Dans le caleçon des hommes, la santé n'est pas au mieux, semble-t-il. Alors que la prévalence du cancer du testicule n'a jamais été aussi élevée, le nombre de spermatozoïdes a décliné de façon considérable en quelques décennies, indiquent plusieurs études. Certains chercheurs ont même avancé que, si la tendance se maintient, nous pourrions assister à une potentielle extinction des gamètes mâles. Et donc de l'Homme. Y a-t-il lieu de paniquer?

Le spermatozoïde se porte mal, entend-on de la bouche de plusieurs scientifiques et dans le sens commun. En 1992, des chercheurs danois ont été les premiers à sonner l'alarme : après avoir analysé une soixantaine d'études publiées dans le monde, ils ont annoncé un déclin spectaculaire de 50 % du sperme à l'échelle internationale (entre 1938 et 1990). Ils prédisaient alors que, si la tendance se maintenait, tous les hommes seraient stériles en... 2010!

Devant cette catastrophe annoncée - qui n'a de toute évidence pas eu lieu -, plusieurs chercheurs ont commencé à s'intéresser à la santé reproductive masculine et à calculer et analyser le nombre de spermatozoïdes chez l'humain. Les résultats? Hautement variés. Le déclin du sperme serait marqué en Israël et en Chine, mais pas en Suède et en Finlande. Le sperme est, dit-on, de meilleure qualité à New York qu'à Seattle. Plus à Toulouse qu'à Paris.

La dernière étude sur les nageurs microscopiques, publiée en décembre dans Human Reproduction, a eu l'effet d'une petite bombe dans l'Hexagone: la concentration du sperme des Français a diminué de 32,2 % de 1989 à 2005, a-t-on appris. Chez un homme de 35 ans, on trouvait 49,9 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme en 2005. C'était 73,6 millions/ml 17 ans plus tôt. Les spermatozoïdes de forme normale auraient suivi la même pente descendante (33,4 %), selon l'étude prospective menée sur 26 000 hommes. Plusieurs Français se sentent depuis bien petits dans leur pantalon.

Le déclin du sperme français (s'il y a) est-il le signe d'une tendance planétaire? «Il est impossible de le dire», affirme le docteur Bernard Robaire, chercheur spécialisé en infertilité masculine à l'Université McGill. La plupart des études réalisées depuis 20 ans présentent des faiblesses méthodologiques, ne suivent pas des normes standardisées et ne tiennent pas compte de facteurs importants, note l'expert. Sur la méta-analyse danoise à l'origine de tout ce branle-bas autour de la gamète mâle, il n'y va pas à demi-mot: «C'est une étude mal faite, dont les faiblesses ont été plusieurs fois démontrées, et qui a donné lieu à la plus grande controverse dans le domaine.»

Le compte est-il bon?

Si une baisse de la quantité de spermatozoïdes est remarquée à plusieurs endroits, il est très hasardeux d'interpréter ces chiffres et surtout de généraliser à toute une population. Pourquoi? Chez un homme, la baisse du nombre de spermatozoïdes peut dépendre d'une multitude de facteurs: l'obésité, l'âge, la fréquence des relations sexuelles, le tabac, l'inactivité physique et peut-être l'exposition à des produits toxiques. Même la saison, la quantité de sommeil et un événement stressant sont susceptibles d'altérer le nombre de cellules reproductives. Des facteurs qu'il faudrait isoler et qui, souvent, ne le sont pas.

Les études présentent des biais parce que les échantillons utilisés ne sont pas représentatifs. Épidémiologiste et professeur adjoint à l'École interdisciplinaire des sciences de la santé de l'Université d'Ottawa, Raywat Deonandan explique: «Comme les données proviennent des banques de sperme ou des cliniques de fertilité, le profil des hommes sélectionnés est spécifique. La plupart proviennent des villes de pays riches et industrialisés. Ces hommes sont exposés à la pollution atmosphérique, consomment de la nourriture transformée et de l'eau traitée et tendent à être moins actifs et plus obèses que les hommes qui vivent dans des zones rurales de pays pauvres non occidentaux.»

Selon les cliniques de fertilité et les banques de sperme, la clientèle change de profil. Par exemple, les donneurs rétribués ont souvent tendance à être de jeunes étudiants ou des gens défavorisés. Les clients des cliniques de fertilité sont généralement plus âgés, professionnels. «Je crois donc qu'il est difficile de généraliser à la population», souligne M. Deonandan.

Et même si les échantillons étaient adéquats et que tous les facteurs étaient considérés, les chercheurs feraient face à d'autres difficultés: les laboratoires peinent généralement à faire le compte exact de spermatozoïdes, selon l'American Association of Bioanalysis. Pour un même échantillon, écrit-on dans le Globe and Mail, les résultats peuvent varier d'un laboratoire à l'autre au point de déceler une infertilité d'un côté et de rapporter des résultats encourageants de l'autre!

Le débat ne sera pas tranché de sitôt. «Je crois malgré tout que ces études détectent une tendance véritable de la réduction de la production de spermatozoïdes dans le monde», note M. Deonandan.

Au-delà du nombre: l'ADN

L'infertilité masculine est définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l'absence de grossesse après 12 mois de rapports sexuels «normaux» non protégés chez un couple. «Il faut savoir que, dans un tiers de cas, l'infertilité est masculine et dans un autre tiers, elle est mixte, soit masculine et féminine», indique le Dr Jacques Kadoch, directeur médical de la Clinique de procréation assistée du CHUM.

Lorsque la grossesse est impossible, un spermogramme présentera souvent des anomalies. «On évalue le volume du sperme, la quantité et la concentration de spermatozoïdes, leur mobilité et leur forme, bien que ce dernier critère soit devenu plutôt accessoire», dit le Dr Kadoch. Les normes de l'OMS ont été revues à la baisse en 2010 à la lumière de données plus fiables. Par exemple, un homme est normalement considéré comme fertile si la concentration de spermatozoïdes est de 15 millions/ml et que 34 % de ceux-ci sont mobiles. Avant, c'était 60 millions/ml pour 50 % mobiles.

Il arrive que le spermogramme soit on ne peut plus normal, mais qu'il y ait tout de même infertilité masculine. Et vice-versa. «Il est important de savoir que le chiffre veut dire très peu pour prédire l'infertilité, explique le chercheur Bernard Robaire. Dans les 20 dernières années, on s'est aperçu que tous les paramètres classiques confondus, comme le nombre de spermatozoïdes, leur motilité et leur forme, ne prédisent pas très bien quel homme est fertile et quel autre ne l'est pas. Ce qui compte, c'est la qualité de l'ADN qui se trouve à l'intérieur du noyau, ce qui est livré à l'ovocyte.»

Un homme peut être infertile même si ses spermatozoïdes sont aussi nombreux que 80 millions/ml! Il faut alors chercher plus en profondeur afin de mieux comprendre et prédire l'infertilité. On étudie notamment les cassures de l'ADN et les anomalies de la structure de la chromatine (la présentation de l'ADN). «On sait que, lorsque la fragmentation est très élevée [plus de 30 %], il n'y a pas de grossesse, explique le Dr Kadoch. Au-dessus de 15 %, il peut y avoir des fausses couches ou d'autres issues non favorables. En dessous de 15 %, c'est normal.» Les tests de fragmentation de l'ADN, plus accessibles depuis environ 2005, ne sont pas encore pratique courante et ne sont pas standardisés, mais cela ne saurait tarder. On peut aussi évaluer le caryotype de l'homme afin de détecter une possible anomalie chromosomique transmissible à l'enfant.

Si les prédicateurs classiques d'infertilité sont dépassés aux yeux de certains experts, et donc que le déclin de la fertilité masculine à l'échelle mondiale ne peut être confirmé, les inquiétudes persistent et méritent qu'on investigue davantage, disent-ils. «Est-ce qu'il y a lieu de paniquer? Absolument pas. Est-ce qu'il y a des effets de l'environnement sur le système de reproduction humaine? C'est presque certain, affirme Bernard Robaire. On peut maintenant faire une association entre certains produits chimiques, perturbateurs endocriniens, et la baisse du nombre de spermatozoïdes et de la qualité de leur ADN. L'effet sur la reproduction est bien établi, mais à quel point il est majeur chez l'homme? On n'en sait rien. Il faudra encore beaucoup de recherche.»

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Couples infertiles

Environ 330 000 couples souffrent d'infertilité au Canada, soit entre 10 et 15 %. L'infertilité est en hausse chez les couples, principalement parce que la grossesse survient plus tard dans la vie. Une femme de plus de 40 ans a 40 % de risque d'avoir un problème de fertilité. Pour un homme, les chances de devenir père en 12 mois ou moins diminuent de moitié entre 25 et 35 ans. À 35 ans, il a tout de même 85 % des chances d'avoir un enfant à l'intérieur de 12 mois.

Source : Association des obstétriciens et gynécologues du Québec et Doctissimo

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Comment va le sperme canadien?

On ne le sait pas. Il n'existe pas de données pancadiennes sur l'état du sperme. Des cohortes sont à l'étude en Alberta et en Ontario. «La recherche sur la reproduction n'est pas standardisée au pays. Les longues études, comme celle de la France, demandent un genre de financement qu'on n'a pas au Canada, indique Bernard Robaire, chercheur en infertilité masculine à l'Université McGill. Il y a certainement lieu d'encourager des recherches supplémentaires au Canada sur l'association entre l'environnement et la reproduction. On en fait relativement peu au Canada. On espère qu'il y aura une initiative dans ce sens. On a un grand pas de retard par rapport aux autres pays tels les États-Unis, le Danemark, la France, la Finlande et le Japon.»

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Pourquoi un possible déclin?

Tabac

> Diminue la qualité de l'ADN des spermatozoïdes (également si le foetus est porté par une mère qui fume)

Obésité

> Hausse d'oestrogène, baisse de testostérone, donc, baisse de production de spermatozoïdes

Alcool

> Baisse de testostérone, baisse de production de spermatozoïdes

Âge

> Baisse du volume de sperme, de la mobilité des spermatozoïdes et hausse des anomalies chromosomiques

Produits chimiques (hypothèse)

> Baisse de la production de spermatozoïdes, anomalies de l'ADN (en raison de perturbateurs endocriniens)

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Malformations et cancers en hausse

Si l'on ne s'entend pas sur l'ampleur du déclin du sperme, quelque chose cloche assurément sous la ceinture des hommes. «Il y a une augmentation certaine de la prévalence du cancer des testicules au cours des dernières années, le nombre de cas a doublé», indique le Dr Jacques Kadoch. On note aussi une augmentation des cas de malformation du pénis (hypospadias) et de cryptorchidie (un testicule qui ne descend pas). La fertilité peut être altérée. Des facteurs génétiques peuvent être en cause, mais on penche de plus en plus vers des explications environnementales ou liées au mode de vie.

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L'Homme menacé?

Si le déclin mondial du sperme humain vient à être confirmé, rien n'indique que le genre humain s'éteindra. Il suffira toujours d'un bon spermatozoïde pour féconder l'ovule. «Et avec la technique de micro-injection ICSI, le pronostic est bon», indique le Dr Kadoch. Dans la majorité des cas, la femme devient enceinte lorsque le taux de spermatozoïdes chez l'homme est au-dessus de 5 millions, note Bernard Robaire.

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Un spermogramme normal, c'est :

Un éjaculat de plus de 1,5 millilitre

Une concentration de spermatozoïdes de plus de 15 millions/ml

Environ 39 millions de spermatozoïdes par éjaculat

Proportion minimale de 4 % des spermatozoïdes à morphologie normale

Source : OMS