À quoi ressembleront les usines de demain? Bourrées de numérique, plus propres, jouant «comme du Chopin» mais capables d'improviser, encore plus robotisées et avec donc probablement encore moins d'ouvriers, ont prédit industriels, experts et intellectuels réunis vendredi à Paris.

«Il y a plein de ruptures technologiques et la première, ça sera l'émergence d'internet dans l'usine», a souligné Mathieu Pelissié du Rausas, spécialiste de l'industrie au sein du bureau de conseil McKinsey, lors d'un colloque sur le sujet à Paris.

«Qu'est-ce que ça va vouloir dire? Chacune des pièces, des composants, sera équipée de puces, de métadonnées, etc., et on va pouvoir dans un horizon pas très lointain réorganiser la chaîne (de production) en donnant de la connaissance aux pièces. Une pièce pourra dire à la machine qui l'usine: 'je suis pas encore prête', encore un peu s'il vous plaît», a-t-il prophétisé.

Un contrôle qualité directement assuré ou corrigé par la machine, donc, qui pourrait limiter encore la mise au rebut de pièces défectueuses, et une entrée d'informations dans l'usine qui permettrait de personnaliser encore davantage le produit, a pour sa part souligné Emmanuel Julien, ancien directeur industriel chez Air Liquide.

Le règne de l'automatisation

«La deuxième grande révolution, c'est la robotique de pointe. La robotique c'est assez ancien, mais on a une nouvelle génération de robots qui arrive, pour vous donner un exemple on est maintenant capable de faire un traitement entièrement robotisé des laitues», a expliqué M. Pelissié du Rausas.

«C'est à dire qu'on peut attraper des laitues, vérifier qu'elles sont bonnes à la consommation, les emballer et les envoyer de façon entièrement robotisée alors qu'on a longtemps pensé que c'était impossible pour les fruits et légumes», a-t-il raconté.

«Cela veut aussi dire que probablement une vingtaine de pour cent des 'jobs' dans les pays en voie de développement et probablement une dizaine de pour cent dans des pays développés pourraient être robotisés», selon les estimations de McKinsey.

L'usine sans humains, tant de fois annoncée et décriée, serait-elle pour demain?

Non, se sont accordés les experts vendredi. «Le 'tout se fait tout seul', c'est un peu de la science-fiction», selon M. Julien. «Je crois que l'usine du futur va enlever des tâches répétitives et franchement pas intéressantes, pour les ouvriers en particulier, elle va en revanche ajouter beaucoup de tâches à valeur ajoutée pour des ingénieurs, des techniciens, etc.»

Usines en kit

«Dans l'usine moderne, on va avoir besoin d'encore moins de travail et plus de machines et donc une des questions, c'est comment l'usine va rester un lieu de socialisation», a souligné l'économiste, qui dirige la revue Sociétal.

Souvent rectangle monolithique, l'usine pourrait bien également changer de forme, pour mieux s'adapter aux chaînes logistiques, a rappelé Éric Ballot, professeur à Mines-ParisTech, avec des sites en forme d'étoile ou de croix pour augmenter au maximum les ouvertures vers l'extérieur.

Autre tendance: l'usine en kit démontable, comme l'expérimente actuellement Procter & Gamble en Espagne. «On ne fait plus seulement voyager les produits, on déplace aussi l'usine, conçue pour voyager en conteneurs et assemblée en deux ou trois jours», par exemple pour alimenter une demande exceptionnelle sur un marché, a expliqué M. Ballot.

Le patron des patrons français, Pierre Gattaz, a lui prédit une usine réglée comme du papier à musique, jouant la plupart du temps «du Chopin». «Mais capable d'improviser du jazz de temps en temps» pour s'adapter aux besoins de plus en plus imprévisibles des clients, a souligné le dirigeant de Radiall, un des derniers fleurons français de l'électronique.