Près de 25 % des Québécois âgés de 15 ans et plus souffrent d'une allergie non alimentaire. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) classe l'allergie au quatrième rang des maladies chroniques mondiales. Le guide complet des allergies, publié aux éditions Édito, permet d'y voir plus clair. À condition de ne pas se frotter les yeux...

Deux milliards de personnes - soit presque un tiers de l'humanité - ont déjà souffert d'allergie dans leur vie. Cela fait bien des lecteurs potentiels pour Le guide complet des allergies. Il s'agit d'une adaptation québécoise d'un ouvrage français, qui explique en détail ce que sont les allergies, comment les prévenir et les traiter. 

La Presse a joint la Dre Assia Hassaine, allergologue à la Clinique d'allergie et d'asthme de Montréal ainsi qu'à l'hôpital Charles-Lemoyne, pour parler de ce sujet qui ne manque pas de piquant.

Le guide complet des allergies, que vous avez adapté avec le Dr Jean-Nicolas Boursiquot, indique que « la proportion d'allergiques devrait atteindre 50 % entre 2035 et 2050 ». C'est probable ?

Oui. Dans les 20 ou 30 dernières années, l'incidence des maladies allergiques toutes confondues - alimentaires, respiratoires, médicamenteuses, aux venins, de contact - a certainement augmenté du double. Je n'ai pas de difficulté à croire que ça pourrait atteindre 45 à 50 % d'ici la moitié du XXIsiècle.

Quels sont les facteurs qui expliquent cette hausse ?

C'est toujours LA grande question. Ça dépend de quelle allergie on parle. Pour les allergies alimentaires, il y a plusieurs hypothèses. On pense notamment que les procédés de fabrication des grandes industries agroalimentaires rendent les aliments plus allergisants. Il y a des aliments dont les protéines sont modifiées jusqu'à un certain point, pour en augmenter le goût, pour qu'ils se conservent plus longtemps, pour ceci et pour cela.

Pour ce qui est des allergies respiratoires, c'est certain que la pollution a un impact majeur. Par exemple, on sait que les particules de diésel ont un effet vraiment catalyseur : elles s'accrochent au pollen et le rendent plus allergisant.

Quant aux produits cosmétiques, il y en a toujours de nouveaux qui sortent. Ils ont toutes sortes de qualités, mais aussi des défauts, si bien qu'on observe de la sensibilisation cutanée, des dermatites de contact.

En général, c'est donc la faute de l'homme moderne, de l'industrialisation.

Conseillez-vous aux adultes allergiques d'entreprendre une immunothérapie, c'est-à-dire une désensibilisation en vue de rendre le système immunitaire tolérant à un allergène ?

On suit un algorithme, qui nous recommande d'abord de prendre des mesures environnementales efficaces. Si le patient est allergique aux acariens, on parle de bien nettoyer la chambre, de mettre une housse anti-acariens sur le matelas, de laver les draps à l'eau chaude chaque semaine, etc. Ensuite, on conseille un traitement pharmacologique optimal. Si le patient a essayé les traitements de façon adéquate, qu'il est encore très symptomatique et motivé, on peut lui proposer l'immunothérapie.

Au Québec, l'immunothérapie est offerte pour traiter quelles allergies ?

Par injection, c'est surtout animaux, acariens et pollens.

Le guide indique que pour les allergies aux animaux, ce n'est pas si efficace. 

On est plus modestes quand les patients insistent pour avoir une désensibilisation aux animaux. On leur dit qu'on ne pense pas que le succès va être aussi bon que pour les acariens ou les pollens, où ça varie de 75 à 95 % d'amélioration significative. Il faut dire qu'actuellement, les extraits qu'on a sont assez irritants, surtout pour le chat. Au niveau de l'injection, ça peut donner de grosses réactions locales, de plusieurs centimètres. Ça décourage parfois les patients à persévérer.

La désensibilisation par comprimés à mettre sous la langue, moins contraignante, est offerte pour traiter quelles allergies ?

Deux comprimés sont disponibles pour les graminées et un pour l'herbe à poux. Les acariens, ça s'en vient, on espère d'ici un ou deux ans. Le comprimé existe, il doit juste passer à travers toutes les étapes d'approbation du médicament.

Suggérez-vous l'achat d'un aspirateur à filtre HEPA (de l'anglais High Efficiency Particulate Air), qui filtre l'air avant qu'il ne soit rejeté, aux allergiques aux animaux et aux acariens ?

Je mets beaucoup plus d'emphase sur les mesures de base. Mais si les gens en ont les moyens et qu'ils veulent l'acheter, je n'ai rien contre.

Le guide souligne qu'on peut devenir allergique au liquide séminal humain à cause d'une allergie au chien. Et qu'on trouve des allergies croisées entre le chat et la viande de porc. C'est anecdotique ?

C'est clairement anecdotique ! C'est vrai, mais ce sont des rapports de cas. C'est pour donner un petit côté punché au livre.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La Dre Assia Hassaine

Photo fournie par Édito

DÉSENSIBILISER LES ENFANTS POUR PRÉVENIR L'ASTHME

Allergique aux acariens - de minuscules cousins des araignées qui vivent dans la literie, les tapis, les peluches et les meubles rembourrés -, votre fils de 5 ans se mouche à l'année. Lui faire entreprendre une immunothérapie à cet âge tendre pourrait être une bonne idée.

« Dans certains cas, la désensibilisation est capable de modifier le cours de l'allergie en empêchant de nouvelles allergies de se développer et de nouveaux organes d'être atteints », indique Le guide complet des allergies, publié chez Édito.

« Ça vient d'une étude qui a suivi systématiquement de jeunes enfants mis sous immunothérapie sous-cutanée, explique la Dre Assia Hassaine, membre de l'Association des allergologues et immunologues du Québec. Chez une bonne partie de ces patients-là, on a prévenu l'apparition d'asthme et de nouvelles sensibilisations. On a vu un impact sur la marche atopique. »

STOPPER L'ÉVOLUTION DE LA « CARRIÈRE » ALLERGIQUE

Vous connaissez la marche olympique, pas la marche atopique ? Il s'agit de l'évolution des maladies allergiques. Les enfants commencent souvent par avoir de l'eczéma dans les premiers mois de leur vie, puis des allergies alimentaires, respiratoires et de l'asthme.

La Dre Hassaine recommande-t-elle de faire désensibiliser les enfants allergiques ? « Oui, mais il faut comprendre qu'une désensibilisation sous-cutanée, pour une famille, c'est un gros contrat, nuance-t-elle. Il faut se présenter chaque semaine pour les injections, rester 30 minutes sur place, tolérer les effets secondaires locaux et le risque de réactions systémiques. Ce n'est pas une mince affaire. Je suis convaincue qu'avec la disponibilité de l'immunothérapie par voie orale [note : des comprimés à prendre à la maison] pour la plupart des allergènes, au cours des prochaines années, ça va changer. »

FEMMES ENCEINTES, MANGEZ DES ARACHIDES

Les femmes enceintes n'ont pas, par ailleurs, à renoncer au beurre d'arachides pour réduire le risque que leur futur enfant n'ait une allergie. « Beaucoup d'études ont été faites sur les diètes d'éviction pendant la grossesse et l'allaitement, indique la Dre Hassaine. Aucune ne s'est vraiment montrée concluante. »

Seul conseil : donner le sein aux bébés, même si ce n'est pas une panacée. « Le bénéfice de l'allaitement dans la prévention du développement d'un eczéma a été confirmé ; il en retarde l'apparition et en limite la sévérité », précise Le guide. Les bénéfices sur l'asthme ou les allergies ne sont toutefois pas aussi tranchés.

LAIT SPÉCIAL POUR PRÉVENIR LES ALLERGIES

Bon à savoir : les bébés à haut risque d'allergie qui ne sont pas allaités ont intérêt à boire une formule « à hydrolyse extensive », qui a un effet protecteur modeste comparé au lait maternisé classique à base de lait de vache. Qui sont ces bébés ? Ceux dont les deux parents (ou un parent et un membre de la fratrie) souffrent de rhinoconjonctivite allergique, d'eczéma atopique ou d'asthme.

« Ce sont des formules où la protéine laitière est coupée en une plus simple expression, pour être plus facilement digérée et moins allergène, précise la Dre Hassaine. Comme le système immunitaire ne voit pas la protéine entière, il ne va pas développer de cascade allergique. » Au Québec, des formules à hydrolyse extensive comme Nutramigen et Alimentum sont offertes.

TRAITEMENTS DE L'AVENIR

Actair, le premier comprimé qui vise à désensibiliser les personnes allergiques aux acariens, est commercialisé au Japon depuis novembre. Il devrait être offert au Canada d'ici quelques années, a confirmé à La Presse Lise Lemonnier, directrice des communications de Stallergenes, qui commercialise Actair. Son concurrent ALK-Abello développe aussi un comprimé pour le traitement de l'allergie aux acariens.

Voici trois autres pistes de traitement de l'avenir.

ADAPTÉS À LA GÉNÉTIQUE

« L'avenir est à la prise en compte de la carte génétique de chacun afin de déterminer un programme personnalisé de prévention et de traitement », indique Le guide complet des allergies, publié chez Édito.

« On s'en va vers de la thérapie et du diagnostic plus personnalisés, selon le profil génétique de chacun, confirme Dre Assia Hassaine, membre de l'Association des allergologues et immunologues du Québec. On pourra dire à des parents : Si j'étais vous, je ferais commencer une immunothérapie à votre fils, parce qu'il a de bonnes chances de développer de l'asthme, à cause de sa signature génétique. »

IMMUNOTHÉRAPIE PAR PEPTIDES

Actuellement, dans les extraits utilisés en désensibilisation, « tous les composants de l'allergène sont présents », note Le guide. C'est-à-dire non seulement les protéines directement responsables de la réaction, mais aussi les autres protéines, sucres, lipides, etc., qui nuisent parfois au traitement.

L'utilisation de petites parties des protéines responsables des réactions allergiques, les peptides, est une méthode en développement. « Celles-ci peuvent être reconnues par le système immunitaire comme si elles étaient l'allergène et induire la protection, mais sans entraîner de réaction allergique », précise Le guide. « Il y a aussi de la recherche qui se fait du côté des allergoïdes, qui sont des peptides modifiés, encore une fois pour tromper le système immunitaire », ajoute la Dre Hassaine.

UTILISATION DE L'ADN

Administrer l'ADN la codant au lieu de la protéine allergisante est une autre piste de traitement. « Dans ce système, on utilise la machinerie de fabrication de la protéine de la personne pour synthétiser l'allergène à partir de l'ADN, c'est-à-dire l'information génétique nécessaire, injectée en intramusculaire, explique Le guide. Cette protéine d'allergène, fabriquée alors par la personne elle-même, induirait la réponse immunitaire protectrice. »