Trente-cinq ans après avoir fait son entrée dans les bureaux de Tennis Canada, Sylvain Bruneau a décidé qu’il était temps de passer à autre chose. Non pas parce que la flamme s’est éteinte, mais parce qu’il a choisi de s’écouter. Pour sa famille. Entretien avec l’un des plus importants architectes du tennis canadien.

La pluie avait cessé à Montréal, vendredi après-midi. Aux portes du week-end, Sylvain Bruneau avait deux serviettes dans les mains pour essuyer les sièges sur lesquels aurait lieu la conversation, dans la deuxième rangée de gradins en bordure du court central du stade IGA.

Un terrain qu’il a foulé des milliers de fois. Avec le temps, c’est devenu son bureau. Un stade vide est à la fois intimidant et poétique. Comme une scène abandonnée après une pièce de théâtre. Ou une maison vidée de ses meubles qu’on est sur le point de quitter.

En laissant son rôle de chef du tennis féminin à la fédération nationale pour celui d’analyste au Réseau des sports (RDS), Bruneau quitte en quelque sorte son deuxième chez-soi. Là où ses souvenirs se sont empilés et où il a réalisé ses rêves.

« C’est une grosse portion de ma vie. Presque tout ce que j’ai fait dans le tennis, je l’ai fait à Tennis Canada », explique Bruneau, le pied posé sur le siège devant lui.

Il est arrivé dans le giron de Tennis Canada à l’âge de 23 ans, en 1988, pour des tâches occasionnelles. Dix ans plus tard, il devenait un employé à temps plein.

« J’étais là à une époque où on n’était, honnêtement, pas très forts au tennis. Et j’ai aussi fait partie de la transformation. J’ai passé à travers toutes les étapes. J’ai le sentiment du devoir accompli. Mais je ne pars pas avec un sentiment aigre-doux ou parce que je suis tanné. J’aurais encore eu la motivation. »

À la télévision

Le Québécois agira dorénavant comme analyste des matchs de tennis à RDS. Il avait déjà tenté l’expérience entre 2015 et 2017, juste avant de se joindre à l’entourage de Bianca Andreescu. Le réseau l’a rapatrié après sa séparation avec la joueuse, en juin 2021.

« J’aimais ça et ça m’a aidé dans mon coaching avec Bianca de regarder autant de matchs masculins. Ça m’a aidé à modeler son jeu », explique-t-il.

La conciliation de son emploi chez Tennis Canada et celui à RDS était devenue cependant trop difficile à gérer, admet-il. Entre ses présences en ondes et ses déplacements pour encadrer ses joueuses, l’horaire et la charge de travail étaient devenus insoutenables.

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Sylvain Bruneau

« C’est très accaparant sur le plan physique et mental, le rôle que j’avais ici à Tennis Canada. Ensuite, j’ai eu des conversations avec Tennis Canada sur la manière dont on pourrait faire un mariage. On a fait ça pendant un moment, mais je me suis dit que c’était beaucoup trop. »

Il s’est ensuite tourné vers sa famille. « Je devais faire un choix très difficile. »

Parce qu’ultimement, il s’était juré, après sa folle épopée aux côtés d’Andreescu, de ne plus jamais s’absenter et s’éloigner aussi longtemps. Afin d’être plus près de sa conjointe et de ses filles. Or, avec le chevauchement de ses mandats d’entraîneur et d’analyste, il ne se sentait plus en mesure de respecter son engagement.

« Ma famille reste ma priorité », assure-t-il.

Un nouveau rôle

Bruneau a déjà fait ses preuves à la télévision. Son expérience et son vocabulaire font de lui une valeur sûre pour RDS, qui peut déjà compter sur « une équipe exceptionnelle ».

« Parfois, j’ai peur d’être trop technique. J’ai le goût d’aller quelque part, mais parfois, je me demande si je vais perdre des gens, parce que c’est trop poussé. J’essaye de trouver un équilibre », explique-t-il.

De son propre aveu, Bruneau est incapable de regarder un match juste pour le plaisir, sans analyser chaque coup, chaque décision, chaque stratégie. Comme un réalisateur devant un film au cinéma. Désormais, il pourra le faire tout en éduquant les amateurs de tennis québécois, en vulgarisant tout ce qui passe par la tête d’un entraîneur de sa trempe.

« Je pense que le rôle d’analyste est important. Faire connaître et aimer le tennis. Partager une vision, une expérience et une stratégie. Et faire découvrir le tennis par le truchement du travail d’analyste. Ça fait partie de la promotion du sport et ça m’interpelle. Développer le tennis autrement que par le résultat. »

Bianca, 2019 et la reconnaissance

Même si Bruneau a construit sa renommée et sa réputation sur plus de trois décennies, l’année 2019 l’a véritablement propulsé au rang de vedette.

Les trois titres remportés par Andreescu cette année-là ont marqué les esprits. On en parle avec nostalgie, comme si ces souvenirs appartenaient à une autre époque, mais c’était il y a quatre ans à peine.

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Sylvain Bruneau et Bianca Andreescu à l’entraînement en 2019

Bien des gens se souviennent avoir vu Bruneau accroupi devant Andreescu, alors âgée de 18 ans, lui criant : I want it so bad !, faisant allusion au trophée du tournoi d’Indian Wells, en pleine finale.

Les amateurs ont encore en mémoire son sacre à l’Omnium Banque Nationale de Toronto quelques mois plus tard.

Tout le monde se rappelle où il était lorsque, dans les semaines qui ont suivi, la Canadienne est devenue championne d’un tournoi du Grand Chelem aux Internationaux des États-Unis.

Cette finale à New York a complètement changé la trajectoire et l’influence de Bruneau. Il confie toutefois ne jamais avoir regardé, par la suite, ce match contre Serena Williams. Sans doute pour conserver un souvenir intact de ce moment grandiose. Il se souvient surtout du bruit effarant et de l’électricité dans l’air.

Mais un peu comme Roch Voisine avec Hélène ou Céline Dion avec My Heart Will Go On, Bruneau est un peu pris avec ce succès.

Instinctivement, c’est le premier sujet auquel on pense lorsqu’on aborde sa carrière.

« C’est normal que les gens reviennent toujours là-dessus. Je ne suis pas tanné d’en parler », précise-t-il.

Toutefois, cette expérience n’est pas nécessairement ce qui lui vient en tête lorsqu’il se remémore l’année 2019, admet-il. « Je repense surtout au chemin pour y arriver. Quand je repense à Bianca, je ne fais pas juste atterrir au US Open dans mes pensées. Je retombe dans des moments banals, que personne n’a vus, lorsqu’elle était dans de petits tournois et qu’elle montait. »

S’il est parvenu à la guider vers un tel triomphe, c’est grâce à ses enfants. Car on y revient toujours.

J’ai évolué comme entraîneur et comme individu parce que je suis devenu père. Ça m’a beaucoup changé. Ça m’a rendu plus sensible, plus compréhensif. J’étais très militaire, très exigeant, rigide.

Sylvain Bruneau

Aujourd’hui, il veut rendre la pareille à ses proches.

En retournant dans le tunnel par où arrivent les joueurs sur le central, Bruneau donne l’impression de marcher plus léger. Et de le faire la tête haute.

En décembre, il quittera une fois pour toutes ce stade où un souvenir pourrait être déposé sur chaque siège. La Néerlandaise Noëlle van Lottum prendra sa place.

« Il s’est passé de bonnes choses ici. Je pense que je laisse à Noëlle un beau projet. »