Il y a eu la Formule 1, le soccer et ensuite le golf.

Après s’être emparé d’une partie des pouvoirs de trois disciplines en pleine expansion à l’international, le Fonds d’investissement public saoudien (PIF) s’apprête à gagner encore un peu plus de terrain en prenant le contrôle du tennis professionnel.

Ça a commencé par une entente officialisée à la fin du mois de février. Dans un document publié par l’ATP, le circuit explique s’associer au PIF à des fins de revenus publicitaires. Ainsi, les trois lettres les plus liées au phénomène du sportswashing apparaîtront au sommet du classement du circuit dans ses représentations officielles, en plus de s’immiscer dans le titre du champion de la saison couronné lors des finales de saison, à Turin.

S’ajoutent à ce contrat des publicités à peine voilées, sur les panneaux en fond de terrain, dans certains tournois de catégorie Masters  1000, comme Indian Wells, Miami, Madrid et Pékin, en plus des finales de l’ATP et du tournoi NextGen. L’Omnium Banque Nationale de Montréal, un autre tournoi Masters 1000, ne fait pas partie du lot.

« Certains tournois ont des ententes directes avec le PIF et nous, non. Nous n’avons pas été approchés du tout à cet égard. Donc personne n’a eu de décision à prendre, car personne ne nous a approchés », a confirmé à cet effet Tennis Canada à La Presse.

En retour de cette visibilité, le Fonds s’engage à « développer et offrir de nouvelles opportunités pour les jeunes joueurs et à mettre en place des initiatives pour le développement des jeunes joueurs ».

Sur papier, c’était l’entente initiale. Mais en fouillant, on se rend compte que les motivations du PIF sont ailleurs et vont bien au-delà de la simple publicité.

Ce qu’on sait

En résumé, ce qui devait arriver arriva. Le PIF a la mainmise sur certaines des organisations les plus prestigieuses au monde. Avec sa réserve de 925 milliards de dollars, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne s’intéresse au tennis professionnel, l’un des sports les plus pratiqués et suivis sur la planète.

Selon certains médias européens, dont le quotidien The Telegraph, le projet des Saoudiens serait d’abord d’unir l’ATP et la WTA pour en faire un même circuit, établi sous la même gouverne. L’investissement de 3,84 milliards du PIF règlerait les problèmes d’iniquités salariales, car les hommes et les femmes obtiendraient les mêmes bourses.

D’autre part, ça assurerait aux Saoudiens d’offrir une belle visibilité à leur pays, car les finales de saison masculine et féminine y seraient disputées.

Rien n’est encore officiel. Pour l’instant, seul le premier contrat concernant le placement de marque est officiel. Selon certaines personnes près des deux entités, rien ne sera coulé dans le béton avant 2026, mais tout porte à croire que ça se concrétisera tôt ou tard. Ainsi, avec ce premier partenariat publicitaire, la locomotive est déjà en marche.

Le souhait des Saoudiens

Deux idées seraient dans les cartons pour le jour inévitable où le PIF sera aux commandes.

La première : s’associer avec les organisations et les décideurs des quatre tournois majeurs (les Internationaux d’Australie, Roland-Garros, Wimbledon et les Internationaux des États-Unis) pour annuler la structure actuelle du calendrier et créer le Premier Tour, un circuit limitant le nombre de tournois en plus d’exclure tous les joueurs au-delà de la 100e position mondiale. Il y aurait tout de même un circuit de second ordre, pour le top 200, incluant de 75 à 100 tournois offrant des bourses paritaires.

La deuxième : continuer la cohabitation des deux circuits, mais en les réunissant sous le même comité de direction à des fins de droits de diffusion et de partage de revenus équitables. Ce scénario inclurait la présentation d’un tournoi Masters 1000 en Arabie saoudite.

Là où la proposition des Saoudiens diffère de leur percée dans le monde du golf est dans leur volonté d’unir plutôt que de diviser.

Au golf, le circuit LIV a créé ses propres règlements, son propre système de récompenses et son propre calendrier. Il a offert des cachets astronomiques à des joueurs du PGA Tour pour les attirer dans le but de fragiliser et d’affaiblir le circuit américain.

Or, pour le tennis, cette idée de secouer l’ordre établi semble moins prioritaire. L’idée, selon des entretiens menés de l’autre côté de l’Atlantique, serait véritablement de remanier le modèle déjà en place tout en conservant les meilleurs joueurs de l’ATP et de la WTA dans leur circuit actuel.

Les enjeux

Il existe un paradoxe fascinant dans ce tourbillon de rumeurs et de ouï-dire dans lequel la fin justifierait les moyens.

La WTA a désespérément besoin de trouver de l’argent. Le circuit était déficitaire de 15 millions de dollars l’année dernière. Et des joueuses comme la Tunisienne Ons Jabeur ont exprimé leur soutien à la cause saoudienne. Seule joueuse originaire du monde arabe parmi les 50 mieux classées au monde, Jabeur a affirmé au début du mois de mars qu’en tant que joueuse, elle sent « que c’est le moment d’aller là-bas. C’est le temps de donner cette occasion aux femmes qui rêvent de devenir des joueuses de tennis ».

La relève féminine doit être assurée, nul doute. Mais à quel prix ?

En laissant les clés du circuit aux Saoudiens, c’est un peu comme si les décideurs et les joueurs serraient la main du diable.

Comme le cite un document de l’organisation Amnistie internationale, l’Arabie saoudite vient d’approuver une loi qui codifiait la tutelle masculine et la discrimination contre les femmes. « Elle renforce l’assignation patriarcale des rôles en fonction du genre, en exigeant des femmes qu’elles obéissent à leur époux. […] Ces dispositions exposent les femmes à un risque d’exploitation et de violences, notamment de viol conjugal, qui n’est pas érigé en infraction dans le droit saoudien. »

Le gouvernement a également condamné des militantes pour le droit des femmes « coupables d’avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression » sur Twitter à des peines de prison d’une longueur sans précédent.

L’idée de proposer un sport et des avenues possibles à des femmes dans une partie du globe trop souvent négligée est louable. Mais le faire dans un pays dans lequel les femmes ont des droits extrêmement limités soulève des questions. Notamment de la part d’anciennes joueuses comme Chris Evert et Martina Navratilova.

Les choses ont le temps de changer d’ici 2026. Mais force est d’admettre qu’une locomotive à 925 milliards de dollars est difficile à arrêter.