«Parmi les prochains dossiers auxquels je vais m'attaquer après la loi 20, c'est la surconsommation des soins de santé», avait confié le ministre Gaétan Barrette en entrevue à La Presse. Il y a quelques semaines, nous avons passé une journée avec un médecin dans une clinique sans rendez-vous. Au moins le tiers des patients qui s'y sont présentés n'avaient pas besoin d'une consultation d'urgence. On veut bien faire notre part pour ne pas engorger le système, mais comment?

Dès 9h, une affiche au bureau des secrétaires médicales indique complet. En 7 heures, la Dre Lemieux* doit voir une quarantaine de patients. Elle ne dispose que de 10 minutes par personne.

Le premier patient se présente avec une longue liste en main, particulièrement heureux de passer dès l'ouverture. La Dre Lemieux tente subtilement de lui faire comprendre, sans le froisser, qu'elle n'aura pas le temps de passer en revue tous ses problèmes. Il doit lui exposer les plus urgents.

Pendant des heures, les patients se succèdent dans le cabinet d'examen avec l'influenza, des otites, des accidents de travail, mais aussi des rhumes, des maux de dos légers, des douleurs chroniques aux genoux, des renouvellements de prescriptions pour différents problèmes chroniques et des renouvellements d'ordonnances d'anovulants.

Une jeune femme souriante, adepte des sports extrêmes, se présente avec une enveloppe remplie de résultats d'examens qu'elle ne peut déchiffrer. Elle n'a pas de médecin de famille. «J'ai passé un scan, des radiographies... J'ai mal au genou et ça ne s'en va pas», dit-elle. La Dre Lemieux analyse les résultats. Elle ne voit rien d'anormal. «Peut-être devriez-vous ralentir un peu la cadence, conseille-t-elle. Au lieu de jouer au tennis pendant 3 heures, arrêtez-vous après 30 minutes, avant que la douleur ne survienne.»

Vers 15h, un patient entre dans le bureau en blaguant. Il a envie de jaser. «La vie est difficile pour ma famille, mais j'essaie de voir la vie du bon côté, vous savez. J'ai perdu mon emploi il y a cinq ans...», raconte-t-il. Mais la journée n'est pas terminée. Il reste une dizaine de personnes dans la salle d'attente. La Dre Lemieux maîtrise l'art de ramener doucement ses patients à l'ordre. «Et comment puis-je vous aider aujourd'hui? Un renouvellement de médicaments...»

En fin de journée, La Presse aborde avec la Dre Lemieux la question de la surconsommation médicale, le problème auquel promet de s'attaquer le ministre Barrette. Déjà, le concept est difficile à définir. Les avis divergent au sein même de la communauté médicale.

«Il y en a qui consultent trop vite, confie la Dre Lemieux. Et d'autres qui auraient dû venir avant. Je crois qu'on gagnerait beaucoup comme société en donnant des cours à l'école secondaire sur la grippe, le rhume, les brûlures, les écorchures.»

D'autres avis

«Je suis un peu perplexe, soutient le Dr Sylvain Dion, qui exerce dans une clinique sans rendez-vous de Chaudière-Appalaches. Les gens qui nous consultent ont une bonne raison d'être venus. C'est vrai que certains devraient voir un médecin de famille plutôt que de se présenter dans une clinique sans rendez-vous.»

La Dre Josée Bouchard croit pour sa part que c'est un faux débat. Elle travaille aussi dans une clinique sans rendez-vous. «Les patients n'ont pas fait de cours de médecine. Ils consultent parce qu'ils ont des symptômes inhabituels et ils sont inquiets. Les patients entendent toutes sortes d'histoires épouvantables de gens qui n'avaient pas consulté à temps. Ils ont besoin d'être rassurés.»

Les urgences des hôpitaux 

La situation est problématique dans les urgences des hôpitaux, si bien que plusieurs ont une liste de «grands consommateurs», soit des patients qui s'y présentent de 4 à 30 fois par année. Une équipe d'intervenants se consacre à ces patients et les prend en charge dès qu'ils franchissent la porte des urgences.

À l'hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil, 1210 usagers sont inscrits sur cette liste. Les hôpitaux Maisonneuve-Rosemont et Santa Cabrini en comptent 225. Le CHUM a répertorié 75 patients qui avaient visité les urgences de 10 à 51 fois entre le 19 octobre 2014 et le 31 mars 2015.

*Nous avons changé le nom de l'omnipraticienne pour conserver l'anonymat des patients.

Rhume ou grippe, quoi faire?

Il est parfois difficile de différencier un rhume d'une grippe. Encore plus difficile: savoir à quel moment consulter. Marche à suivre afin d'éviter un engorgement inutile des cliniques.

Quand consulter dans une clinique sans rendez-vous?

Au terme de cette journée passée dans une clinique sans rendez-vous, La Presse a dressé une liste des maux les plus fréquents pour lesquels les patients s'étaient présentés. Ont-ils consulté trop vite? Sans raison valable? Ont-ils engorgé le système? Pour en avoir le coeur net, nous avons demandé l'avis de quatre experts: le Collège des médecins, deux omnipraticiens qui exercent dans des cliniques sans rendez-vous et l'Ordre des pharmaciens.

OTITE

Dr Yves Robert, secrétaire, Collège des médecins: «Utiliser dans un premier temps un décongestionnant ou un médicament contre la fièvre. Et, si cela persiste, il faut absolument consulter.»

Dr Sylvain Dion, omnipraticien: «Si l'enfant ne fait pas beaucoup de fièvre, on peut patienter 24 h avec de l'acétaminophène ou de l'ibuprofène. Parfois, c'est un rhume.»

Dre Josée Bouchard, omnipraticienne: «Cinquante pour cent des otites sont virales et passent toutes seules. Donner de l'acétaminophène ou de l'ibuprofène. Si ça persiste, consulter. Si l'enfant fait de la fièvre, consulter.»

Bertrand Bolduc, président de l'Ordre des pharmaciens du Québec: «Consulter un médecin.»

FIÈVRE CHEZ UN ENFANT DE 2 À 10 ANS

Dr Yves Robert: «Consulter si la fièvre dure 48 h ou s'il y a d'autres symptômes: vomissements, diarrhée, respiration sifflante, convulsion.»

Dr Sylvain Dion: «Si l'enfant a un bon état général, attendre de 24 à 48 heures. Si cela persiste, consulter.»

Dre Josée Bouchard: «On peut attendre de 24 à 48 heures. Si ça ne baisse pas, consulter.»

Bertrand Bolduc: «Le pharmacien pose des questions. Si c'est bénin et temporaire, il peut vous conseiller un médicament. Après 24 à 48 h, consulter.»

TOUX

Dr Yves Robert: «Demander conseil au pharmacien. Si la toux persiste plus de sept jours ou si vous avez de la difficulté à respirer, il faut consulter.»

Dr Sylvain Dion: «S'il n'y a pas de fièvre et l'état général est bon, patienter sept jours. Un pharmacien peut conseiller un médicament. Si la toux est sifflante ou si vous avez de la difficulté à respirer, il faut consulter.»

Dre Josée Bouchard: «Après sept jours, si la toux persiste, il faut consulter.»

Bertrand Bolduc: «Le pharmacien peut vous suggérer un médicament après vous avoir posé des questions. Si ça ne fonctionne pas, il vous dirigera vers un médecin.»

SINUSITE

Dr Yves Robert: «Consulter un médecin.»

Dr Sylvain Dion: «À moins de faire de la fièvre, attendre de 7 à 10 jours avant de consulter. C'est souvent associé au rhume.»

Dre Josée Bouchard: «Les études ont démontré que le problème se règle sans antibiotiques au bout d'un mois. Consulter seulement en cas de fièvre persistante.»

Bertrand Bolduc: «Il faut un diagnostic d'un médecin.»

MAUX DE TÊTE

Dr Yves Robert: «Dans le cas de maux de tête subits, intenses ou invalidants, consulter.»

Dr Sylvain Dion: «Consulter immédiatement si vous n'avez jamais eu de maux de tête et qu'il est subit et violent. Pour une migraine, prendre des analgésiques simples. Si ça persiste plus de trois jours, consulter.»

Dre Josée Bouchard: «Maux de tête subits, intenses, violents, inhabituels, consulter. Ceux qui ont des maux de tête fréquents, consulter si ça perdure.»

Bertrand Bolduc: «Le pharmacien peut vous suggérer un médicament si c'est bénin ou temporaire après vous avoir posé des questions. Si ça ne fonctionne pas après trois jours ou s'il y a d'autres symptômes comme la vue brouillée, il vous dirigera vers un médecin.»

RENOUVELLEMENT D'ANOVULANTS POUR LES ADOLESCENTES

Dr Yves Robert: «Voir l'infirmière de l'école.»

Dr Sylvain Dion: «Voir le médecin de famille. Le pharmacien peut prolonger la prescription.»

Dre Josée Bouchard: «Voir l'infirmière de l'école. Le médecin peut faire une prescription pour deux-trois ans, mais il faut profiter d'une autre visite médicale pour faire le test Pap.»

Bertrand Bolduc: «Dans quelques mois, le pharmacien pourra prolonger la prescription d'un an.* Le pharmacien pose des questions pour vérifier si le patient a besoin d'un ajustement du médicament.»

DOULEUR PERSISTANTE AU GENOU

Dr Yves Robert: «Si c'est la première fois, consulter un médecin. Si vous avez déjà consulté un médecin par le passé pour ce problème, un physiothérapeute pourra vous aider.»

Dr Sylvain Dion: «Voir le médecin de famille.»

Dre Josée Bouchard: «Quand il n'y a pas de traumatisme, les douleurs chroniques ne sont pas graves. Prendre de l'acétaminophène, de l'ibuprofène, mettre de la crème anti-inflammatoire ou de la glace. Si un engourdissement survient, consulter.»

Bertrand Bolduc: «Le pharmacien peut proposer un médicament pour soulager les symptômes de façon temporaire. Il peut aussi vous suggérer une évaluation par un physiothérapeute via le nouveau "formulaire de communication" qui s'inscrit dans un cadre de collaboration pharmacien-physiothérapeute.»

INFECTION URINAIRE

Dr Yves Robert: «Si ce n'est pas la première fois, le pharmacien pourra bientôt vous prescrire un médicament.»

Dr Sylvain Dion: «Au premier épisode, consulter. Le médecin peut donner des prescriptions d'avance à celles qui en font souvent. S'il y a du sang dans les urines ou présence de fièvre, consulter. Un homme doit absolument consulter.»

Dre Josée Bouchard: «Au premier épisode, consulter. Pour celles qui en font souvent, je demande toujours un test d'urine afin d'être certaine du bon choix de l'antibiotique. Parfois, ce n'est pas une infection urinaire.»

Bertrand Bolduc: «Dans quelques semaines, le pharmacien pourra prescrire un médicament aux patientes qui ont déjà eu cette infection.»*

RENOUVELLEMENT DE MÉDICAMENTS

Dr Yves Robert: «Votre pharmacien pourra bientôt le faire. »

Dr Sylvain Dion: «Voir le médecin de famille. Le pharmacien peut prolonger la prescription. Pour les maladies chroniques, s'inscrire au guichet pour trouver un médecin de famille.»

Dre Josée Bouchard: «Profitez en tout temps d'une consultation avec un médecin pour mettre à jour les prescriptions. J'ai mis une affiche dans mon bureau: "N'oubliez pas de faire represcrire vos médicaments."»

Bertrand Bolduc: «Dans quelques mois, le pharmacien pourra prolonger la prescription d'un an.* Actuellement, il peut vous dépanner un mois.»

ÉRUPTION CUTANÉE (PLAQUE ROUGE)

Dr Yves Robert: «Demander conseil au pharmacien. Si le problème persiste, consulter.»

Dr Sylvain Dion: «Aller consulter si on suspecte une réaction allergique. S'il y a de la fièvre, consulter. Si ça s'est installé graduellement, voir un médecin de famille. Ça peut attendre une semaine.»

Dre Josée Bouchard: «Si c'est une allergie avec fièvre et boursouflure, consulter. Sinon, on peut attendre quelques semaines et ça peut passer.»

Bertrand Bolduc: «Le pharmacien peut vous suggérer un médicament après vous avoir posé des questions. Si ça ne fonctionne pas, il vous dirigera vers un médecin.»

* Le projet de loi 28 devrait être en vigueur à la fin de l'été.