Le designer Jean-Claude Poitras signe ces jours-ci le livre Quand la vie défile, dans lequel il pose un regard sur la mode au Québec des années 50 à aujourd'hui. Véritable passionné, le créateur n'hésite pas à raconter les hauts et les bas d'une industrie méconnue.

«Si les Italiens, les Français et les Anglais sont si fiers de leur mode, c'est qu'ils en connaissent l'histoire, explique Jean-Claude Poitras. La mode, c'est la passion de ma vie, et c'était un devoir de mémoire de raconter son histoire, car malgré toute notre créativité, les gens d'affaires ne soutiennent pas assez nos designers. On se bat contre des géants. Qu'est-ce que seraient les grandes griffes du luxe s'il n'y avait pas les groupes comme LVMH ou Kering pour les soutenir financièrement?»

Pour La Presse, le designer revient sur les cinq grands moments marquants de la mode québécoise selon lui.

La création de l'Association des couturiers canadiens

«En 1954, je considère qu'il y a la véritable naissance de la mode avec la création de l'Association des couturiers canadiens. La mode était basée sur les salons de mode parisienne, on revisitait les grands classiques de la haute couture pour répondre aux exigences de la bourgeoise québécoise. D'ailleurs, les cofondateurs de l'Association, Raoul-Jean Fouré et Jacques de Montjoye, étaient d'origine française. Il fallait avoir cette vision et la volonté de montrer l'excellence du savoir-faire du Québec en organisant des défilés collectifs et somptueux au très chic hôtel Pierre, à New York. C'était très glamour!»

Expo 67

«Expo 67 a vraiment été l'éclosion de toute la nouvelle vague de designers, comme Michel Robichaud, Serge et Réal, Léo Chevalier, John Warden et Marielle Fleury. La mode descendait dans la rue et touchait le grand public. Tous ces designers ont habillé les hôtesses des différents pavillons. Le Québec se positionne alors comme un nouveau chef de file du monde moderne. C'était aussi la naissance de notre prêt-à-porter avec, pour la première fois, des partenariats entre les créateurs de mode et les fabricants. Les manufacturiers rendaient possibles la fabrication et la diffusion de la mode des créateurs d'ici.»

1986, la boutique Revenge

«La boutique Revenge, inaugurée en 1986 rue Saint-Denis, était une vitrine incontournable des designers québécois. C'est devenu une bougie d'allumage pour tous les grands magasins, comme La Baie, Eaton, Simpson, qui ont commencé à consacrer des sections entières aux créateurs du Québec. C'était formidable et la mode québécoise prenait alors tout son sens, car le grand public y avait désormais accès. Il y a eu aussi l'éclosion des magazines de mode comme Clin d'oeil, Elle Québec, Coup de pouce qui consacraient de nombreuses pages aux créateurs d'ici. La mode québécoise s'est ainsi démocratisée.»

Fondation de la mode et gala de la Griffe d'or

«Au début des années 90, la création de la Fondation de la mode de Montréal soutenait les créateurs, en remettant des bourses d'études aux diplômés des écoles de mode afin qu'ils puissent se perfectionner tant au Canada qu'à l'étranger. Au même moment naissait, en 1991, le gala de la Griffe d'or, diffusé sur TVA à heure de grande écoute. On y parlait de mode masculine, féminine, enfantine. On y voyait les designers établis et reconnus, mais aussi ceux de la relève. Il y a eu aussi, en 1992, la création de l'émission Perfecto animée par Stéphane Le Duc, qui témoignait du dynamisme de la mode d'ici et d'ailleurs.»

Le dynamisme des créateurs d'aujourd'hui

«En ce moment, un incroyable tournant prend la mode d'ici, un vent de positivisme. Il y a une concertation entre les différents secteurs et une vision des écoles de mode qui apprennent le design et la création en collectif. Ça change la donne. Les secrets trop bien gardés comme le Centre des métiers du cuir de Montréal ou le Centre d'impression textile se font connaître. 

Avec La Grappe mmode, le Festival Mode & Design, les musées qui présentent la mode d'ici, on sent un grand dynamisme. C'est une fourmilière de créateurs comme Éditions de Robes, Ève Gravel, UNTTLD, Judith & Charles, Frank And Oak, Ssense et Ça va de soi. Il y a un grand multiculturalisme qui s'exprime à travers la mode avec Renata Morales, Antonio Ortega. Montréal est un carrefour extraordinaire et une belle mosaïque. On a arrêté de se comparer à Paris, Londres, Milan et New York. On a notre personnalité et notre savoir-faire, ce qui est très positif.»

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Quand la vie défile, Regard sur la mode des années 1950 à aujourd'hui. Jean-Claude Poitras. Les Éditions de l'Homme. 200 pages.

Photo fournie par les Éditions de l'Homme

Quand la vie défile, Regard sur la mode des années 1950 à aujourd'huiJean-Claude PoitrasLes Éditions de l'Homme200 pages