Marie-Claude Guay, psychologue, a commencé à travailler avec des jeunes atteints d'un TDAH en 1998, et elle est formelle : en presque 20 ans, la façon de diagnostiquer le déficit de l'attention a profondément changé.

« Aujourd'hui, l'évaluation diagnostique est beaucoup plus rigoureuse qu'elle l'était en 1998. Beaucoup de médecins vont demander qu'une évaluation soit faite par un psychologue ou un neuropsychologue. On a beaucoup plus d'outils pour évaluer des éléments précis, comme l'attention soutenue, l'attention partagée, etc. »

Si les étapes qui mènent à un diagnostic de TDAH varient d'un patient à l'autre, le processus s'uniformise. Au Canada, la CADDRA (Canadian ADHD Resource Alliance), un regroupement de spécialistes du trouble de l'attention, publie des lignes directrices auxquelles se réfère la majorité des médecins.

« La plupart des parents qui viennent nous voir disent qu'ils ont longuement hésité, mais qu'ils ont constaté que leur enfant est en train de développer une pauvre estime de lui-même, qu'il ne réussit pas à l'école, qu'il n'est pas heureux, qu'il ne se fait pas inviter dans les fêtes d'anniversaire... Ils veulent de l'aide », résume le Dr Martin Gignac, pédopsychiatre et directeur adjoint au département de psychiatrie à l'Université de Montréal.

Le médecin doit mener une enquête approfondie sur son jeune patient avant d'avancer un diagnostic, énonce toutefois la CADDRA. Questionnaires à remplir par les parents et les enseignants, entrevue sur la situation familiale, examen médical physique... le médecin doit couvrir tous les angles. Est-ce qu'un manque de sommeil entraîne de l'inattention ? L'alimentation de l'enfant est-elle à revoir ? Y a-t-il une situation problématique à la maison ?

Souvent, le médecin demande aussi l'avis d'un psychologue ou d'un neuropsychologue pour confirmer ses doutes. Et de leur côté, ces spécialistes peuvent ajouter au besoin des tests psychométriques à l'entrevue et aux questionnaires.

« Ces tests sont conçus pour évaluer des fonctions bien précises dans le cerveau. », explique Marie-Claude Guay.

« Par exemple, prenons l'attention partagée, ou la capacité à faire deux choses en même temps - une situation très fréquente à l'école. On va demander à l'enfant de prêter attention à des stimulations auditives, et en même temps, on va lui demander de faire une tâche d'attention visuelle. »

La performance de l'enfant à cet examen sera ensuite comparée à celle d'enfants du même âge et du même sexe que lui. Ces tests viennent en appui au reste de l'évaluation. Finalement, avec toutes les informations en mains, c'est le médecin qui donnera, ou non, un diagnostic.

« Quand on voit que l'enfant a des difficultés dans plusieurs sphères de sa vie et qu'on a éliminé d'autres pathologies, s'il présente les symptômes du TDAH, on va en arriver à l'élaboration d'un diagnostic qui va confirmer la pathologie qu'on suspectait au départ », résume le Dr Martin Gignac.

Trop rapide?

La hausse du nombre de diagnostics au Québec et l'utilisation de la médication dans le traitement du TDAH soulèvent toutefois beaucoup de critiques. Est-ce vrai que des diagnostics sont rédigés en quelques minutes, à la demande de parents et d'enseignants insistants ?

« Il y a de moins en moins de médecins qui vont accepter de prescrire sans qu'il y ait eu une évaluation exhaustive, assure Marie-Claude Guay. Il y a beaucoup plus de rigueur autant chez les médecins que les psychologues. »

Pourquoi y a-t-il une hausse des diagnostics, alors ? « Cette augmentation est grandement due au fait qu'avant, on pensait que c'était une maladie d'enfants et d'adolescents, et que ça disparaissait à l'âge adulte. Aujourd'hui, on sait que ça dure jusqu'à l'âge adulte », avance la psychologue.

« Peut-être qu'il y a une augmentation de gens qui sont formés pour reconnaître le TDAH, ajoute le Dr Gignac. Est-ce qu'il doit toujours y avoir une prescription, ou est-ce qu'il doit y avoir aussi des approches non pharmacologiques mises en place ? C'est une question de ressources. Qu'est-ce qu'on a à la disposition de ces enfants-là dans les écoles pour compenser certaines difficultés ? C'est important d'avoir cette discussion-là. »

Trois familles témoignent

JASON*, 19 ANS

• Drapeau rouge à l'école : oui

• Évaluation par un médecin : non

• Tests psychométriques : oui

• Plan d'intervention : oui

• Médication : oui

Jason a suscité des interrogations tout au long du primaire. Il a été évalué à l'école en 5e année. « Ç'a été un fiasco total », juge son père. Le « diagnostic » reposait seulement sur les observations du professeur. L'enfant a été évalué en clinique privée où il a reçu un diagnostic nuancé : léger TDA et problème de mémoire soutenue. « Ç'a été fait dans les règles de l'art, dit son père à propos de l'évaluation neuropsychologique. On nous a donné des solutions pour travailler sa mémoire soutenue et son TDA. » Jason n'a pas voulu prendre de médicaments avant la fin du secondaire. Il est désormais suivi par son médecin de famille.

*Tous les noms ont été changés.

BENJAMIN*, 11 ANS

• Drapeau rouge à l'école : non

• Évaluation par un médecin : oui

• Tests psychométriques : oui

• Plan d'intervention : oui

• Médicament : oui

Benjamin ne dérange pas en classe. Il a été évalué en 2e année parce que le pédiatre avait des soupçons et que ses parents s'interrogeaient sur son comportement. « Le pédiatre voulait le médicamenter après les questionnaires, raconte sa mère. Je n'ai pas voulu. Ce n'était pas assez scientifique pour moi. Je travaille en milieu scolaire et je suis au courant qu'il y a des faux diagnostics. Je voulais la preuve que c'était bien ça et pas autre chose. » Elle a fait appel à un neuropsychologue qui a diagnostiqué un TDAH. « Ça m'a rassurée parce que les résultats étaient très détaillés, mais ça ne m'a pas rassurée pour le médicament : je me sens toujours mal de donner un médicament à mon enfant. »

*Tous les noms ont été changés.

CLÉMENTINE*, 10 ANS

• Drapeau rouge à l'école : oui

• Évaluation par un médecin : oui

• Tests psychométriques : oui

• Plan d'intervention : oui

• Médicament : oui

Avant d'opter pour la médication, les parents de Clémentine ont tout essayé. Même après le diagnostic de TDAH, le médecin, la neuropsychologue et l'école ont d'abord misé sur un plan d'intervention. « Je suis contente du processus et du timing. On a vraiment essayé sans médication, dit la mère de la fillette. Ce n'est pas une pilule miracle, mais si je ne la médicamentais pas, elle ne réussirait pas à l'école et elle se déprécierait. » Peu favorable au médicament lui aussi, le père de Clémentine dit avoir posé « beaucoup de questions » au médecin. « La norme, ça me fatigue. Je ne voulais pas que la médication éteigne la créativité de ma fille, dit-il. Pour le moment, j'ai confiance. Je continue de travailler très fort avec ma fille sur les devoirs. Il faut continuer à s'impliquer. »

*Tous les noms ont été changés.