Ils fréquentent les festivals brassicoles, visitent les microbrasseries aux quatre coins du Québec, se disputent les bières rares sur les étalages et collectionnent les moindres objets reliés à la bière. Ces beer geeks, complètement fous de la bière, sont de plus en plus nombreux au Québec. Nous en avons rencontré trois.

PIERRE CLERMONT: LE COLLECTIONNEUR BOULIMIQUE

Quand on pénètre dans le sous-sol du Lavallois Pierre Clermont, impossible de ne pas être fasciné par l'ampleur de la collection qui s'étale sous nos yeux. Les 2800 bouteilles de bière, classées par microbrasseries, relatent la petite histoire brassicole québécoise. Tout comme les nombreux objets promotionnels reliés à la broue : verres de toutes sortes, cabarets, macarons, affiches, savons, cendriers, jeux de cartes, portefeuille, pince à salade et même un jeu de billes à l'effigie de Molson.

« J'accumulais les bouteilles, sans penser qu'un jour je collectionnerais, se rappelle Pierre Clermont, sympathique personnage aux mille et une anecdotes. C'est d'abord mon fils qui a commencé à collectionner les bouchons des bières que j'allais chercher à la SAQ Bières sur Saint-Denis. »

Sa collection, constituée spécifiquement d'objets reliés aux brasseries et microbrasseries québécoises, a été acquise au fil des ans, sur une période d'une vingtaine d'années. Pierre Clermont se procure ses trésors en achetant tous les brassins embouteillés, mais en ayant aussi recours aux rares dons et aux achats de diverses collections sur les sites eBay et Kijiji.

« J'ai acheté la collection d'un gars. J'ai loué un camion pour aller la chercher. Il devait y avoir 3000 bouteilles. J'ai ramené ça ici, j'ai tout trié et j'ai gardé ce qui était du Québec. Le reste, je l'ai donné. »

Une passion coûteuse

Cette passion a évidemment un prix. De plus en plus cher. Le collectionneur affirme que depuis l'avènement d'eBay, les prix ont monté en flèche. Ainsi, une bouteille vide qu'il payait auparavant 5 $ peut maintenant se vendre 40 $. Certains articles rares peuvent valoir une petite fortune. Comme ce plateau de bronze de la brasserie The Union Brewery acquis pour 500 $.

« C'est une brasserie de Montréal qui a fermé en 1920. Cet item-là, je le voulais et je l'ai eu parce que personne ne connaît la brasserie. Et 500 $, ce n'est pas cher. Je peux le vendre demain pour 2000 $ dans cet état-là. »

Certains objets rares feraient l'envie de bien des collectionneurs. Comme ces bouteilles à l'effigie des Frères Brosse (commercialisées à seulement 1000 exemplaires), le tap handle de la défunte Microbrasserie Bas-Saint-Laurent-Gaspésie ou encore cette série de vieilles publicités des années 1900 à 1960 qu'il aimerait classer lorsqu'il sera à la retraite.

Toujours sur la route

En plus d'être un sacré collectionneur, Pierre Clermont demeure une véritable référence sur les brasseries artisanales québécoises. Combien de microbrasseries y a-t-il au Québec ? Quelles seront les prochaines à ouvrir leurs portes ? S'il connaît les moindres détails sur ces entreprises, l'homme peut aussi se targuer de les avoir visitées. Toutes, sauf celles de Baie-Comeau, Sainte-Anne-des-Monts et les Îles-de-la-Madeleine.

Chaque année, il parcourt ainsi des milliers de kilomètres uniquement au Québec - il n'a plus de passeport depuis 1983 - afin de rendre visite à ces artisans de la bière. Heureusement, sa femme, complice de sa passion, le suit dans ses pèlerinages.

L'heure de la retraite sonnera l'an prochain. Le grand voyageur se promet de continuer ses périples et rêve même de se rendre à vélo jusqu'au Lac-Saint-Jean. On se doute bien qu'il en profitera pour rapporter quelques souvenirs !

Ses bières québécoises préférées

Quelque chose d'Unibroue, Hopfenweisse de Frampton brasse et Kölsh de Moulin 7, « une bière qui te ramène à la source de ce qu'était la bière au départ ».

ALEX ET DAVID ATMAN: BOIRE LOCAL

Boire local. Tel est le credo des frères Atman, auteurs du blogue La décapsule consacré à la bière et aux produits du terroir québécois. Ces deux rigolos - Alex et David de leurs prénoms -, qui s'étaient perdus de vue depuis l'exil de David au Labrador et à Halifax, cherchaient une activité commune pour se rapprocher « entre bros ».

La bière est rapidement devenue l'idée directrice de leur projet, né un beau soir de juin 2012. Alex, l'aîné, concoctait en effet de la bière maison depuis quelques années tandis que David, 11 ans plus jeune, avait toujours été « intrigué par les bulles qui se formaient dans la tourie de sa garde-robe ».

Les deux frérots ont d'abord écumé les nombreux festivals brassicoles de la province et visité quantité de microbrasseries québécoises afin de jaser avec les brasseurs dans leurs capsules vidéo souvent humoristiques, jamais banales.

« On ne voulait pas se prendre au sérieux, car on n'est ni bièrologues ni spécialistes en bière, précise Alex, enseignant au primaire et père de trois enfants. Le but, c'est de s'amuser. »

Boire et manger québécois

Si le blogue se consacre avant tout à la bière, il adopte depuis quelques mois une orientation vers les produits du terroir, toujours dans l'optique de boire et manger québécois. Ainsi, les deux frangins - et leurs collaborateurs - peuvent aussi bien diffuser une vidéo sur la microbrasserie Noire et blanche qu'offrir un article sur les charcuteries de Cochon cent façons.

« On veut que ça soit une philosophie ancrée, un réflexe d'achat », croit David, étudiant en marketing et publicité.

Visiblement, la tangente locale a porté ses fruits. Le blogue enregistre plus de 10 000 clics mensuellement alors que les forums Boire local et Nanobrasseur comptent parmi les plus importants du genre en abonnés sur Facebook.

Une collaboration en bouteille

Grâce à leur amitié avec le brasseur Ovi Bercan de la microbrasserie Kruhnen de Blainville, Alex et David ont eu l'insigne honneur de collaborer à la création d'un brassin embouteillé et commercialisé. La King cogne a connu un beau succès tant commercial que critique.

« On avait souvent dit à Ovi : "On va brasser une bière ensemble." L'année passée, il a dit : "D'accord, on la fait." Après, on l'a brassée une deuxième fois, puis une troisième et c'est devenu un produit régulier de la brasserie », relate Alex, qui affirme consacrer une journée par semaine (il ne travaille qu'à 80 % de sa tâche) à La décapsule et à Kruhnen.

Si d'autres collaborations avec la brasserie ne sont pas encore au programme, les frères Atman rêvent que la King cogne, seulement offerte dans quelques dépanneurs spécialisés montréalais, soit plus largement et plus fréquemment distribuée. « On est deux ploucs de sous-sol et on est rendus sur les tablettes. On est très fiers de cette bière, car on a créé exactement ce que nous, on voulait boire », conclut David.

Leurs bières québécoises préférées

David : DTPA de Kruhnen et bitter de l'Isle de Garde, « pas la plus spectaculaire, mais je vais toujours avoir envie de la boire ». 

Alex : Double bonheur du Cheval blanc et Double IPA des Trois mousquetaires. « Si elle était disponible à l'année, je serais fou de ça. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

David et Alex Atman ont contribué à la création de la bière King cogne de la microbrasserie Kruhnen de Blainville.

ALEXANDRA SERRE ET HUGUE LEBEL: LES AMOUREUX DE LA BIÈRE

La grande aventure a débuté il y a 24 ans, alors qu'ils faisaient connaissance, assis côte à côte, à bord d'un avion à destination de la Belgique. Alexandra retournait dans le plat pays afin de passer l'été avec ses grands-parents. Hugue entreprenait plutôt un premier périple en sol européen de trois mois. Après cette rencontre déterminante, ils ne se sont plus jamais quittés et voyagent désormais pour la bière, avec ou sans Héloïse, leur fille de 8 ans.

Leur passion commune pour la cervoise a pourtant pris quelques années avant de s'affirmer. À l'époque, Hugue appréciait déjà la « bonne bière », en tant que client assidu de la SAQ Bières. Alexandra, malgré ses origines belges, fréquentait davantage les produits Molson et Labatt, moins coûteux pour le portefeuille.

« Je n'avais pas de préférence pour la "bonne bière". Mais quand j'allais en Belgique, je prenais plaisir à découvrir les bières d'abbaye et les trappistes », se remémore Alexandra, réviseuse-traductrice pour le gouvernement fédéral.

Si les premiers voyages ne se consacraient pas nécessairement à la bière même s'ils passaient par la Belgique, famille oblige, l'intérêt pour la divine boisson a rapidement pris le dessus. « Depuis une douzaine d'années, on a développé un goût non seulement pour la bière, mais aussi pour l'ambiance des bars. Ce n'est pas seulement boire de la bière, c'est la boire dans des endroits. En Belgique, la culture des cafés, la décoration, les clients réguliers, le folklore, tout ça me fascine », s'enflamme Alexandra, qui précise que les itinéraires sont établis en fonction des bars à découvrir ou ceux à revisiter.

Fréquenter les festivals

Outre son amour pour les bars, le couple d'Ottawa apprécie depuis peu les festivals brassicoles. Lors d'un séjour en famille de six mois en terre belge il y a deux ans - la plus belle expérience de leur vie, disent-ils -, les deux tourtereaux ont pris plaisir à découvrir de petits festivals, notamment à Gand.

« Notre intérêt pour les festivals est plus récent, et c'est à cause de Facebook. Les festivals sont pour nous un lieu de rencontre », pense Hugue, qui travaille en informatique pour l'Agence de revenu du Canada. Si le couple n'hésite pas à fréquenter les manifestations brassicoles avec Héloïse, les événements sont judicieusement choisis en fonction de l'animation qu'on y retrouve pour les enfants. Comme c'est le cas au Festibière de Gatineau, qui propose des ateliers bières et fromages pour les tout-petits. « On choisit de petits festivals et on y va tôt », ajoute Alexandra.

La bière en couple

Grâce à la générosité des membres de leur famille qui veillent à l'occasion sur leur fille, malheureusement refusée dans certains établissements, Alexandra et Hugue peuvent vivre de beaux périples en amoureux. Ils ont ainsi eu l'occasion de visiter plusieurs microbrasseries québécoises et de découvrir les scènes brassicoles de Boston, du Vermont et de l'Angleterre.

« L'Angleterre, c'était génial. On a découvert Londres, Bath et Brighton. Les bars là-bas sont extraordinaires. De beaux endroits avec une belle ambiance », raconte Alexandra, qui affirme que sa destination rêvée demeure toutefois la Belgique. « Je voudrais aller y habiter. Dans 10 ans peut-être », lance-t-elle. C'est ce qu'on lui souhaite !

Leur bière québécoise préférée

Tous deux adorent la Wee heavy bourbon du Castor. « Ils sont très rigoureux. Je n'ai jamais goûté une bière d'eux qui n'était pas excellente dans son style », analyse Hugue.

PHOTO SIMON SÉGUIN-BERTRAND

Alexandra Serre et Hugue Lebel sur la terrasse des Brasseurs du temps de Gatineau, une microbrasserie qu'ils fréquentent régulièrement.