Pratiquement inconnu chez nous, le dessinateur québécois Michel Gagné a roulé sa bosse pendant des années dans la machine hollywoodienne. Du jour au lendemain, il s'est donné pour défi de percer l'univers du jeu vidéo. Et tout indique qu'il réussira.

Michel Gagné n'est pas du genre vantard. Et pourtant, la feuille de route du p'tit gars de Roberval impressionne. Dans le film d'animation Ratatouille, c'est à lui que Pixar a confié le mandat d'illustrer les saveurs goûtées par Rémi, le personnage principal.

«C'était un gros défi, pour lequel le réalisateur Brad Bird m'a carrément donné carte blanche», dit timidement Michel Gagné, rejoint par Skype à son domicile de Bellingham, dans l'État de Washington. Pour Les Incroyables, un autre succès de Disney/Pixar, il a agi à titre de consultant en effets spéciaux. Son nom figure aussi aux génériques de Star Wars: The Clone Wars, et d'Osmosis Jones.

D'abord animateur de personnages, il s'est vite spécialisé dans les effets spéciaux, tâche pour laquelle il a été responsable de grosses équipes chez Pixar, Disney et Warner Brothers. «Mais même à la tête de grosses équipes, il fallait que je m'intègre à l'engrenage du film, explique le dessinateur. À Hollywood, tous les dessinateurs doivent homogénéiser leur style à celui du film.»

Au tournant des années 2000, 15 ans après avoir obtenu son diplôme du Sheridan College School of Visual Arts, en Ontario, Michel Gagné en a eu assez de ce conformisme forcé. Il voulait imposer son style. Et il y est parvenu: entre les contrats de consultants avec les grosses boîtes de Hollywood, il a lancé plusieurs bandes dessinées et réalisé Sensology, un court métrage qui a été retenu en 2010 parmi les 10 finalistes de l'Oscar du meilleur court métrage d'animation.

Jeu vidéo

Sa carrière de travailleur autonome de l'animation a cependant pris une tournure totalement imprévue en 2006. Alors qu'il donnait un séminaire sur les effets spéciaux chez l'éditeur de jeux vidéo Midway, un cadre de l'entreprise, Joe Wilson, l'a remarqué.

«Il m'a dit: «Ton style d'illustration et de design, ce serait parfait pour un jeu vidéo, se rappelle-t-il. Moi, je ne connaissais absolument rien aux jeux vidéo. Je ne suis pas un gamer, je ne connaissais pas le domaine du tout.»

Six mois plus tard, après avoir dessiné quelques sketchs, Michel Gagné a convaincu Joe Wilson de quitter son boulot chez Midway et de se lancer dans le développement d'Insanely Twisted Shadow Planet.

Après cinq ans de développement, sans grandes ressources, le prototype du jeu de Michel Gagné et de Joe Wilson est tombé dans l'oeil de Microsoft. La multinationale a conclu un accord qui a permis à Michel Gagné et à son partenaire d'embaucher 16 personnes. Le jeu, dont les images circulent depuis un certain temps sur YouTube, n'a rien à voir avec ce que les éditeurs ont l'habitude de publier.

«Moi, je suis un dessinateur d'effets spéciaux 2D. Je ne voulais pas faire un jeu en 3D, comme on en trouve des tonnes sur le marché. Je voulais faire le jeu vidéo en 2D le plus hallucinant qui ne s'est jamais fait, avec des standards de qualité d'animation, de mouvements et d'image de la même qualité qu'un long métrage de Disney» explique Michel Gagné.

Pour l'instant, tout ce qu'on sait du jeu, c'est qu'il met en vedette une petite soucoupe volante qui confronte un univers fait presque entièrement d'ombres chinoises. «Ce n'est pas un shooter. Ce n'est pas un jeu de puzzle. Ce n'est pas un jeu d'exploration. C'est un concept jamais vu», lance l'illustrateur, le visage fendu d'un large sourire.

Le jeu fera l'objet d'une annonce officielle de la part de Microsoft le 11 mars prochain. D'ici là, Michel Gagné refuse d'en dire davantage. Mais visiblement, il jubile: «Le jeu vidéo, c'est une toile blanche. C'est de la création à l'état pur, et c'est moi qui suis sur le trône, à superviser la création des personnages, des concepts visuels et de l'ambiance. C'est la liberté totale.»