Personne n’avait remporté 14 fois le même tournoi majeur avant Rafael Nadal. Et personne ne réussira probablement jamais après lui.

Le plus français des Espagnols franchissait la porte d’Auteuil pour la 19fois de sa prolifique carrière, lundi, avec l’intention certaine de se rendre jusqu’au deuxième dimanche du tournoi de Roland-Garros. L’un des plus grands champions de l’histoire du tennis avait assurément une 15finale dans sa ligne de mire.

Mais comme le tirage lui avait donné Alexander Zverev comme adversaire au premier tour, on savait trop bien que ses chances de survivre étaient minimes. Dans ce qu’il a annoncé être l’ultime saison de sa carrière, cette présence sur le court Philippe-Chatrier allait sans doute être sa dernière.

Pour l’occasion, Novak Djokovic, Carlos Alcaraz et Iga Świątek, entre autres, étaient des spectateurs attentifs dans les gradins. Après tout, même si chacun d’entre eux a déjà marqué son sport à sa manière, aucun ne l’a fait comme Nadal sur ce même court, à ce même tournoi. Là où ses 14 triomphes, sa fiche de 112-3 et son dossier parfait en finale survivront à jamais comme des marques inatteignables.

Ce match de premier tour, donc, n’avait rien du cachet d’un habituel affrontement d’ouverture entre le 4e et le 275joueur au classement mondial. La tension était à son comble, parce que chaque fois que l’histoire s’écrit ou qu’un chapitre prend fin, il y a de quoi être sur le bout de son siège.

Et même si 10 ans et 271 places de classement séparaient Zverev et Nadal, cette rencontre d’entrée a été digne d’un affrontement de deuxième semaine. Il s’est soldé en trois manches de 6-3, 7-6 et 6-3 à l’avantage de Zverev en trois heures et cinq minutes, mais la qualité des échanges, la longueur des points importants et les incessants changements de rythme auront régalé les amateurs de tennis jusqu’à la toute fin.

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Alexander Zverev félicite Rafael Nadal après leur duel.

Lorsque Nadal a envoyé son dernier coup droit décroisé derrière la ligne de fond, la consternation a rapidement fait place à une ovation plus longue que la routine d’avant-service du gaucher, ce qui n’est pas peu dire.

Comme le veut la tradition, le gagnant s’est d’abord adressé à la foule, mais Zverev a rapidement renvoyé la balle à Nadal : « Je ne sais pas quoi dire. Merci, Rafa, de la part de toute la planète tennis. […] Ce n’est pas mon moment, c’est celui de Rafa. »

Puis, lorsque le gagnant de 22 titres majeurs s’est avancé au micro, exténué, mais visiblement serein, il a refusé de faire ses adieux. « Je ne suis pas sûr à 100 %, mais si c’était la dernière fois, c’était incroyable », a-t-il lancé à la foule parisienne.

« Il y a quand même un fort pourcentage de chances que je ne sois pas de retour », a-t-il toutefois avancé quelques instants plus tard.

Dans tous les cas, même s’il s’est fait sortir d’entrée de son tournoi de prédilection pour la première fois de sa carrière et qu’il a ajouté Zverev à la courte liste de ceux qui l’ont fait tomber à ce tournoi, les autres étant Robin Soderling et Novak Djokovic, Nadal n’a pas à rougir de la manière dont il a livré sa dernière bataille sur le sable rouge de ce court central mythique.

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Lorsque Rafael Nadal s’est avancé au micro, exténué, mais visiblement serein, il a refusé de faire ses adieux. « Je ne suis pas sûr à 100 %, mais si c’était la dernière fois, c’était incroyable », a-t-il lancé à la foule parisienne.

Se battre jusqu’au bout

Avant le tournoi, Nadal avait hérité du pire adversaire possible en Zverev. Non pas parce que l’Allemand passera prochainement devant les tribunaux pour violence conjugale à l’égard de deux anciennes conjointes, mais parce qu’il venait tout juste de triompher au tournoi de Rome.

Au moins, Nadal pouvait s’appuyer sur le fait qu’il avait gagné sept de leurs dix affrontements.

Or, dès le premier jeu du match, Nadal a été brisé. Blanchi au service dès le départ. Puis, lorsqu’est venu le tour de Zverev de servir, il a été intraitable. Encore tardivement en première manche, son ratio de points gagnés en premier service était à 100 %. Ses angles d’attaque et ses schémas variés ont aussi montré à quel point Nadal n’avait plus la même fougue et la même explosivité qu’autrefois.

C’était cependant avant que Zverev ne se fasse battre à son propre jeu. Nadal, évidemment moins puissant et moins agile qu’à son premier sacre en 2005, a joué avec les certitudes. D’abord, en montant au filet. Il demeure l’un des meilleurs de l’histoire dans cette phase du jeu, sinon le meilleur, une qualité sous-estimée chez lui. Ensuite, en allant chercher des angles, le terrain s’ouvre invariablement. Puis, en soignant ses amortis, sur terre battue, l’adversaire peut difficilement se rendre à la balle.

En incorporant graduellement ces facteurs, la bête s’est réveillée. Nadal a repris des couleurs et la deuxième manche s’est étirée jusqu’au bris d’égalité, et a été remportée 7-5 à l’arraché par Zverev.

Il aurait alors été très peu judicieux de miser sur une troisième manche à bas pointage, même si c’est ce qui est arrivé, à 6-3. Nadal, jusqu’au bout, s’est toutefois battu sans relâche. À 2-2, le jeu de l’Espagnol au service a duré plus de 12 minutes. Il a sauvé quatre balles de bris pour prendre les devants 3-2. Mais comme en début de rencontre, Zverev s’est sorti du pétrin avec son service, et aussi la qualité de son revers, que Nadal n’a jamais réussi à dompter.

Même si le résultat était prévisible, la manière a eu de quoi en surprendre plus d’un. Il fallait néanmoins sous-estimer vigoureusement Nadal pour tenir pour acquis qu’il allait offrir une faible opposition.

La suite

Si Nadal a confirmé bien peu de choses après le match, il a cependant annoncé sa présence aux Jeux olympiques de Paris cet été.

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Rafael Nadal lors de sa conférence de presse d’après-match

La compétition quadriennale sera disputée sur les terrains de Roland-Garros à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août. Nadal a déjà remporté l’or olympique en simple à Pékin, en 2008, et en double masculin à Rio, en 2016. On entend qu’il pourrait faire la paire avec Carlos Alcaraz à Paris.

Pour ce qui est de Wimbledon, disputé quelques semaines seulement avant les Jeux olympiques, Nadal a plus de chances de briller par son absence que par ses éclats sur le terrain. Le changement de surface abrupt entre le gazon et la terre battue serait sans doute excessif pour le corps usé du joueur qui aura 38 ans le 3 juin.

Mais comme le taureau n’a pas officiellement dit son dernier mot, il pourrait finir sa carrière de la même manière qu’il l’a menée : en ne cessant jamais de nous surprendre.