Les deux tiers des hommes canadiens souffrent d'embonpoint ou sont obèses, selon Statistique Canada. Mais rares sont ceux qui en parlent, a constaté Joost van der Mast, qui vient de leur consacrer son mémoire de maîtrise en nutrition à l'Université de Montréal.

«On ne sait pas si les hommes vivent leur surpoids de la même manière que les femmes, a-t-il dit à La Presse. Ni si les approches des nutritionnistes pour les femmes trouvent preneurs ou sont efficaces auprès de la gent masculine.»

Pour le découvrir, le nutritionniste originaire des Pays-Bas a rencontré 17 hommes québécois en surpoids, âgés de 24 à 61 ans et pesant en moyenne près de 100 kg. «Ce qui m'a surpris, c'est le rôle de la masculinité valorisée, qui domine le vécu du surpoids chez les hommes», a-t-il indiqué.

Alimentation «virile»

Hédonistes, les hommes choisissent des aliments gras, salés, épicés, souvent caloriques, exprimant «un refus de féminité à travers l'alimentation», lit-on dans le mémoire Mâle dans leur poids. «Quand un homme mange une salade, ce n'est pas très viril», a témoigné Pierre, 35 ans. Plusieurs manquent de connaissances sur l'alimentation et la cuisine. «Ça fait 10-12 ans que j'habite seul, mais c'est toujours des mets congelés, tout le temps», a admis Antoine, 37 ans.

Être gros semble moins problématique pour messieurs que pour mesdames. «Il y a quand même beaucoup d'hommes qui ont du succès et qui sont un peu trop gros, a souligné Dirk, 35 ans (...) C'est très rare chez les femmes.»

Les hommes interrogés «disent viser un équilibre sans toutefois faire le nécessaire pour l'atteindre», a remarqué M. van der Mast. Plusieurs se sentent invulnérables. «On a toujours la pensée magique», a dit Martin, 51 ans, qui voudrait perdre 50 kg. «Tant que ça va bien, ça va bien, je n'ai pas besoin de m'en soucier», a fait valoir Quentin, 42 ans, qui voudrait perdre 15 kg. Beaucoup décrivent le corps et la santé comme une machine dont «on peut remplacer les pièces défectueuses dans le garage des médecins», lit-on dans le mémoire.

Il est difficile, pour eux, de consulter. «Je pensais que les hommes avaient largement dépassé cette barrière, a souligné M. van der Mast. Ils ont vraiment de la difficulté à affirmer qu'ils souffrent d'un problème considéré encore comme très féminin.»

Même les messages relatifs à la santé véhiculés par les médias se heurtent à l'esprit critique de ces messieurs. «L'homme voit ces messages comme une intrusion dans sa vie, comme un manque de respect envers son autonomie, envers son indépendance», lit-on dans le mémoire. Seuls le vieillissement et la maladie finissent par convaincre les hommes de se préoccuper de leur santé.

Mieux s'adresser aux hommes en surpoids

«Il est troublant de voir que certains hommes attendent parfois des années pour aller rejoindre des services de santé», a noté M. van der Mast, qui travaille actuellement dans un luxueux centre de perte de poids en France. «Un pont entre l'homme et l'offre d'aide doit être construit», a-t-il estimé.

D'un côté du fossé, les professionnels de la santé s'adressent à des hommes «idéalisés», proches de leurs problèmes. De l'autre, les hommes «réels», encore près de la masculinité traditionnelle, qui ont tendance à nier ces problèmes.

Pour être efficaces, les interventions devront respecter davantage l'autonomie des hommes, être personnalisées et proposer un anonymat sans faille, peut-être en groupe, a suggéré M. van der Mast.

«L'homme qui va chercher de l'aide ne veut pas parler de son problème et de ses sentiments, a expliqué Michel, 32 ans. Il veut trouver une solution.»