Même s'ils sont loin de connaître le succès des guides québécois (Aubry, Chartier et Phaneuf-Fournier, notamment), les guides français ont au Québec leur public.

Et ceci, quoiqu'ils traitent exclusivement des vins de France, lesquels continuent toutefois, à juste titre, d'occuper la première place, à la fois en volume et en valeur, sur notre marché.

 

Trois de ces guides - le Hachette, celui de La Revue du vin de France (RVF) et enfin le Bettane&Desseauve (B&D) - sont particulièrement prisés.

Et pour cause, faut-il dire, car la demi-douzaine d'auteurs de la RVF ainsi que Michel Bettane et Thierry Desseauve sont de très bons dégustateurs (il suffit de les lire pour s'en convaincre) et connaissent les vins français à la perfection. (Le cas du Hachette est différent puisqu'il s'appuie sur la contribution de multiples commissions de dégustation, réunissant quelque 900 dégustateurs.)

Seul hic: la RVF et B&D cherchent assez souvent à vous en mettre plein la vue!

Ils ne dédaignent donc pas, par l'emploi d'expressions et de tournures hermétiques, de tenter de prouver leur propre supériorité à leur lecteur, et à celui-ci son ignorance supposée...

Un vieux truc, comme l'on sait, les jargons ésotériques, «peu compréhensibles par le commun des mortels» (Le Petit Larousse), faisant partie de l'arsenal des professions cherchant à montrer l'étendue de leur savoir.

«Le 2003 possède une race incroyable et une définition de bouche unique», écrivait ainsi la RVF dans son guide 2008 au sujet du Pauillac 2003 Château Latour.

«Une race incroyable», l'on comprend, mais «une définition de bouche unique»?

De quoi s'agit-il? Que doit-on comprendre? Quelle est, en deux mots... cette bibitte?

Ayant eu le bonheur de goûter ce très grand vin (cinq étoiles, ou 20/20, tout à fait d'accord sur ce point avec la RVF), je crois être en mesure de traduire.

Vin très dense mais sans lourdeur aucune, ses tannins sont aimables, bien enrobés, et l'ensemble (c'est la bibitte)... d'un éclat et d'un équilibre parfaits.

Histoire... d'essayer de jeter un peu de lumière sur notre ignorance commune, en voici quelques exemples additionnels, tirés soit du guide de la RVF, soit du B&D, avec les traductions requises.

> «Toucher de bouche». Il ne s'agit pas... de toucher on ne sait quoi avec la bouche, mais, tout bonnement, de la texture du vin.

> «Une bonne gestion des tannins». Oublions le gestionnaire, il est question ici de tannins de qualité, gras, sans rugosité.

> Plus difficile, «une colonne droite». La phrase au complet: «Le Latricières-Chambertin arbore un joli velouté sur une colonne droite», écrit la RVF au sujet de ce vin de la maison Faiveley. «Joli velouté», ça va, mais la «colonne» ? À mon avis (mais je demande grâce à l'avance à la RVF si je fais erreur!), il est question encore ici d'équilibre.

> Vin «longiligne». «Le 2003 est svelte, longiligne, noblement épicé», selon la description du Médoc 2003 Château Les Ormes Sorbet par la RVF. Traduction: le vin est élégant, équilibré (encore, eh oui!), le boisé, de qualité.

> «Une bonne franchise de bouche». Pas compliqué: les saveurs sont franches.

> Plus difficile, «... la pointe lardée de la Syrah s'avère flatteuse». En clair, on y trouve de plaisants arômes fumés.

Bettane et Desseauve, eux, aiment à insister. Quelques exemples:

> «D'une immense droiture», écrivent-ils dans l'édition 2008 au sujet du Coteaux du Languedoc 2005 Pic Saint-Loup Glorieuses Clos Marie. Comprendre que les saveurs sont franches, nettes, et le tout, bien équilibré.

> «Très languide», notent-ils à propos d'un Châteauneuf-du-Pape, le sens apparaissant dans la fin de la description (ouf!), «rondeur souple», ajoutent-ils.

> «Tannins déliés». Tannins tendres ferait tout aussi bien l'affaire.

> «Texture de bouche unique.» Voir plus haut.

> «Tannins soyeux, très grande finesse, très grand naturel», ainsi va leur description du célèbre (et hors de prix) Pomerol 2005 Château Le Pin. «Très grand naturel...» ? Sans doute veulent-ils dire que le tout... est d'un parfait équilibre, sans boisé intempestif.

> «Des tannins remarquablement définis», notent-ils dans leur description du Pessac-Léognan 2002 Château Haut-Brion. En d'autres termes: de beaux tannins distingués.

Est-ce parce que ses ventes sont plus élevées et qu'il s'adresse à un public qu'il veut éviter d'intimider?

Toujours est-il que le Hachette, lui, ne cherche jamais à jeter de la poudre aux yeux. «L'élégance se retrouve dans les tannins ronds et souples au palais», y lit-on (parfait exemple de son style) dans l'édition 2008 au sujet d'un Médoc 2004. Nul besoin de traduire...

À noter enfin que les sommeliers québécois, tel Marco Pelletier devenu chef sommelier du Bristol (Paris), considéré comme le meilleur hôtel sur terre par le magazine américain Institutional Investor, ont, règle générale, la même politique que le Hachette.

Plutôt que de se draper dans leur savoir, en effet, ils n'ont pas «d'autre ambition que de faire connaître de très bons vins et d'assurer une qualité de service telle que le client n'aura qu'une envie: revenir!» ainsi que l'écrivait dans ces pages samedi dernier, à propos de Marco Pelletier, Katia Chapoutier, soeur des frères Chapoutier, de la vallée du Rhône.

Deux bordeaux

Feu Émile Peynaud avait une description toute simple du grand vin. C'est, disait-il en substance, et de mémoire, un vin au sujet duquel une majorité de bons dégustateurs s'accordent à dire qu'il est grand...

On peut le dire, à mon sens, du magnifique Lalande de Pomerol 2006 L'Ancien, d'un tout petit domaine de quatre hectares et aux vieilles vignes (45 ans en moyenne). Vin de Merlot uniquement et élevé dans 100% de fûts neufs, très coloré sans être opaque, il se distingue d'abord par son bouquet, ample, harmonieux, de fruits noirs et aux notes épicées sans que ce soit excessif (le bois). Avec une bouche de même niveau, charnue, dense, aux beaux tannins gras et une bonne persistance. Il y a plus raffiné en bordeaux rouges, n'empêche c'est là du grand art, et un grand vin, à prix correct (43 caisses).

S, 914085, 50$, ****, 18,2/20, $$$$, 2009-2016.

Très bon bordeaux, sans que ce soit un vin de la même classe que le précédent, le Premières Côtes de Blaye 2006 Château Segonzac, bien coloré également, au bouquet de volume moyen, de fruits noirs et au boisé discret, de demi-puissance en bouche (comme l'écrit quelque part la RVF), ce qu'on comprend aisément, est lui aussi un vin aux tannins de qualité, équilibré. 80% Merlot et 20% de Malbec, avec élevage en fûts pour six mois (131 caisses).

S, 10389021, 20,55$, ***, 16,6/20, $$ 1/2, 2009-2013.

LA RECOMMANDATION DE LA SEMAINE

Aux dernières nouvelles, 2007 aura été un grand millésime dans le sud de la France, notamment dans le Rhône et le Languedoc-Roussillon. D'un pourpre soutenu et à reflets bleutés, le Côtes du Rhône Villages 2007 Château de la Gardine en est une bonne illustration, grâce à son généreux bouquet de fruits rouges et noirs, mûr, et que dominent les arômes du Grenache. Ne manquant pas de corps, tout en fruit, bien goûteux, tannique sans être agressif, c'est encore là, sur le plan gustatif, le Grenache (60%) qui s'impose, la cuvée, qui est élevée en cuves, comprenant aussi de la Syrah (25%) et du Mourvèdre (15%). Savoureux (1128 caisses).

C, 123 778, ***, ou 16,2/20, 19,80$,$$, 2009-2010.

DÉGUSTÉS POUR VOUS

Vin de Pays du Gard 2007 Syrah&Merlot Mas de Forton. Vin rouge tout en fruit, souple, moyennement corsé, aux arômes de fruits rouges et avec un petit arôme végétal (la Syrah?) dans l'après-goût. Simple et fort bon quand même. Pour tous les jours. C, 604033, 10,80$, **, 14,2/20,$, 2009.

Collioure 2006 Côté Mer Domaine de la Rectorie. Très beau vin du Languedoc-Roussillon, fait surtout de Grenache (environ 85%), plus du Carignan, et élevé en fûts (mais très peu de bois neuf), richement coloré, au bouquet éclatant, très fruits rouges, bien en chair, et au fruité d'une pureté exemplaire. Du corps, de la chair, des tannins bien enrobés - bref, un régal, que savoureront avec le plus grand plaisir les amateurs de Grenache. Superbe (114 caisses). S, 10781242, 29,55$, ****, 18/20,$$$ 1/2, 2009-2013.

Chambolle-Musigny 2006 La Combe D'orveau Domaine Anne Gros. Il y en a peu, et il est cher, mais quel vin que ce bourgogne rouge! Rouge clair, son bouquet, plutôt délicat, comme... aérien, enchante par la qualité de son fruit et sa finesse. Même charme irrésistible en bouche - une bouche tendre, aux tannins soyeux et serrés. Grand bourgogne (43 caisses). S, 10769551, 71,25$, ****, 18/20,$$$$$, 2009-2013.

Stellenbosch 2005 Pinotage Marianne Wine Estate. Très beau vin de Pinotage (un croisement de Pinot noir et de Cinsault, rappelons-le) d'Afrique du Sud, d'une rare élégance, d'un domaine qu'a racheté le Bordelais Christian Dauriac. Vin qu'on élève en fûts de chêne français, typé Pinotage (fruits rouges, avec ces arômes à peu près indescriptibles propres à ce cépage, mais dans ce cas sans que ce soit trop prononcé), et relativement corsé, ses tannins sont aimables, et il se présente avec à la fois éclat et distinction. Goûté lors de la venue récente à Montréal de son producteur, il n'est malheureusement pas vendu au Québec. Coûterait dans les 25$. *** 1/2, 17,5/20.

 

LA RÈGLE

> Plus d'étoiles que de $, le vin vaut largement son prix.

> Autant d'étoiles que de $, il vaut son prix.

> Moins d'étoiles que de $, il est cher ou même très cher.

> C indique qu'il s'agit d'un vin courant, vendu dans la plupart des succursales.

> S désigne les vins de spécialité, en vente uniquement dans un nombre limité

de succursales.

> Le nombre d'années figurant après la note indique le potentiel de garde approximatif à partir de maintenant.

* Vin correct

** Bon

*** Très bon

**** Excellent

***** Exceptionnel

1/2 Égale une 1/2 étoile