«Grandissime», «béni des Dieux»: les professionnels encensent le millésime 2015 du Beaujolais nouveau qui arrive jeudi mais ces superlatifs ne suffiront pas à faire oublier la crise profonde que traverse le vignoble... ni les attentats.

La planète s'apprête à célébrer dans la nuit de mercredi à jeudi ce vin primeur. Hormis l'annulation d'une soirée au conseil départemental du Rhône, les festivités sont, pour l'instant, maintenues. Notamment à Paris où des vignerons en 2 CV sillonneront jeudi après-midi la capitale. Car plus que jamais, la profession tient à ce «symbole de la culture française», insiste Inter-Beaujolais.

À l'étranger, les festivités seront lancées du Japon, premier client à l'étranger qui aspire à lui seul plus d'un quart des bouteilles.

Georges Duboeuf, le roi des négociants dans la région, pensait que 2009 serait le millésime de sa vie. Mais 2015 sera encore meilleur, a-t-il récemment admis. «On a eu un printemps humide puis un ensoleillement historique en juillet dans le Rhône qui a été le département le plus chaud de France. C'est un millésime historique», surenchérit Jean Bourjade, délégué général de l'interprofession (Inter-Beaujolais).

Mais la qualité ne fait pas tout. Malgré un budget multiplié par deux cette saison, les ventes s'annoncent tout juste stables - l'an dernier, 28 millions de bouteilles avaient été écoulées - et les viticulteurs ont vendu leur vin en vrac moins cher. Raison pour laquelle, fait rarissime dans le milieu, ils sont descendus fin septembre dans la rue pour réclamer une réévaluation des prix aux négociants, dans une région où 80% des volumes passent par le négoce.

«Les gens aiment le goût du Beaujolais, ils n'aiment pas le nom», lance le Bourguignon Louis-Fabrice Latour, une des grandes maisons de négoce de vin en France, propriétaire dans le Beaujolais des crus Henry Fessy. «Il y a cette image qu'on se traîne», embraye Pierre Gernelle, directeur de la Fédération des négociants-éleveurs de Grande Bourgogne (FNEB).

Les ventes baissent dans les pays phares, Japon, États-Unis en tête, et les marchés émergents comme la Chine n'ont pas pris le relais.

Sortir du marketing uniformisé 

Passé de mode? Mauvaise image? Il se vend aujourd'hui deux fois moins de Beaujolais nouveau qu'il y a dix ans. Face à ce constat, tous n'ont pas la même analyse ni les mêmes réponses, exacerbant les tensions entre vignerons et négociants et semant la zizanie dans les instances professionnelles.

Déjà l'an dernier, les crus du nord de l'appellation, qui eux ont le vent en poupe, avaient divorcé des autres appellations. Depuis le dialogue est rompu.

Du coup, dans les vignes, un désespoir pointe, qui rappelle celui des éleveurs ailleurs. «La rentabilité, c'est une catastrophe. On fait 8000 euros (environ 11 400$) de chiffre d'affaires à l'hectare et quand on a payé les vendangeurs, les produits, il ne nous reste pas grand-chose», soupire Cyril Picard, figure de proue des manifestants fin septembre.

Les vignerons sont âgés (50 ans en moyenne), les prix des terres particulièrement bas dans les parcelles de Beaujolais nouveau (15 600 $ en moyenne l'hectare), difficile dans ces conditions d'attirer des jeunes et d'envisager des lendemains qui chantent.

Alors que faire? L'interprofession veut sortir le produit de son marketing uniformisé. Goût de banane, de tabac? Elle refuse désormais de se prononcer et parle DES Beaujolais nouveaux et non plus DU Beaujolais nouveau. «On veut lui redonner une âme, c'est un vin de vignerons, on veut l'associer au terroir», explique Jean Bourjade.

Mais tous ne l'entendent pas de cette oreille. Cyril Picard «souhaite que les viticulteurs reprennent les choses en main à l'interprofession». Les négociants eux sont divisés, entre ceux qui plaident pour un rapprochement avec la Bourgogne voisine pour redorer l'image du Beaujolais et ceux qui ne veulent pas en entendre parler.

«Nous, on plante du Pinot noir (cépage star en Bourgogne, alors que le Gamay domine dans la région, NDLR) dans le sud Beaujolais. Donc on réfléchit à la reconversion. Et oui, il y a l'idée d'un rapprochement des deux interprofessions dans une Grande Bourgogne... mais les conditions ne sont pas réunies à l'heure actuelle», conclut Louis-Fabrice Latour.