Impossible d'y échapper: l'heure s'affiche partout, intarissable témoin du temps qui file. Elle est à portée de regard, à bout d'appareil sur nos téléphones et nos écrans. Dans ce contexte, quelle place occupe la montre?

«Au Québec, dans les années 50, on recevait souvent une montre à notre première communion, raconte l'historienne et anthropologue de la mode Bernadette Rey. C'était une façon de mettre un pied dans le monde des grands, une preuve qu'on était capable de comprendre le temps et de prendre des responsabilités.» La montre est alors une alliée indispensable du quotidien. On en possède une - voire deux ou trois dans une vie - et celle-ci rythme nos activités à coup de trotteuse.

Dans les décennies suivantes, certaines avancées technologiques permettent sa démocratisation. Avant la fin du XXe siècle, des millions de montres-bracelets légères et précises sont fabriquées en usine. Tout en maintenant son utilité, la montre s'affirme davantage en tant qu'accessoire esthétique, interchangeable au gré des envies.

Une montre pour s'affirmer

L'arrivée de téléphones cellulaires et autres appareils portatifs affichant l'heure remet aujourd'hui son utilité en question. Sa symbolique est toujours présente, selon la spécialiste, mais elle est devenue désuète en tant qu'objet permettant de mesurer le temps. Ceux qui choisissent de porter une montre le font maintenant par intérêt et non plus par nécessité.

Les ventes de montres s'en ressentent-elles? «Cela nous a forcés à évoluer et à développer davantage le produit, tant sur le plan des technologies que du style, dit Marian Statham, chef de marque chez Timex. Nous devons offrir quelque chose de différent.»

Là où la montre se distingue et marque des points, c'est qu'elle est un objet de style et, par conséquent, une façon d'exprimer son individualité. «La montre est devenue un accessoire, au même titre que les colliers ou les bagues, dit François Thiébaud, président de la marque suisse Tissot. On la change en fonction de ses activités et de son habillement.»

Et dans une ère où les tendances changent rapidement, la demande est grande. «On est dans un monde de consommation qui fait qu'on ne doit pas acheter pour acheter, mais qu'on achète parce que c'est novateur, poursuite M. Thiébaud. Nous devons nous renouveler continuellement pour offrir des nouveautés.»

Le marché de la montre est, malgré tout, étonnamment vigoureux. En 2012, la Suisse, deuxième plus grand exportateur de montres au monde, a vu la valeur de ses exportations augmenter de 10,9% par rapport à l'année précédente.

Objet de valeur

Boudée pendant quelques années, la montre s'affiche de nouveau aux poignets. Bernadette Rey, qui enseigne à l'École supérieure de la mode de l'UQAM et au Collège LaSalle, le constate dans ses classes: au milieu des années 2000, très peu d'étudiants portaient une montre. Depuis deux ou trois ans, elle est de retour.

Quand elle demande à ses élèves s'ils s'en servent pour regarder l'heure, la réponse est unanime: non. Ils consultent, pour cela, leur téléphone ou leur ordinateur. «Les jeunes générations considèrent la montre comme un bijou uniquement. Et chez eux, le phénomène de marque est important. Ils choisissent souvent les mêmes griffes pour leurs montres que pour leurs vêtements.»

Si le côté pratique de la montre n'est plus recherché, pourquoi ne pas opter tout simplement pour un accessoire de style, un beau bracelet, par exemple? Pour comprendre l'engouement que suscite cet objet, il faut se tourner vers son histoire. «La montre est une reconnaissance du passé, de ce que l'être humain a été en mesure de faire, dit Bernadette Rey. Il a été capable de décortiquer le temps. Même si on peut maintenant lire l'heure ailleurs, la montre reste un objet marquant de notre évolution.» Et c'est cette valeur, qui s'ajoute à son potentiel esthétique, qui assure sa survie. La montre est le reflet d'un savoir-faire et de notre patrimoine.

«Le temps, c'est quelque chose qu'on ne peut pas changer. On est venus au monde avec un échéancier: on est tous tributaires du temps, et on est tous bousculés par le temps, dit François Thiébaud. La montre permet de l'embellir et quelque part, de le rendre plus agréable. Et en ce sens, elle est appelée à demeurer.»