La France lance jeudi une vaste offensive «gastrono-diplomatique», de Hong Kong à Versailles en passant par Istanbul: plus de 1300 chefs doivent concocter un dîner «à la française» dans 150 pays, une opération orchestrée pour promouvoir un secteur crucial pour l'économie.

Inspirée par les Dîners d'Épicure lancés par Auguste Escoffier en 1912, «Goût de France/Good France» mobilise en plus des ambassades et consulats de France, des bistrots, restaurants d'hôtel et établissements de haute gastronomie partout dans le monde, autour d'un menu à la trame pré-établie.

«Foie gras tiède sur pommes confites en nuage de coton» à La Havane, «huîtres gratinées au beurre de poivre rouge de Kampot» à Phnom Penh, «Saint Jacques D'Hervey Bay rôties au cresson» à Sydney, sont quelques-unes des entrées proposées par les restaurants participants, dont la plupart des chefs sont étrangers. Les menus vont de 30 à 380 euros.

«On est capables de démontrer que la gastronomie française est présente partout sur la planète, qu'elle peut continuer à exister et être influente, contrairement à ce que les Anglo-Saxons voudraient bien faire croire», se félicite Alain Ducasse, à l'origine de cette initiative organisée avec le ministère des Affaires étrangères.

«Est-ce qu'on est le seul pays capable de le faire? Oui», se réjouit aussi le chef multi-étoilé.

En France, le point d'orgue de cet événement est un dîner à Versailles, composé par huit chefs prestigieux dont Alain Ducasse, qui rassemblera quelque 650 convives, notamment les ambassadeurs étrangers en poste à Paris, autour de Laurent Fabius.

Le ministre a fait de ce concept de «gastrono-diplomatie» un axe clé de la promotion du tourisme, érigé en cause nationale. La gastronomie est une motivation majeure pour les touristes qui viennent en France, le pays le plus visité au monde.

Une «gastronomie vivante»

Alain Ducasse a prévu un plat végétarien, «cookpot de quinoa d'Anjou, légumes racines». «J'ai voulu montrer que la cuisine française n'est pas enfermée dans de la crème et du beurre, comme souvent on veut bien nous le faire croire. Elle peut aussi être actuelle, contemporaine, avoir une vision réformatrice», explique-t-il.

«L'idée, c'est de rendre vivante cette gastronomie», explique encore Alain Ducasse, soulignant que le classement par l'UNESCO du repas à la française en 2010 avait pour inconvénient de donner l'impression de «muséifier la cuisine».

«C'est important de montrer que la cuisine française se porte très bien et sait se remettre en question aussi», juge aussi Akrame Benallal, dont les deux restaurants gastronomiques participent à «Goût de France», l'un à Paris (deux étoiles Michelin), l'autre à Hong Kong (une étoile).

Récemment couronné par le titre de «Meilleur chef d'Europe» par le salon Madrid Fusion, un grand rendez-vous annuel de la gastronomie, ce trentenaire, qui a grandi à Oran et fait ses armes chez Pierre Gagnaire et Ferran Adria, incarne le renouveau de la cuisine française. Dans son restaurant de 25 couverts situé près de l'Arc de Triomphe, les nappes sont absentes et les murs sont recouverts de photos de femmes tatouées.

Pour ce chef qui déborde de projets, l'avenir, ce sont «des petits restaurants qui font de la haute couture» et à côté, «du très bon prêt-à-porter, avec des bistrots à concept, des monoproduits».

Jeudi soir, il propose un menu à 250 euros, avec 10 vins différents, composé notamment d'un carpaccio de Saint-Jacques, d'un rouget en croûte de quinoa, d'une pintade de Chalosse cuite au barbecue... À Hong Kong, il a dû s'adapter aux goûts locaux, avec des assaisonnements différents, et composer avec les ressources disponibles sur place.

À Istanbul également, les produits locaux turcs (caviar d'aubergine ou turbot du Bosphore) vont côtoyer les spécialités françaises d'hier («poule au pot Henri IV») et d'aujourd'hui dans le menu proposé par le chef étoilé Olivier Pistre, au consulat de France.

Servi dans le cadre prestigieux du Palais de France, le dîner s'inspire de ceux servis en 1867 au sultan ottoman Abdulaziz lors de son séjour à Paris à l'occasion de l'Exposition universelle et à l'impératrice Eugénie pendant sa visite à Constantinople deux ans plus tard.