Francine Pilon pourrait difficilement être mieux placée pour parler du retour de Caroline Wozniacki après trois ans et demi d’absence. D’abord, elle est physiothérapeute avec un doctorat en biomécanique, et chargée de cours en kinésiologie à l’Université de Montréal. Ensuite, « je suis n1 au tennis dans ma catégorie d’âge au Québec, les super séniors ! », lance-t-elle en riant.

Son diagnostic, posé bien humblement à distance ? « Sur le plan tennistique, il ne devrait pas y avoir de gros changements. Le plus difficile après trois ans, c’est de retrouver la coordination et la vitesse d’exécution, comme après n’importe quel arrêt prolongé. Mais les athlètes d’élite ont une capacité à retrouver ces choses-là. »

L’entretien avec Mme Pilon a lieu en après-midi mercredi, quelques heures avant le match de deuxième tour de Wozniacki. La réalité a rattrapé la Danoise : pas facile de battre une championne d’un tournoi du Grand Chelem après trois ans et demi d’absence. Markéta Vondroušová, couronnée à Wimbledon le mois dernier, l’a emporté 6-2 et 7-5.

« Je dois jouer de vrais matchs, a concédé Wozniacki, après la rencontre. Je commets généralement très peu de fautes directes, et là, j’en fais un peu plus. Ça va me prendre un peu plus de temps à retrouver mon rythme pour disputer des matchs. »

Une longue route

Pendant sa pause, Wozniacki a donné naissance à non pas un, mais deux enfants, le plus jeune en octobre 2022.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Caroline Wozniacki

Pour Mme Pilon, le fait de revenir après deux grossesses représente donc un défi qui s’ajoute à celui que rencontrerait toute joueuse qui reprend l’action après 40 mois d’absence.

« Chez les femmes en général, lorsqu’elles reviennent à ce niveau, la problématique physique est la laxité, avance Mme Pilon. Durant la grossesse et l’allaitement, elles produisent une hormone qui s’appelle la relaxine, qui affecte l’ensemble des articulations, les tissus conjonctifs, les ligaments, les tendons. Le corps se met à travailler différemment. »

Un autre danger : le risque accru de blessure, estime Julie Lavoie, professeure titulaire et directrice de l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal.

« C’est surtout pour les blessures articulaires, car avec les grossesses, des hormones s’activent pour permettre aux articulations d’être plus flexibles, pour favoriser l’accouchement. Mais si l’entraînement a permis de ramener la masse musculaire, la forme cardiovasculaire, elle devrait être en bonne position pour compétitionner », avance la professeure.

Wozniacki a fait bonne figure à son premier match, signant un gain convaincant de 6-2, 6-2 contre Kimberly Birrell. Elle quitte donc Montréal avec quatre manches de tennis dans les jambes, et l’espoir d’en ajouter d’autres à Cincinnati la semaine prochaine.

« S’il y a un avantage à cette grossesse-là, c’est que le côté cardiovasculaire est maintenu, même amélioré, car les changements hormonaux vont le favoriser, estime Mme Pilon. La grossesse cause une augmentation du volume cardiaque, il y a plus de globules rouges. Donc on maintient ou on retrouve assez rapidement cet élément. »

« Je me sentais assez bien ce matin, a indiqué la principale intéressée, mercredi. J’ai pu dormir un peu puisque je jouais plus tard. Mais évidemment, en jouant le match aujourd’hui, je ressentais un peu celui d’hier. De façon générale, ça a assez bien été. »

Quoi qu’il en soit, le simple fait qu’elle revienne au jeu après une si longue absence est une victoire pour le sport en général, croit Julie Lavoie.

Les athlètes sentent parfois qu’elles doivent faire un choix. Est-ce que je fais de la compétition ou je fonde une famille ? Ça envoie un beau message qu’une femme peut faire de la compétition, fonder une famille et reprendre sa carrière.

Julie Lavoie, professeure titulaire à l’Université de Montréal

Et Wozniacki a les moyens de ses ambitions ; sa famille la suit partout au cours de cette tournée nord-américaine, qui la mènera ensuite à Cincinnati, puis à New York pour les Internationaux des États-Unis.

Elle a d’ailleurs confié que sa fille Olivia s’est amusée mercredi dans le gros château gonflable installé dans le Vieux-Port. « Il faut avoir 3 ans pour entrer, mais elle a une bonne coordination pour un enfant de 2 ans, donc elle a pu y aller. On me dit qu’elle a eu un plaisir fou ! »