’ils ont appris, comme être résilient ou s’adapter… ce n’était pas prévu et on s’est rapidement rendu compte que ça allait être très précieux. Ils étaient gênés, mais au fur et à mesure, la barrière de la culture s’est dissipée.
Edith Lemay, à propos de ses enfants
Faire du bien
Dans l’optique de tenir ses proches au courant, Edith Lemay a créé des pages Facebook et Instagram intitulées « Plein leurs yeux », où elle a régulièrement publié des photos et des histoires liées au voyage pendant les derniers mois. Aujourd’hui, le compte Instagram dénombre plus de 100 000 abonnés — et lui a valu des demandes médiatiques un peu partout sur le globe.
« Je ne m’attendais pas du tout à ça, avoue-t-elle. Certaines personnes partent en voyage avec l’intention de devenir influenceurs, moi, ça n’a jamais été mon but. »
« Les gens qui s’abonnaient, c’était précieux, parce que ça me forçait à écrire et à classer mes photos. Sans ça, je ne suis pas sûre que j’aurais eu la discipline pour le faire. Ça m’a forcée à documenter mon voyage, et là je me retrouve un an plus tard avec un souvenir extraordinaire pour mes enfants. »
Les messages reçus ont été nombreux, et de tous les horizons. Certains lui confiaient être de grands amateurs de voyage, des parents étaient touchés par leur histoire, d’autres avaient des proches vivant eux aussi avec la rétinite pigmentaire, et d’autres enfin lui proposaient des hébergements dans leur pays ou la remerciaient tout simplement d’avoir raconté des bribes de son récit.
« Je trouve ça le fun. L’histoire vient chercher les gens, mais chacun en retire un positif qui peut être un peu différent des autres. »
Lorsque nous lui avons demandé de nous envoyer ses photos favorites pour la publication, Edith Lemay a partagé un album qui en contenait plus de 700. « C’est ma façon à moi de dealer avec leur diagnostic », dit-elle.
« J’ai un gros sentiment d’impuissance. J’aime être dans l’action, trouver une solution. C’est difficile de ne rien pouvoir faire sauf attendre, avec la maladie. Mais le voyage a été vraiment bénéfique en tant que parent. »
Les photos, ils vont les voir longtemps. Leur champ de vision, ce sont les paysages immenses qu’ils vont perdre en premier. Mais les photos vont cristalliser les souvenirs dans leur tête, et ils pourront les voir plus longtemps.
Edith Lemay, à propos de ses enfants
De retour dans le nid familial de Boucherville depuis le 8 avril, Edith Lemay a encore la tête ailleurs.
« Les enfants retournent à l’école, ils sont super heureux. C’est un retour au quotidien. On doit finir de défaire les boîtes, on doit retrouver une routine. Mais on n’est pas super bons pour la routine, donc ça ne nous change pas, dit-elle en riant. Notre cœur est encore en voyage. »
Le message, dans toute cette histoire ? Edith Lemay a souvent entendu la question. « Tu peux t’apitoyer sur ton sort et déprimer, mais si tu acceptes ce qui t’arrive, c’est plus facile de passer à la prochaine étape. Il faut essayer de faire du beau avec le beau que tu as dans ta vie. »
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