L'arrivée du mois de mars annonce l'ouverture de la saison des sucres. Pour la troisième année consécutive, La Cabane s'installe dans l'espace Scena sur les quais du Vieux-Port de Montréal. Cette année, c'est Martin Juneau, chef propriétaire du restaurant Pastaga, qui orchestre le menu de cette cabane à sucre en ville, à des lieues de l'imagerie populaire qui lui est traditionnellement associée. Rencontre autour de l'événement. Prétexte pour parler de l'érable.

Le temps des sucres correspond à un état d'esprit. C'est du moins l'hypothèse de Martin Juneau pour expliquer l'enthousiasme qui se répand chaque année, à l'orée du printemps, lorsque les premiers arbres se remettent à couler dans les érablières. «Il se produit toujours quelque chose à ce temps-ci de l'année. Tout à coup, on a une envie irrépressible de sirop d'érable.»

Ça, les propriétaires d'érablières l'ont bien compris et mettent tout en oeuvre, des rigodons à la tire sur la neige, pour satisfaire le désir de milliers de visiteurs. Depuis quelques années, toutefois, on déplore que certaines cabanes à sucre se soient enlisées dans des formules commerciales, franchement médiocres. Certes, on en sort repu, mais souvent perplexe. Avec le sentiment que la tradition a un peu, beaucoup, perdu de sa patine d'antan. «Toutes mes expériences récentes de cabane à sucre ont été décevantes», confie M. Juneau. Rien à voir avec ses souvenirs de petit garçon, alors qu'il buvait de grandes gorgées d'eau d'érable à même le «siau».

«J'avais plutôt l'impression d'aller à l'usine, dit-il. Tout ça, au final, pour goûter à une cuisine le plus souvent lourde et mal exécutée.»

À La Cabane, Martin Juneau compte bien remédier, à sa façon, à la situation. Il succède aux fourneaux à Danny St-Pierre (Auguste) et au duo formé par Marc-André Jetté et Patrice Demers (Les 400 coups). Il a suivi leur travail avec intérêt dès la première année. «J'ai tout de suite trouvé le concept très sympathique. L'an dernier, quand j'ai vu que c'était Marc-André et Patrice qui avaient eu le contrat, j'ai été jaloux», avoue-t-il en riant. C'est donc avec un plaisir évident que le chef a accepté de prendre le relais de l'événement cette année.

Pour être à la hauteur du poste convoité, il a cherché à déjouer les attentes. Comment? En s'éloignant du registre des classiques de la cabane à sucre, même revisités. Pas d'oreilles de «crisse» ni de soupe aux pois au menu cette année. «J'avais le sentiment qu'on avait fait un peu le tour de ce côté-là, qu'il fallait se renouveler. On a créé un menu qui contient plutôt des références à la gastronomie québécoise, mais on a voulu la débarrasser de son côté rude, traditionnel. Surtout, on voulait s'amuser et faire travailler l'imaginaire des gens.»

Sur la carte: bison fumé façon smoked meat et toast melba maison, petit pain farci d'effiloché de porc, soupe canard et nouilles, haricots blancs à la mélasse, chocolat chaud et gelée de menthe (style «After Eight»), whippet au sirop d'érable... Autant de petits clins d'oeil culturels, savamment détournés et souvent teintés d'humour, qui se sont faufilés dans le menu. Ce dernier, Martin Juneau le concède, est le résultat d'un travail d'équipe complet entre la pâtissière Isabelle Leroux, le sous-chef Frédéric Boucher, ses deux grands complices du Pastaga, et lui.

La bonne dose

L'érable est le fil qui lie les plats entre eux. Défi intéressant, puisque ce ne sont pas des produits avec lesquels le chef a l'habitude de travailler, comme il mélange rarement le sucré et le salé. Sinon pour laquer ses poitrines de porcelet, ce plat-signature, lointain cousin du chicharrón latino-américain, qui le suit depuis ses premières armes en cuisine. «Et quand j'utilise un sucre, j'aime varier: mélasse, sucre brun. Je fonctionne par séquences. Comme en ce moment, c'est le miel.»

L'érable a une saveur unique. Il faut savoir le doser.

Isabelle Leroux acquiesce: «Même dans les desserts. Il ne faut pas en abuser, parce qu'il vole rapidement la vedette. Ça dépend vraiment de là où on veut aller», dit la pâtissière. Selon elle, le mariage est heureux entre l'érable et la poire, le chocolat noir ou, plus intrigant, le pamplemousse. Le chef, lui, propose le duo érable et soja, pour laquer un saumon cuit au four. Le mot d'ordre: le moins de travail possible.

Le sirop d'érable est l'un des produits du terroir les plus valorisés au Québec. «À la limite, ajoute M. Juneau, on ne peut pas en faire plus pour le mettre en valeur. Mais on a toutes les raisons d'en être fiers. Je préfère nettement être associé au sirop d'érable qu'à la poutine.»

Il reste peut-être à le détacher de son image un peu folklorique.

Sortir l'érable de sa zone de confort, sans le rendre méconnaissable, c'est un peu le défi qu'il a accepté de relever à La Cabane.

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La Cabane

du 8 mars au 15 avril 2012

du mercredi au samedi à 19h et le dimanche à midi (les portes ouvrent une heure à l'avance)

Scena, sur les quais du Vieux-Port de Montréal,

dans le pavillon Jacques-Cartier

59$ par personne, 20$ pour les enfants de moins de 12 ans

Pour plus d'information: lacabane.ca

Photo Robert Skinner, La Presse

Isabelle Leroux et Martin Juneau